Nuward : réacteur SMR

SMR : le réacteur nucléaire nouvelle génération

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Renaud CRASSOUS (X97)
Par Sébastien LAVOREL (X01)

Dans cet entre­tien croi­sé, Renaud Cras­sous (X97) direc­teur du pro­jet SMR, et Sébas­tien Lavo­rel (X01), res­pon­sable au sein de la direc­tion pro­jet (exploi­ta­tion, main­te­nance et radio­pro­tec­tion) d’EDF, nous pré­sentent ce pro­jet nucléaire qui agrège de nom­breux indus­triels de réfé­rence fran­çais et qui fait l’objet d’une très forte com­pé­ti­tion à l’échelle internationale. 

Quel est le contexte autour du projet SMR ? 

Le pro­jet SMR NUWARD est né en France avec l’ambition de se posi­tion­ner comme le modèle de réfé­rence en Europe. Il s’intègre dans une ému­la­tion et une com­pé­ti­tion forte autour des SMR à une échelle mon­diale. Actuel­le­ment, on dis­tingue deux types de réacteurs : 

  • les réac­teurs à eau pres­su­ri­sée ou bouillante, dits de géné­ra­tion 3, qui ont un fonc­tion­ne­ment proche des réac­teurs actuel­le­ment en exploi­ta­tion dans le monde entier ; 
  • les réac­teurs AMR dits avan­cés, qui font appel à des tech­no­lo­gies qui relèvent de la R&D et de l’expérimentation, comme les réac­teurs à neu­trons rapides refroi­dis, aux sels fon­dus ou à haute température. 

NUWARD est un réac­teur de géné­ra­tion 3 qui va pré­sen­ter des carac­té­ris­tiques proches des réac­teurs actuels en termes de concep­tion, d’exploitation, de main­te­nance, de déman­tè­le­ment, et de cycle du com­bus­tible. Au niveau de la taille, les SMR peuvent prendre la forme de micro-réac­teurs de quelques méga­watts pour des usages spé­ci­fiques ou des réac­teurs d’une capa­ci­té de 200 à 500 méga­watts. NUWARD est conçu comme un réac­teur connec­té au réseau élec­trique haute-ten­sion qui a voca­tion à pro­duire de l’électricité et/ou de la cha­leur en cogé­né­ra­tion. Concrè­te­ment, il s’agit d’une ins­tal­la­tion indus­trielle, une cen­trale, qui a la même capa­ci­té de pro­duc­tion qu’un bar­rage ou qu’un champ éolien off­shore avec une cin­quan­taine d’éoliennes.


Lire aus­si : Mix éner­gé­tique : le rôle stra­té­gique des SMR et du pro­jet NUWARD™


Ces réacteurs SMR s’inscrivent dans un paysage nucléaire totalement modifié. Qu’en est-il ? 

Aujourd’hui, dans la course au SMR, sept modèles prin­ci­paux sont en com­pé­ti­tion, dont quelques-uns avec une tête de série en construc­tion ou en opé­ra­tion. L’objectif actuel de NUWARD™ est d’avoir un début de déploie­ment à hori­zon 2030. 

Le SMR émerge donc comme un seg­ment nou­veau de l’usage du nucléaire civil qui inté­resse et réunit des acteurs rela­ti­ve­ment nou­veaux. En matière de déve­lop­pe­ment, aux côtés des com­pa­gnies d’ingénierie et des déve­lop­peurs de réac­teurs connus sur le mar­ché, on retrouve aujourd’hui des start-up et des struc­tures dédiées qui créent des tech­no­lo­gies nou­velles et nous chal­lengent sur notre mar­ché historique. 

En paral­lèle, le pro­fil des clients a aus­si évo­lué. Sont ain­si inté­res­sés par ces SMR des indus­triels de taille signi­fi­ca­tive, des zones por­tuaires pour pou­voir se lan­cer dans la pro­duc­tion d’hydrogène pour ali­men­ter les bateaux, mais aus­si des élec­tri­ciens qui n’ont pas l’ossature pour se doter de gros réac­teurs. De nom­breux pays ont expri­mé leur inté­rêt pour cette tech­no­lo­gie comme la Répu­blique Tchèque, la Fin­lande, la Rou­ma­nie, la Pologne ou encore l’Estonie. Enfin, on note aus­si des chan­ge­ments au niveau du finan­ce­ment. Jusque-là, le nucléaire était finan­cé par les États ou des com­pa­gnies publiques. Aujourd’hui, des inves­tis­seurs pri­vés se posi­tionnent sur ce seg­ment et inves­tissent des dizaines, voire des cen­taines de mil­lions d’euros pour déve­lop­per ces tech­no­lo­gies SMR, qui res­tent tou­te­fois ris­quées et encore peu matures. 

Quel est le positionnement de NUWARD dans cette course au SMR ? 

Ce pro­jet est le fruit de la volon­té de plu­sieurs indus­triels fran­çais de déve­lop­per cette tech­no­lo­gie. On retrouve ain­si Tech­ni­cA­tome, qui a une com­pé­tence forte dans les réac­teurs inté­grés de petite taille ; Naval Group, qui a une com­pé­tence avé­rée dans l’industrialisation et les construc­tions modu­laires ; le CEA qui a une forte connais­sance dans le domaine nucléaire, ain­si que d’importantes capa­ci­tés de moyens d’essai et de déve­lop­pe­ment de codes de cal­cul ; et EDF, inté­gra­teur, spé­cia­liste de l’ingénierie nucléaire et exploi­tant, qui apporte toutes les com­pé­tences néces­saires au déve­lop­pe­ment de la cen­trale à eau pres­su­ri­sée. Récem­ment, nous avons été rejoints par Fra­ma­tome qui apporte, au-delà de ses com­pé­tences, sa force de frappe indus­trielle (ingé­nie­rie indus­trielle, fabri­ca­tion d’équipements…) et Trac­te­bel, un spé­cia­liste de l’ingénierie d’exploitation. 

