Pourquoi et comment rattraper le retard de la France dans la filière de l’hydrogène « vert »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Christophe ROUVIÈRE

La France affiche l’ambition, louable et volon­ta­riste, de figu­rer dans le pelo­ton de tête des acteurs de l’HYDROGENE VERT aux niveaux euro­péen et mon­dial. En retard, notam­ment sur l’Asie, elle doit IMPÉRATIVEMENT et IMMÉDIATEMENT amé­lio­rer le pilo­tage de ce pro­jet et aug­men­ter mas­si­ve­ment ses moyens finan­ciers pour pro­fi­ter de cette occa­sion de réin­dus­tria­li­ser le pays et ren­for­cer son indé­pen­dance éner­gé­tique. Ren­contre avec Chris­tophe Rou­vière, Pré­sident et cofon­da­teur de Natu­reo Finance.

L’impératif de l’hydrogène décarboné et ordres de grandeur

Le pre­mier avan­tage de l’hydrogène vert ou décar­bo­né (pro­duit res­pec­ti­ve­ment à par­tir d’une élec­tro­lyse de l’eau avec de l’électricité renou­ve­lable ou nucléaire) est de contri­buer à la décar­bo­na­tion de l’industrie qui uti­lise 95 % de l’hydrogène pro­duit et qui est d’origine fos­sile à 99 %. Le deuxième avan­tage est de contri­buer à la décar­bo­na­tion des trans­ports et à la réduc­tion des émis­sions des par­ti­cules fines. En consé­quence, l’hydrogène décar­bo­né devrait, selon l’AIE, per­mettre de réduire les émis­sions annuelles de CO2 de 7 giga­tonnes d’ici à 2050 dont 45 % envi­ron pour les seuls trans­ports. Enfin son troi­sième avan­tage est de faci­li­ter (grâce à son sto­ckage) l’intégration des renou­ve­lables dans le mix élec­trique ce dont nous avons grand besoin.

L’intérêt pour l’hydrogène décar­bo­né s’est accé­lé­ré après la paru­tion du rap­port de l’Agence Inter­na­tio­nale de l’Energie com­man­dé par le Japon (IEA, The Future of Hydro­gen, June 2019) dans lequel l’hydrogène est vu comme le vec­teur éner­gé­tique indis­pen­sable pour réus­sir la tran­si­tion énergétique.

Le mar­ché mon­dial de 90 mil­lions de tonnes d’hydrogène pro­duites en 2020, soit un équi­valent à 270 Mtep, est à com­pa­rer à une consom­ma­tion mon­diale d’énergie pri­maire de plus de 14 Gtep, soit envi­ron 2 %, bien que l’hydrogène ne soit qu’un vec­teur éner­gé­tique. Cela donne une idée de l’ampleur de l’ambition du plan hydro­gène euro­péen annon­cé le 8 juillet 2020 qui est de « cou­vrir » 10 % à 14 % des besoins éner­gé­tiques euro­péens en hydro­gène vert d’ici 2050 (en 2020 l’Europe a eu une consom­ma­tion éner­gé­tique de 1,2 Gtep et la France de 220 Mtep). Le 30 sep­tembre der­nier Thier­ry Bre­ton a même décla­ré que « l’hydrogène pour­rait repré­sen­ter jusqu’à 25 % de toute l’énergie que nous consom­me­rons » en 2050, soit pour une consom­ma­tion stable de 1,2 Gtep, l’équivalent de 100 mil­lions de tonnes d’hydrogène.

Des premières mesures insuffisantes pour combler notre retard face aux asiatiques et bientôt aux nord-américains.

