Issy-les-Moulineaux

« Lutter localement contre le dérèglement climatique passe par de multiples initiatives »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par André SANTINI

Les villes sont des acteurs clés de la poli­tique de décar­bo­na­tion et de neu­tra­li­té car­bone natio­nale. André San­ti­ni, ancien ministre, maire d’Issy-les-Moulineaux et vice-pré­sident de la Métro­pole du Grand Paris, nous explique com­ment cela se tra­duit sur son ter­ri­toire. Entretien.

Les villes ont un rôle stratégique à jouer afin de pouvoir décarboner les territoires et atteindre la neutralité carbone. Comment appréhendez-vous ce sujet ? 

Je par­tage cette vision et c’est pour cela que ce sujet est l’une des prio­ri­tés de mon man­dat. En com­plé­ment des efforts réa­li­sés depuis de nom­breuses années sur la construc­tion de bâti­ments avec une meilleure effi­ca­ci­té éner­gé­tique qui ont per­mis de réduire de 26 % les émis­sions durant les quinze der­nières années, en février 2021 la Ville s’est dotée d’un bud­get car­bone, adop­té à l’unanimité du Conseil muni­ci­pal sur l’exemple du modèle de la Ville d’Oslo. Le pro­ces­sus d’adoption de ce bud­get car­bone est iden­tique au bud­get finan­cier afin de don­ner la même valeur aux émis­sions de gaz à effet de serre (débat d’orientation cli­ma­tique, bud­get pri­mi­tif cli­mat et compte de résul­tat cli­mat). Celui-ci ins­taure un pla­fond annuel d’émission de gaz à effet de serre avec un plan d’action per­met­tant de réduire les émis­sions sur l’ensemble du ter­ri­toire en syner­gie avec les autres acteurs publics, les ménages et les entre­prises. En effet, si la Ville se doit d’être exem­plaire, ses émis­sions ne repré­sentent que 4 % des émis­sions totales, les ménages repré­sen­tant 57 % et les entre­prises 35 % et les autres acteurs publics 4 %. Le défi est donc col­lec­tif et la mobi­li­sa­tion de tous sera déter­mi­nante dans l’atteinte des objec­tifs ambi­tieux de l’Accord de Paris.

Dans ce cadre, quels sont les axes autour desquels vous vous mobilisez ? 

Il est impor­tant de rap­pe­ler que lut­ter loca­le­ment contre le dérè­gle­ment cli­ma­tique passe par de mul­tiples ini­tia­tives. Aux côtés de nos efforts en matière éner­gé­tique, nous devons paral­lè­le­ment tra­vailler à réduire les déchets ou à favo­ri­ser l’économie cir­cu­laire. Nous avons, par exemple, été par­mi les pre­miers à col­lec­ter les déchets d’équipements élec­tro­niques et d’électroménagers ou à ins­tal­ler des com­pos­teurs col­lec­tifs et des boîtes à dons dans nos dif­fé­rents quartiers. 

La Ville déploie un plan d’action qui se décline en 3 axes principaux :

  • Une exem­pla­ri­té interne et un tra­vail par­te­na­rial avec les autres acteurs publics ;
  • Une sen­si­bi­li­sa­tion des isséens ;
  • Une sen­si­bi­li­sa­tion des entre­prises et com­mer­çants du territoire.

Cette stra­té­gie se décline sur l’ensemble des sec­teurs prio­ri­taires de notre empreinte car­bone ter­ri­to­riale : bâti­ments rési­den­tiels (36 %), ter­tiaires (25 %), trans­ports (20 %) et déchets (16 %) afin de les réduire (-3,2 % en 2022) et en paral­lèle, un impor­tant tra­vail d’augmentation des puits de car­bone est fait sur le ter­ri­toire avec l’objectif de plan­ter 6 000 arbres sup­plé­men­taires sur le man­dat en com­plé­ment de la végé­ta­li­sa­tion de l’espace public et des cours d’école. En 2021 ce sont par exemple 500 arbres sup­plé­men­taires qui ont été plan­tés et 1 800 m² d’espaces déminéralisés.

Comment cela se traduit-il ? Pouvez-vous nous donner des exemples d’actions ou d’initiatives mises en place ? 

Les habi­tants du Fort d’Issy, qui sont chauf­fés depuis 2013 par la géo­ther­mie, en mesurent aujourd’hui les béné­fices sur leurs fac­tures. Même chose pour les habi­tants de notre troi­sième éco­quar­tier, Issy Cœur de Ville, qui béné­fi­cient de l’apport d’une éner­gie renou­ve­lable qui leur per­met en plus de béné­fi­cier d’un sys­tème inédit de rafraî­chis­se­ment. J’ai d’ailleurs deman­dé que les loca­taires des loge­ments sociaux situés en face du nou­veau quar­tier puissent éga­le­ment en profiter.