Notre ambi­tion est de conti­nuer à étof­fer ce cercle de com­pé­tences, qui est pro­ba­ble­ment le plus riche et le plus com­plet, en com­pa­rai­son aux autres acteurs qui tra­vaillent sur le SMR. Cette com­bi­nai­son d’industriels, de leurs com­pé­tences et de leur savoir-faire va per­mettre d’optimiser le pas­sage de l’étape de l’ingénierie à l’industrialisation. Sans oublier que dans cette démarche, nous capi­ta­li­sons aus­si sur l’expérience his­to­rique et le retour d’expérience d’EDF dans le domaine nucléaire. L’objectif final est que notre pro­jet soit recon­nu comme la réfé­rence en la matière en Europe. 

Quelles sont les spécificités techniques du projet et ses principaux leviers de différenciation ? 

La com­pé­ti­ti­vi­té des SMR repose sur la capa­ci­té d’industrialisation et la sim­pli­ci­té du desi­gn. En effet, l’enjeu est non seule­ment de pou­voir conce­voir et déve­lop­per des sys­tèmes simples qui s’appuient sur des maté­riels faci­le­ment construc­tibles, mais aus­si de pou­voir mettre en place une logique d’assemblage de modules en usine afin de réduire la phase de construc­tion sur site. 

Les chan­tiers nucléaires sont com­plexes à mener et sont carac­té­ri­sés par de nom­breuses inter­faces. L’idée est donc de réduire signi­fi­ca­ti­ve­ment le nombre d’interfaces pour évi­ter les blo­cages, sécu­ri­ser des plan­nings courts et, in fine, mini­mi­ser les coûts. Cela demande de l’innovation dans la manière de tra­vailler. Par exemple, au niveau de la chau­dière, nous allons inté­grer les dif­fé­rents com­po­sants dans le bloc chau­dière ou dans l’enceinte pour limi­ter le volume du réac­teur et le nombre de cir­cuits. Cette façon de faire per­met d’avoir un module de petite taille et d’améliorer la constructibilité.

Dans le pas­sé, pour les gros réac­teurs, nous avons cher­ché à faire jouer l’économie d’échelle en amor­tis­sant le coût des maté­riaux par une pro­duc­tion plus impor­tante de kilo­watt­heures. Pour les SMR, la logique est dif­fé­rente : il s’agit de pri­vi­lé­gier une concep­tion plus simple et de rem­pla­cer les éco­no­mies d’échelle par une fabri­ca­tion en série dans une usine en amont capable de repro­duire des exem­plaires mul­tiples de modules grâce à une chaîne de pro­duc­tion et un chan­tier de construc­tion opti­mi­sés. Cette approche a fait ses preuves dans de nom­breux autres sec­teurs et nous sommes confiants quant à sa valeur ajou­tée pour notre projet. 

Et concrètement, où en est le projet ?

Nous sommes en phase d’avant-projet som­maire, l’étape durant laquelle nous défi­nis­sons l’architecture de la cen­trale, les prin­ci­pales options tech­no­lo­giques et le desi­gn. Elle sera fina­li­sée début 2023 et sera sui­vie de la phase de « basic desi­gn » qui va per­mettre de spé­ci­fier l’intégralité des équi­pe­ments et des sys­tèmes qui vont com­po­ser la cen­trale. En 2023, nous lan­ce­rons aus­si la phase de pré-indus­tria­li­sa­tion avec les four­nis­seurs d’équipements qui vont tra­vailler sur le pro­jet avec un focus sur l’optimisation des équi­pe­ments et de leur fabrication. 

Comment s’inscrira le SMR dans la démarche de décarbonation des usages énergétiques ? 

La décar­bo­na­tion de l’énergie passe par l’accès à une élec­tri­ci­té décar­bo­née. Les SMR auront voca­tion à rem­pla­cer les moyens de pro­duc­tion car­bo­nés pilo­tables (char­bon, pétrole et gaz) et à appor­ter une réponse à la demande crois­sante en élec­tri­ci­té. Mais pour fran­chir ce cap de la décar­bo­na­tion, il faut mobi­li­ser tous les efforts et toutes les éner­gies, non pilo­tables : l’éolien, le pho­to­vol­taïque, et pilo­tables : l’hydraulique, le nucléaire de grande et de petite taille. 

Et il faut également des compétences et des talents… 

En effet, la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et la décar­bo­na­tion des usages sont avant tout des enjeux humains. Dans un pro­jet comme NUWARD qui ambi­tionne de construire une capa­ci­té nucléaire com­plé­men­taire, nous hybri­dons et conju­guons de nom­breuses com­pé­tences. Aux pro­fils nucléaires viennent s’adjoindre des talents issus d’autres indus­tries afin d’apporter cette modu­la­ri­té, la sim­pli­fi­ca­tion du desi­gn, une construc­ti­bi­li­té faci­li­tée… autant de choses nou­velles dans le monde du nucléaire. 

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