Les 18 mil­liards de dol­lars inves­tis par la Chine sur 18 mois dès 2018 dans l’écosystème de l’hydrogène mobi­li­té lui ont don­né une grande avance. En 2018, la Chine met­tait en cir­cu­la­tion plus de 1 400 bus à hydro­gène et aujourd’hui des dizaines de mil­liers de bus et de camions. Autre par­ti­cu­la­ri­té des Chi­nois, leur capa­ci­té à déployer mas­si­ve­ment des éco­sys­tèmes de bus, de camions et d’électrolyseurs alors que la tech­no­lo­gie n’était pas encore au point, leur per­met­tant de gagner du temps et de réduire les coûts rapi­de­ment. De fait, les lea­ders mon­diaux actuels dans la mobi­li­té hydro­gène sont les Chi­nois pour les véhi­cules lourds et les élec­tro­ly­seurs, les Japo­nais (Toyo­ta), les Sud-Coréens (Hyun­dai) et les Cana­diens (Bal­lard) pour les piles à com­bus­tibles. Par ailleurs les Amé­ri­cains se rap­prochent rapi­de­ment (Plug Power) grâce à des méca­nismes simples quand ceux euro­péens sont complexes.

Phi­lippe Bou­cly (X72), Pré­sident de France Hydro­gène et Valé­rie Bouillon-Del­porte, « Madame Hydro­gène » de Miche­lin, pre­mière Vice-Pré­si­dente de France Hydro­gène et ancienne Pré­si­dente de Hydro­gène Europe, ont beau­coup œuvré pour que le plan hydro­gène fran­çais annon­cé en sep­tembre 2020 atteigne 7,2 puis 9 mil­liards d’euros d’ici 2030. Mais aujourd’hui il semble que le plan a du mal à se mettre en place et les pro­jets dans la mobi­li­té ne sortent pas. Et s’il faut se féli­ci­ter de l’annonce récente de la Pre­mière ministre de la construc­tion de 10 usines grâce à un finan­ce­ment euro­péen de 2,1 mil­liards d’euros, il faut rap­pe­ler que le plan a été annon­cé il y a deux ans déjà !

Quatre défis majeurs découlent de l’ambition hydro­gène française :

  • Un défi éner­gé­tique : l’hydrogène décar­bo­né est pro­duit par élec­tro­lyse de l’eau avec de l’électricité décar­bo­née. Or, 70 % du coût de l’hydrogène est fonc­tion du prix de l’électricité néces­saire à le pro­duire. Il fau­dra donc trou­ver des méca­nismes d’ajustement pour rendre l’hydrogène décar­bo­né com­pé­ti­tif dans un contexte où l’énergie nucléaire sera de plus en plus chère ;
  • Un défi de finan­ce­ment et de sub­ven­tions à l’achat des camions, des bus et des cars comme c’est le cas pour les sta­tions de recharge (les Alle­mands apportent une sub­ven­tion cou­vrant 80 % du sur­coût par rap­port au diesel) ;
  • Un défi de finan­ce­ment des quelques 80 PMI pré­sentes sur la chaîne de valeur et indis­pen­sables pour com­plé­ter cette filière indus­trielle nais­sante dans les trans­ports. Chez Natu­reo Finance nous avons accom­pa­gné ou accom­pa­gnons une dizaine d’acteurs euro­péens de la chaîne de valeur et nous savons faire preuve de créa­ti­vi­té pour trou­ver les rares inves­tis­seurs pri­vés capables de finan­cer des start-up industrielles ;
  • Un défi de créa­tion d’écosystèmes pour la mobi­li­té lourde. Sans une approche qui coor­donne l’ensemble des acteurs de l’écosystème il sera impos­sible de faire émer­ger rapi­de­ment des projets.

Des atouts à coordonner par un(e) Haut(e)-Commissaire au Plan Hydrogène, un Comité Stratégique « Hydrogène Vert » et à renforcer grâce à des investissements massifs

Un tissu industriel déjà bien en place

Nous pou­vons comp­ter sur des acteurs comme Air Liquide dont le Pré­sident, Benoît Potier, croit à l’hydrogène depuis tou­jours et d’autres grands indus­triels comme Total, EDF, Miche­lin, Engie, Renault, Stel­lan­tis, Plas­tic Omnium, Valeo et Fau­re­cia, Arke­ma,… et une com­mu­nau­té de PMI et de start-up de l’hydrogène. Mais sans coor­di­na­tion et sans finan­ce­ments addi­tion­nels le rêve de créer une « France Hydro­gène » risque de ne pas aller très loin.

