« L’hydrogène est incontestablement une très belle opportunité pour la France et l’Europe »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Olivier PERRIN

Oli­vier Per­rin Senior Part­ner Ener­gy, Resources and Indus­trials, Moni­tor Deloitte, dresse pour nous un état des lieux de la filière de l’hydrogène émer­gente en France et en Europe. Il revient sur les oppor­tu­ni­tés qu’elle repré­sente en termes de décar­bo­na­tion, de neu­tra­li­té car­bone, mais aus­si de réin­dus­tria­li­sa­tion tout en rele­vant les freins et enjeux que l’Europe et la France doivent encore lever. Explications.

L’hydrogène est aujourd’hui un pilier majeur de la stratégie de décarbonation et de neutralité carbone européenne. Qu’en est-il ?

L’hydrogène est un vec­teur d’énergie auquel sont attri­bués de nom­breux atouts. Il peut, en effet, contri­buer à décar­bo­ner les acti­vi­tés indus­trielles les plus inten­sives en car­bone ain­si que les dif­fé­rents types de trans­port. À l’heure actuelle, plu­sieurs tech­no­lo­gies sont matures ou en bonne voie de déve­lop­pe­ment. Tou­te­fois, de nom­breux sujets tech­no­lo­giques per­sistent, notam­ment autour de la pro­duc­tion, du sto­ckage et de la dis­tri­bu­tion de l’hydrogène quel que soit la cou­leur de la molé­cule (gris, brun, noir, bleu, vert et jaune). Pour l’hydrogène vert qui retient toute l’attention des euro­péens, il est néces­saire d’avoir de très impor­tantes capa­ci­tés de renou­ve­lables ins­tal­lées. L’Europe doit faite preuve de luci­di­té quant à son poten­tiel réel, même si elle dis­pose de zones très favo­rables comme le Nord-Ouest de l’Europe (éolien) et une large bande autour de la Médi­ter­ra­née (solaire), pour tenir les ambi­tions de décar­bo­na­tion et de neu­tra­li­té car­bone, les pays euro­péens vont néces­sai­re­ment devoir s’approvisionner en « hydro­gène » auprès d’autres pays. Il convient donc de tra­vailler dès main­te­nant au niveau euro­péen avec ces nou­veaux par­te­naires et de ne pas réité­rer les erreurs du pas­sé sur les éner­gies fos­siles par exemple. Enfin, nos éco­no­mies s’électrifient for­te­ment, il est donc néces­saire d’augmenter toutes nos pro­duc­tions « bas car­bone » et de ne s’interdire aucune source ni tech­no­lo­gie pour répondre aux besoins.

“Dans ce contexte énergétique difficile marqué par une hausse des prix très forte de l’ensemble des énergies fossiles, l’hydrogène est incontestablement une très belle opportunité pour la France et l’Europe de se poser les bonnes questions. Il faut considérer l’hydrogène vert notamment comme une des solutions pour retrouver une certaine souveraineté énergétique mais aussi de tenir les engagements pris lors de la COP21 tout en acceptant un coût supérieur.”

En paral­lèle, se posent aus­si la ques­tion du prix de l’hydrogène et des besoins en inves­tis­se­ment pour sécu­ri­ser et réus­sir la tran­si­tion éner­gé­tique de l’Europe. Pour des pays qui, pen­dant des décen­nies, ont eu accès à une éner­gie fos­sile et/ou nucléaire « bon mar­ché », ce qui a notam­ment per­mis à l’Allemagne d’accroître son lea­der­ship indus­triel et à la France d’avoir une fac­ture éner­gé­tique abor­dable et une éco­no­mie peu car­bo­née, c’est un véri­table choc. Tou­te­fois, dans ce contexte éner­gé­tique dif­fi­cile mar­qué par une hausse des prix très forte de l’ensemble des éner­gies fos­siles, l’hydrogène est incon­tes­ta­ble­ment une très belle oppor­tu­ni­té pour la France et l’Europe de se poser les bonnes ques­tions. Il faut consi­dé­rer l’hydrogène vert notam­ment comme une des solu­tions pour retrou­ver une cer­taine sou­ve­rai­ne­té éner­gé­tique mais aus­si de tenir les enga­ge­ments pris lors de la COP21 tout en accep­tant un coût supé­rieur. 

