Portrait: Elisabeth Raynaud (X96) polytechnicienne de l’espace par Laurent Simon

Elisabeth Raynaud (X96) polytechnicienne de l’espace

Dossier : TrajectoiresMagazine N°782 Février 2023
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Le « prix de la femme de pro­jets », une dis­tinc­tion fai­sant par­tie du Tro­phée des femmes de l’industrie, lui fut décer­né par le maga­zine L’Usine nou­velle en sep­tembre 2022. Depuis 2015, Eli­sa­beth Ray­naud s’occupe en effet d’Ariane 6, qui doit être deux fois moins coû­teuse qu’Ariane 5 et per­mettre trois fois plus de tirs que cette dernière.

En fait, c’est exac­te­ment comme dans Objec­tif Lune ; une fois que la fusée Ariane a décol­lé, les ingé­nieurs au sol ne peuvent plus entre­prendre qu’une seule chose : la faire explo­ser, si ça se passe mal, et à condi­tion qu’elle ne soit pas déjà trop éloi­gnée de la Terre. C’est dire si le tra­vail d’Elisabeth Ray­naud-Mica­let, char­gée des sys­tèmes de com­mande et pilo­tage embar­qués dans le lan­ceur euro­péen, est cru­cial. La légen­daire fia­bi­li­té d’Arianespace repose en grande par­tie sur les épaules de notre cama­rade entrée à l’X en 1996… l’année, pré­ci­sé­ment, mais nous n’y ver­rons aucun sym­bole, où Ariane 5 connut son seul échec au décol­lage (une auto­des­truc­tion après 36 secondes de vol, en rai­son d’un pro­blème infor­ma­tique lié à un dépas­se­ment d’entier).

L’École des chartes ou l’X ?

Son arri­vée à l’École consti­tuait la suite logique du par­cours d’une bonne élève, issue d’une famille de pro­fes­seurs d’anglais, qui se sou­vient, enfant, avoir été fas­ci­née par les repré­sen­ta­tions du sys­tème solaire qu’elle trou­vait dans les livres. Après le bac­ca­lau­réat, la jeune fille hésite un peu entre une pré­pa­ra­tion à l’École des chartes, par goût de l’histoire et du latin, et l’entrée en mathé­ma­tiques supé­rieures au célèbre lycée tou­lou­sain Pierre-de-Fer­mat, option qui sera fina­le­ment choi­sie. Elle y fit même une 52, pour essayer d’intégrer l’une des deux écoles qui lui sem­blaient offrir plus aisé­ment que d’autres une car­rière dans la recherche : l’ENS et l’X.

Un ser­vice mili­taire plus tard (agréa­ble­ment pas­sé dans la Marine, sur la fré­gate anti­aé­rienne Cas­sard), elle se retrouve sur le pla­teau, où, mal­gré sa petite taille, elle choi­sit la sec­tion bas­ket (à une époque où peu de jeunes filles fai­saient le même choix, alors qu’aujourd’hui il existe une sec­tion fémi­nine) et s’occupe du BRC, un binet de pro­jec­tion de films (« des nanars aux grands clas­siques »), des acti­vi­tés du ski club et de l’édition de l’album promo.

Ariane 6, rapidement et sous fortes contraintes.”

Une fille d’Ariane

Le goût de l’astronomie conti­nue de la por­ter, si bien qu’Elisabeth Ray­naud effec­tue son stage ouvrier… sur les pas de tir de Kou­rou. En quit­tant l’X, elle consacre une thèse, pré­pa­rée au sein de l’observatoire de Meu­don, aux varia­tions de pres­sion et de tem­pé­ra­ture dans les dif­fé­rentes couches de l’atmosphère de Jupi­ter, puis rejoint les équipes d’ArianeGroup, qu’elle n’a plus quittées.

Depuis 2015, elle s’occupe d’Ariane 6, un pro­jet qu’il a fal­lu déve­lop­per rapi­de­ment et sous fortes contraintes : cette nou­velle fusée doit être deux fois moins coû­teuse que la pré­cé­dente et per­mettre jusqu’à douze tirs par an, soit trois fois plus sou­vent qu’Ariane 5. Le pre­mier décol­lage est pré­vu cette année et les car­nets de com­mande sont déjà pleins pour de nom­breux mois, mal­gré la concur­rence crois­sante d’une com­pa­gnie pri­vée amé­ri­caine gérée par un célèbre mil­liar­daire. Par­mi ses meilleurs sou­ve­nirs pro­fes­sion­nels figurent les remer­cie­ments des offi­ciels de la Nasa, après la mise sur orbite réus­sie, par Ariane 5, le jour de Noël, des com­po­sants du nou­veau téles­cope James Webb.

Le « prix de la femme de projets »

Mais d’autres défis s’annoncent déjà, tels que la concep­tion d’ici une dizaine d’années d’un nou­veau lan­ceur qui, à l’instar de ceux du concur­rent, pour­ra être en par­tie réuti­li­sable – ce qui, dans un conglo­mé­rat tel qu’Aria­ne­Group, pose des pro­blèmes autant éco­no­miques que tech­niques. Lorsqu’elle n’y réflé­chit pas, Eli­sa­beth Ray­naud se livre à son goût pour la lec­ture, notam­ment de bio­gra­phies de per­son­nages his­to­riques, ou s’occupe d’élever les deux filles, aujourd’hui ado­les­centes, nées de son mariage avec un cama­rade de promotion.

Il y a quelques mois, un col­lègue lui sug­gère de pré­sen­ter sa can­di­da­ture au « prix de la femme de pro­jets », une dis­tinc­tion fai­sant par­tie du Tro­phée des femmes de l’industrie, décer­né par le maga­zine L’Usine nou­velle. En accep­tant, son ambi­tion était simple et fort louable : pro­mou­voir la place des femmes dans les métiers scien­ti­fiques, en don­nant l’exemple d’une ingé­nieure menant une épa­nouis­sante car­rière indus­trielle. Son dos­sier sui­vit une tra­jec­toire aus­si par­faite que celle des fusées dont elle assure le pilo­tage, si bien que le prix lui fut décer­né en sep­tembre 2022.

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