Créer un poste de Haut(e)-Commissaire au plan Hydrogène, à plein temps

Pour rat­tra­per notre retard, nous devons impé­ra­ti­ve­ment accé­lé­rer main­te­nant les inves­tis­se­ments. Ce(tte) Com­mis­saire au Plan Hydro­gène, dépen­dant direc­te­ment de la Pre­mière ministre et qui tra­vaille­rait en coor­di­na­tion avec le Haut-Com­mis­saire au Plan Fran­çois Bay­rou et le coor­don­na­teur du déve­lop­pe­ment de l’hydrogène décar­bo­né et de la décar­bo­na­tion de l’industrie, Hoang Bui, rat­ta­ché au SGPI, pour­rait s’atteler à cette tâche. Sa mis­sion devrait être de fixer un plan trien­nal très ambi­tieux, digne de ce qui a fait nos suc­cès d’hier dans l’aéronautique, le nucléaire et le fer­ro­viaire. Il ou elle devra être choisi(e) pour sa com­pé­tence orga­ni­sa­tion­nelle, sec­to­rielle et ses suc­cès pas­sés et non par seul choix poli­tique.

Créer un comité stratégique hydrogène vert, rattaché à la Première ministre

Ce comi­té Stra­té­gique « Hydro­gène Vert » serait com­po­sé des prin­ci­paux acteurs/décideurs clés de la filière dont on se serait assu­ré l’adhésion et quelques experts, pré­si­dé par un ancien grand mana­ger, public ou pri­vé, ayant réus­si pré­cé­dem­ment un ou plu­sieurs pro­jets très ambi­tieux avec succès. 

Mettre en place des tableaux de bord men­suels de pro­grès avec les prin­ci­paux indi­ca­teurs vers la réus­site du pre­mier plan et com­mu­ni­quer mas­si­ve­ment ces pro­grès col­lec­tifs et les prin­ci­paux suc­cès indi­vi­duels. 

Déverrouiller les freins à l’investissement massif, indispensable et urgent, dans l’écosystème hydrogène

Une fois ce pre­mier plan éta­bli il sera impor­tant de lui don­ner les moyens finan­ciers de son ambi­tion. Pour évi­ter d’alourdir la dette publique, l’État pour­rait inci­ter for­te­ment l’investissement dans la filière pour les grands ges­tion­naires d’actif et faire levier sur l’épargne des Français :

Favo­ri­ser au maxi­mum les inves­tis­se­ments pri­vés dans les jeunes entre­prises du sec­teur de l’hydrogène, l’État garan­tis­sant tout ou par­tie du capi­tal selon la nature du risque (moins de 100m€ inves­tis en 2021, hors Bourse, dans nos start-up du sec­teur de l’hydrogène).

Per­mettre aux épar­gnants d’investir en dette et donc à coût réduit, dans les pro­jets ter­ri­to­riaux d’infrastructure de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion d’hydrogène avec une garan­tie de l’État sur le mon­tant investi.

Cet apport mas­sif de capi­taux, sans oublier les néces­saires dis­po­si­tifs d’aides à mettre en place comme les Alle­mands, crée­rait les condi­tions de volume, de prix et de com­pé­ti­ti­vi­té pour l’émergence de cette filière qui pour­rait créer plus de 100 000 emplois à terme. Si l’exécution est bien menée, il est fort pro­bable que la garan­tie accor­dée par l’État ne lui coû­te­ra qua­si­ment rien.

Conclusion

Le déve­lop­pe­ment très ambi­tieux de ce PROJET HYDROGÈNE VERT et de sa filière est bien une oppor­tu­ni­té exal­tante de réin­dus­tria­li­ser la France et de contri­buer à la réus­site de sa tran­si­tion énergétique.

Les pro­po­si­tions que nous fai­sons s’inspirent d’une convic­tion profonde :

« Les HOMMES, l’ORGANISATION, la VITESSE et sou­vent les MOYENS FINANCIERS font de plus en plus la dif­fé­rence pour réus­sir des pro­jets, sur­tout très ambi­tieux. « EXECUTION IS STRATEGY ».

Il devient donc urgent de mettre en place un pre­mier plan trien­nal de grande enver­gure accom­pa­gné d’un plan d’investissement mas­sif pour rat­tra­per notre retard. Après, il sera trop tard ! 

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