Pour produire de l’hydrogène vert, l’électrolyseur est un maillon stratégique de la chaîne de valeur. Qu’en est-il ? Quels sont les enjeux et freins dans cette continuité ?

Actuel­le­ment, nous dis­po­sons de trois tech­no­lo­gies d’électrolyse pour pro­duire de l’hydrogène : l’électrolyse alca­line qui a atteint son niveau de matu­ri­té il y a déjà plu­sieurs années, l’électrolyse à mem­brane échan­geuse de pro­ton qui a atteint un bon niveau de matu­ri­té, l’électrolyse à oxyde solide pour laquelle il faut encore four­nir un tra­vail tech­no­lo­gique. Ces trois tech­no­lo­gies répondent aus­si à des besoins spé­ci­fiques (ie pureté).

L’enjeu pour l’Europe et la France est de se doter des capa­ci­tés pour mas­si­fier la pro­duc­tion de ces élec­tro­ly­seurs afin de ne pas se retrou­ver dans une situa­tion où nous serions dépen­dants d’autres pays pour accé­der à ces équi­pe­ments, qui sont un maillon essen­tiel de la chaîne de valeur de l’hydrogène vert. Au-delà, cela repré­sente aus­si une oppor­tu­ni­té pour déve­lop­per un savoir-faire euro­péen et un lea­der­ship sur le sujet. En effet, nous dis­po­sons des capa­ci­tés de R&D, des indus­triels sont prêts pour pas­ser à l’échelle et les pre­miers finan­ce­ments existent. L’Europe doit encou­ra­ger ses états membres dans cette démarche qui sécu­ri­se­ra l’indépendance de la chaîne de valeur, la sou­ve­rai­ne­té éner­gé­tique (bas car­bone) et par effet rico­chet la réin­dus­tria­li­sa­tion et le main­tien d’activités cri­tiques pour nos pays. 

Peut-on parler d’une filière hydrogène française et européenne ?

En France, la filière hydro­gène est nais­sante. Dans son déve­lop­pe­ment, elle peut s’appuyer sur des cham­pions et grands groupes natio­naux d’envergure mon­diale qui vont viser des pro­jets à grande échelle : Air Liquide, Tota­lE­ner­gies, Engie, Alstom ou encore EDF… Les labo­ra­toires, des centres de recherche et des entre­prises déve­loppent des par­te­na­riats qui ont per­mis de créer des struc­tures comme Gen­via ou encore Hym­pul­sion ce démontrent la mobi­li­sa­tion et l’intérêt de la filière. L’écosystème de start-up et de PME comme Elyse Ener­gy et McPhy est aus­si extrê­me­ment dyna­mique. Tous les élé­ments sont ras­sem­blés pour pou­voir par­ler d’une véri­table filière : des acteurs de taille et de matu­ri­té dif­fé­rentes qui couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur. En paral­lèle, les finan­ce­ments et les inves­tis­se­ments existent. 

On peut notam­ment citer les dif­fé­rents plans natio­naux et à l’échelle euro­péenne, ain­si que des ini­tia­tives comme le fonds Hy24, qui est dédié au déve­lop­pe­ment des infra­struc­tures. Par ailleurs, les col­lec­ti­vi­tés locales sont aus­si très actives dans le déve­lop­pe­ment de cette filière à l’échelle de leurs ter­ri­toires. À ce niveau, une coor­di­na­tion entre les régions, les dépar­te­ments, voire les nations est pré­fé­rable pour un déve­lop­pe­ment per­ti­nent et rapide. La filière hydro­gène euro­péenne a donc tout inté­rêt à s’investir dans des grands pro­jets pour se posi­tion­ner comme un acteur de taille mon­diale. Cela passe entre autres par la mise en place d’alliance entre des pays, des indus­triels, des entre­prises euro­péennes de toutes tailles et des centres de recherche. 

Quelles sont les perspectives que ce secteur peut offrir ?

