Avec le dérèglement climatique, le manque d'eau en France pourrait atteindre des niveaux critiques

Manque d’eau en France : les dix prochaines années vont être cruciales

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Pierre RIBAUTE

Jusqu’ici, la France n’a glo­ba­le­ment pas man­qué d’eau, et nous consi­dé­rons sou­vent l’accès à cette res­source comme allant de soi. Jusqu’ici… Mais notre pays va bien­tôt entrer dans un rap­port nou­veau à l’eau : à l’abondance va suc­cé­der la rare­té. Les experts estiment en effet que d’ici 25 ans, le débit moyen de nos cours d’eau dimi­nue­ra de 10 à 40 % ; et le niveau des nappes phréa­tiques entre 10 et 25 %.

Avec le dérè­gle­ment cli­ma­tique, notre pays va en effet subir de fortes per­tur­ba­tions du cycle de l’eau. Avec de plus en plus de séche­resses, tou­chant des régions qui jusqu’à pré­sent pen­saient être à l’abri ; mais aus­si, para­doxa­le­ment, de plus en plus de pré­ci­pi­ta­tions extrêmes et leurs corol­laires – crues, inon­da­tions, débor­de­ment pos­sible des réseaux d’assainissement, dis­per­sion des pol­luants dans le milieu natu­rel… Dit autre­ment, nous allons alter­ner des épi­sodes avec « beau­coup trop d’eau », et de longues périodes avec « beau­coup trop peu » d’eau douce. 

Ce chan­ge­ment est déjà à l’œuvre : 30 % des ter­ri­toires ont déjà une insuf­fi­sance chro­nique des res­sources en eau ; et durant l’été 2022, plus de 90 dépar­te­ments ont été sou­mis à res­tric­tion. Mal­gré ces res­tric­tions de plus en plus fré­quentes, il sem­ble­rait que nous n’ayons pas encore tota­le­ment pris col­lec­ti­ve­ment la mesure des bou­le­ver­se­ments en cours. Si cet épi­sode esti­val nous appa­raît excep­tion­nel aujourd’hui, il est mal­heu­reu­se­ment repré­sen­ta­tif de ce qui nous attend dans la décen­nie en cours. Nous devons donc pré­pa­rer les esprits : la France va deve­nir un pays de séche­resses. Nous devons aus­si nous pré­pa­rer à faire face, en déployant diverses solu­tions tech­niques – elles existent ! – pour mieux pro­té­ger nos res­sources en eau.

D’abord, res­tau­rer le cycle natu­rel de l’eau. L’eau de pluie doit pou­voir s’infiltrer dans le sol et rejoindre les nappes souterraines. 

Limi­ter l’artificialisation des sols, voire les « désar­ti­fi­cia­li­ser » là où c’est est pos­sible, est un immense enjeu d’aménagement des ter­ri­toires. De nom­breuses col­lec­ti­vi­tés s’y emploient déjà, en choi­sis­sant par exemple des revê­te­ments poreux ou en redon­nant une place à la nature en ville. Plus grande per­méa­bi­li­té des sols, amé­lio­ra­tion de la qua­li­té de l’air, refroi­dis­se­ment des tem­pé­ra­tures… Les béné­fices sont multiples. 

En com­plé­ment, il convient de démul­ti­plier les solu­tions à toutes les échelles, des plus modestes (au niveau d’une mai­son) aux plus ambi­tieuses, pour déve­lop­per des res­sources en eau alter­na­tives et réduire nos pré­lè­ve­ments : récu­pé­ra­tion des eaux de pluie, recharge de nappes sou­ter­raines, réuti­li­sa­tion des eaux usées trai­tées… C’est main­te­nant que nous devons construire les infra­struc­tures dont nous aurons besoin dans 20 ans.

Même si le « manque d’eau » - de surface et dans les sols - sera une réalité, nous avons une décennie pour nous assurer que l’eau soit toujours aussi présente dans nos vies quotidiennes.

Il y a dans le domaine de la réuti­li­sa­tion des eaux usées trai­tées d’immenses marges de pro­gres­sion : en France, seules 0,2 % des eaux usées sont trai­tées et réuti­li­sées. En Espagne, c’est déjà 15 %, et 90 % en Israël. Grâce aux tech­no­lo­gies exis­tantes, les eaux ain­si trai­tées peuvent ser­vir pour l’irrigation des cultures, l’arrosage des villes, voire – 83 % des Fran­çais y sont favo­rables – pour la consom­ma­tion domes­tique d’eau potable. En Ven­dée, un pro­jet pion­nier en la matière, le pro­gramme Jour­dain, mené par Ven­dée Eau, ver­ra bien­tôt le jour, et pro­dui­ra une eau de très haute qua­li­té à par­tir des eaux usées. La réuti­li­sa­tion des eaux usées trai­tées, c’est une solu­tion locale, pérenne, et tota­le­ment renou­ve­lable… Les prin­cipes de l’économie cir­cu­laire en quelque sorte appli­qués à la res­source en eau seront ame­nés à pro­gres­si­ve­ment deve­nir la norme. 

Troi­sième levier : il faut inves­tir dans les réseaux d’eau. Dans leur inter­con­nexion à l’échelle des ter­ri­toires, pour qu’une soli­da­ri­té puisse s’opérer entre com­munes. Dans leur intel­li­gence éga­le­ment : la digi­ta­li­sa­tion per­met, outre le pilo­tage dyna­mique des réseaux, de mieux détec­ter les fuites, de cibler les réno­va­tions les plus utiles et de pro­gram­mer rapi­de­ment les inter­ven­tions adap­tées, et donc de géné­rer des éco­no­mies d’eau, pour in fine moins pré­le­ver dans la res­source. Dans la rela­tion aux usa­gers enfin, pour conti­nuer à les inci­ter à la sobrié­té, évi­ter les gas­pillages tout en pré­ser­vant leur qua­li­té de vie, et un rap­port posi­tif à l’eau.

Toutes ces solu­tions, et je n’en ai cité ici que quelques-unes, nous devons sans tar­der les mettre en œuvre, col­lec­ti­ve­ment et mas­si­ve­ment ; car les dix ans à venir seront cru­ciaux pour faire émer­ger, et concré­ti­ser, les pro­jets dont nous avons besoin pour rele­ver les défis sur la res­source en eau cau­sés par le réchauf­fe­ment climatique.

Une condi­tion essen­tielle pour le suc­cès de ces pro­jets est qu’acteurs publics et entre­prises pri­vées tra­vaillent plus encore main dans la main, appor­tant pour les pre­miers leur légi­ti­mi­té et leur vision, pour les autres leurs com­pé­tences et leurs solu­tions. C’est en France que les métiers de l’eau ont été inven­tés au XIXe siècle, c’est aus­si en France que nous pou­vons inven­ter les métiers de l’eau de demain.

L’eau sera, sans nul doute, la mani­fes­ta­tion la plus tan­gible du chan­ge­ment cli­ma­tique en France, et j’espère que ces lignes auront réus­si à par­ta­ger le sen­ti­ment d’une urgence à agir. Il n’y a pas de fata­li­té. Même si le « manque d’eau » – de sur­face et dans les sols – sera une réa­li­té, nous avons une décen­nie pour nous assu­rer que l’eau soit tou­jours aus­si pré­sente dans nos vies quotidiennes.

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