Pour sen­si­bi­li­ser la popu­la­tion, nous pro­dui­sons une web­sé­rie sur Issy.TV. Inti­tu­lée « Agir pour le cli­mat, ça com­mence par Issy », elle met tous les mois un coup de pro­jec­teur sur une ini­tia­tive concrète et répli­cable qui contri­bue à lut­ter contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ou à s’adapter à ses conséquences.

La Ville a, d’autre part, ini­tié en sep­tembre 2021, un défi inédit qui a mobi­li­sé une cen­taine de per­sonnes durant cinq mois, le défi zéro car­bone en par­te­na­riat avec l’écosystème ter­ri­to­rial asso­cia­tif et les acteurs publics. Ce fut une belle réus­site puisque les foyers concer­nés ont réduit sur la courte période leur empreinte car­bone de 13 % et leurs déchets de 21 %. Un guide éco-citoyen qui intègre les simu­la­teurs Data­gir de l’ADEME (Nos gestes cli­mat notam­ment) est acces­sible sur le site inter­net de la Ville et per­met de recen­ser les douze actions prio­ri­taires à mettre en place sim­ple­ment afin de tendre col­lec­ti­ve­ment vers la sobrié­té car­bone (2 tonnes de CO2/ an /personne d’ici 2050).

Je veux éga­le­ment citer la prio­ri­té accor­dée au déve­lop­pe­ment du vélo et aux véhi­cules élec­triques, comme c’est déjà le cas des bus de nos lignes urbaines ou notre parc auto­mo­bile, la cen­taine de bornes de recharges élec­triques en voi­rie ou l’offre de véhi­cules élec­triques en autopartage. 

Ou encore dans le domaine de l’hydrogène, que ce soit pour la mobi­li­té ou pour l’habitat. Une pre­mière sta­tion de ravi­taille­ment à hydro­gène per­met­tra à par­tir de l’automne 2022 d’alimenter les véhi­cules uti­li­sant cette énergie.

Issy-les-Moulineaux

Quels résultats avez-vous déjà obtenu ? Quels sont les prochains objectifs que vous vous êtes fixés ? 

Ces dif­fé­rentes ini­tia­tives ont été récom­pen­sées lors du 1er som­met de la trans­for­ma­tion durable où la Ville d’Issy a reçu le tro­phée Or dans la caté­go­rie acteurs publics. Suite à l’établissement du compte de résul­tat cli­mat 2020, la Ville a dimi­nué de 7,5 % ses émis­sions de gaz à effet de serre. Même s’il s’agit d’une année par­ti­cu­lière avec la crise sani­taire, on peut se réjouir de ce pre­mier résultat.

Confor­mé­ment à la poli­tique de trans­pa­rence de son action grâce à l’open data por­tée depuis 2012, la ville a publié les objec­tifs et les résul­tats dans un tableau de bord climatique. 

Quels sont toutefois les enjeux et les freins qui persistent au niveau des villes et des territoires dans cette démarche ?

Le défi est col­lec­tif et l’ensemble des acteurs doit tra­vailler main dans la main pour le rele­ver. Cela néces­site de dépas­ser les fron­tières ter­ri­to­riales et de rai­son­ner à une échelle la plus large pos­sible. Cette arti­cu­la­tion n’est pas tou­jours facile avec la mul­ti­pli­ci­té des éche­lons du mil­le­feuille ter­ri­to­rial. Cela mul­ti­plie d’autant les ini­tia­tives indi­vi­duelles sans recherche de cohé­rence, pour le seul plai­sir de se mettre en valeur. C’est dom­mage et pué­ril, mais c’est le fruit de notre com­plexi­té administrative. 

Mal­heu­reu­se­ment, il y a urgence, comme nous le rap­pellent les experts scien­ti­fiques du GIEC dans leur der­nier rap­port. La sen­si­bi­li­sa­tion et la conduite du chan­ge­ment au ser­vice d’une socié­té qui res­pecte les neuf limites pla­né­taires est un préa­lable néces­saire compte tenu de l’urgence cli­ma­tique et de l’inertie des gaz à effet de serre dans l’atmosphère une fois émis. Jean-Marc Jan­co­vi­ci l’a brillam­ment illus­tré dans son ouvrage, « Le monde sans fin ». Rendre dési­rable ce chan­ge­ment est indis­pen­sable afin de tendre indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment vers la divi­sion de nos émis­sions de gaz à effet de serre par cinq d’ici 2050. 

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