Pour décar­bo­ner les mobi­li­tés, il faut adop­ter une démarche « mul­ti-usages » qui per­met­tra de réduire les coûts de l’hydrogène : mobi­li­té lourde et légère (flottes cap­tives), fer­ro­viaire, aéro­por­tuaire… Pen­ser que les bat­te­ries sont l’unique solu­tion pour tous les véhi­cules serait une erreur et se limi­ter à la pile à com­bus­tible pour inté­grer l’hydrogène une seconde erreur. Le déve­lop­pe­ment de moteurs à com­bus­tion avec de l’hydrogène liquide est tes­té par plu­sieurs constructeurs. 

Pour l’industrie, la démarche est dif­fé­rente. Au cours des décen­nies, notre tis­su indus­triel sur­tout en France s’est for­te­ment contrac­té. Nous avons tout de même encore sur le ter­ri­toire des indus­tries très éner­gi­vores qui s’intéressent à l’hydrogène, font des essais et déve­loppent des démons­tra­teurs à grande échelle. La filière hydro­gène étant encore à ses débuts, de nou­veaux usages ont voca­tion à émerger.

“L’accélération du développement de l’hydrogène laisse également entrevoir des perspectives en matière de réindustrialisation. En effet, on peut imaginer que le coût de l’énergie, la législation et la taxe carbone à l’entrée en Europe pourraient permettre de contrebalancer les autres alternatives et renforcer la volonté de relocaliser des industries essentielles.”

L’accélération du déve­lop­pe­ment de l’hydrogène laisse éga­le­ment entre­voir des pers­pec­tives en matière de réin­dus­tria­li­sa­tion. En effet, on peut ima­gi­ner que le coût de l’énergie, la légis­la­tion et la taxe car­bone à l’entrée en Europe pour­raient per­mettre de contre­ba­lan­cer les autres alter­na­tives et ren­for­cer la volon­té de relo­ca­li­ser des indus­tries essen­tielles. Dans cette réflexion, l’accès à une éner­gie fiable et décar­bo­née reste un cri­tère très sou­vent déci­sif. Plus que jamais, l’État a un rôle impor­tant à jouer en termes de sta­bi­li­té fis­cale, sim­pli­fi­ca­tion et har­mo­ni­sa­tion des démarches pour faire abou­tir plus vite les projets. 

Quelles sont les pistes de réflexion que vous pourriez partager avec nos lecteurs à ce sujet ?

Pour don­ner les moyens à cette filière d’hydrogène vert de pas­ser à l’échelle, la pre­mière des prio­ri­tés est de déve­lop­per des capa­ci­tés signi­fi­ca­tives d’énergies renou­ve­lables, solaire et éolien notam­ment en Europe et dans le reste du monde. Au cours des der­niers mois, nous avons pu nous rendre compte qu’en France nous étions très en retard sur les plans de déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables. Ce retard est conco­mi­tant à d’importants pro­blèmes sur notre parc nucléaire et à la situa­tion du mar­ché mon­dial du gaz ou la demande est net­te­ment supé­rieure à l’offre (guerre Rus­sie – Ukraine, embar­go sur l’Iran…) ce qui créent des ten­sions très fortes sur les prix et se réper­cutent sur le client final, par­ti­cu­lier ou l’entreprise.

Cela doit nous faire com­prendre que toutes les éner­gies ont des incon­vé­nients, des risques et des contraintes. La tran­si­tion vers une éco­no­mie décar­bo­née sera longue, cou­teuse finan­ciè­re­ment et socia­le­ment mais les solu­tions existent. 

La France et l’Europe doivent faire feu de tout bois et mobi­li­ser tous les acteurs pos­sibles pour créer des nou­veaux éco­sys­tèmes. Le pro­jet pilote NortH2 aux Pays-Bas par exemple per­met de tes­ter des nou­veaux « busi­ness model » sur toute la chaine de valeur. Nous devons pour­suivre et accé­lé­rer ces ini­tia­tives. Nous avons une oppor­tu­ni­té excep­tion­nelle que de pou­voir créer un nou­veau sys­tème éner­gé­tique pour une popu­la­tion de huit mil­liards d’habitants.

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