Réussir la transition écologique

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Anaïs GOBURDHUN (D19)

À l’École poly­tech­nique, on y forme des ingé­nieurs. La décar­bo­na­tion est un enjeu cli­ma­tique essen­tiel aujourd’hui qui concerne toute géné­ra­tion et tout sec­teur d’entreprise. Ren­contre avec une jeune femme pas­sion­née au par­cours d’excellence, enga­gée dans la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, Anaïs Goburd­hun (D19), Metho­do­lo­gy deve­lo­per chez ADEME.

Quelles sont les valeurs que portent l’ADEME ?

L’ADEME est enga­gée pour la tran­si­tion éco­lo­gique, dans la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et la dégra­da­tion des res­sources. Sur le ter­rain, l’ADEME mobi­lise tous les acteurs : citoyens, socié­tés, col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales afin de leur don­ner les moyens de pro­gres­ser vers une tran­si­tion éco­lo­gique réus­sie et sur­tout durable. Face à l’urgence dans laquelle nous sommes et qui gran­dit jour après jour, l’ADEME s’est fixée des objec­tifs ambi­tieux. L’heure n’est plus à la prise de conscience mais bien à la mobi­li­sa­tion géné­rale. Il faut faire vite et bien. 

L’ADEME pos­sède une exper­tise unique : tout d’abord conseiller, puis pro­po­ser des démarches et des métho­do­lo­gies, émettre des recom­man­da­tions, rendre des avis, réa­li­ser des études avec une approche rigou­reuse, sans occul­ter les incer­ti­tudes. Si aujourd’hui, on peut dire que la bataille du cli­mat est loin d’être gagnée, elle n’est, en tout cas, pas encore perdue. 

Qu’est-ce qu’une stratégie bas carbone ? 

C’est l’ensemble de mesures que l’entreprise va prendre, comme se fixer des objec­tifs de décar­bo­na­tion (y com­pris sur ses émis­sions indi­rectes lorsqu’elles sont signi­fi­ca­tives), pré­voir des inves­tis­se­ments dans des actifs qui émettent moins, ou encore déve­lop­per de nou­veaux modèles d’affaires com­pa­tibles avec l’Accord de Paris de limi­ter le réchauf­fe­ment à moins de 2 °C par rap­port aux niveaux pré­in­dus­triels. C’est le pre­mier pas vers une éco­no­mie bas-carbone. 

Quels sont les objectifs de l’Initiative ACT, lancée en 2015 ? 

En un mot, la décar­bo­na­tion. Lors de la COP21 de Paris en 2015, l’ADEME et le CDP ont mis en com­mun leurs com­pé­tences pour fon­der une métho­do­lo­gie inter­na­tio­nale per­met­tant d’évaluer les entre­prises dans leur stra­té­gie bas-car­bone, appe­lée ACT : Asses­sing low-Car­bon Tran­si­tion. L’initiative est ins­crite à l’agenda de l’action de la CCNUCC Conven­tion Cadre Nations Unies sur les Chan­ge­ments Climatiques.

ACT a com­men­cé avec une phase pilote en 2015 avec les déve­lop­pe­ments des sec­teurs élec­tri­ci­té, construc­teurs auto­mo­biles et retail/distribution. J’ai inté­gré l’équipe au moment de la phase de déploie­ment en 2019.

“C’est l’essence de notre mission et le sens de notre vœu initial : engager toute entreprise tous secteurs confondus à décarboner. Nous sommes là pour les orienter, et mettre à disposition la méthode et les outils.” 

Je déve­loppe des métho­do­lo­gies sec­to­rielles qui consistent à éva­luer des entre­prises d’un sec­teur don­né, défi­nir des indi­ca­teurs, choi­sir des scé­na­rios de décar­bo­na­tion, les bonnes métriques pour éva­luer les entre­prises dans leur stra­té­gie bas-car­bone… Les sec­teurs déve­lop­pés en prio­ri­té sont bien évi­dem­ment ceux les plus contri­bu­teurs en termes d’émissions de gaz à effet de serre et d’impact sur le cli­mat : pétrole et gaz, trans­port, agri­cul­ture et agroa­li­men­taire, ciment, acier…

Pour déve­lop­per chaque métho­do­lo­gie sec­to­rielle, nous tra­vaillons avec un groupe de tra­vail tech­nique : entre­prises du sec­teur, experts, ONG, aca­dé­miques… par­tagent leur exper­tise et leur expé­rience afin de défi­nir une métho­do­lo­gie ambi­tieuse et adap­tée. Dans un second temps, nous réa­li­sons une expé­ri­men­ta­tion avec des entre­prises volon­taires afin de confron­ter la méthode à des don­nées concrètes et réa­li­ser une mise à jour tout en gar­dant les mêmes objectifs.

Aujourd’hui, 7 ans après le lancement de l’initiative ACT en 2015, les objectifs ont-ils été atteints ? 

Les objec­tifs de la phase de déploie­ment de l’initiative ont été atteints et de nou­veaux hori­zons s’ouvrent. L’initiative a notam­ment béné­fi­cié du sou­tien finan­cier de l’ADEME et de Cli­mate KIC afin de déve­lop­per des méthodes pour enga­ger le maxi­mum d’entreprises à prendre conscience des enjeux et à les inci­ter à éva­luer leur stra­té­gie car­bone. On peut d’ores et déjà se satis­faire en par­tie en réa­li­sant que, 7 ans plus tard, le tra­vail est bien engagé.

En revanche, dire que les objec­tifs cli­ma­tiques ont été atteints relève encore de l’utopie. Les entre­prises prennent pro­gres­si­ve­ment conscience des enjeux mais la route est encore longue et les actions annon­cées par les entre­prises manquent sou­vent d’ambition. Un des objec­tifs de ACT est de lut­ter contre le green­wa­shing, mais pour l’heure, la réa­li­sa­tion d’une éva­lua­tion ACT est volontaire. 

À la suite de l’expérimentation du sec­teur agroa­li­men­taire, je me sou­viens du retour encou­ra­geant d’entreprises pilotes disant que la métho­do­lo­gie allait leur ser­vir de cadre afin de mettre en place de nou­velles actions. Cela a concer­né par exemple la dimi­nu­tion du gas­pillage ali­men­taire, ou encore la défi­ni­tion d’objectifs de réduc­tion d’émissions. C’est l’essence même de notre mis­sion et le sens de notre vœu ini­tial : enga­ger toute entre­prise tous sec­teurs confon­dus à décar­bo­ner. Nous sommes là pour les orien­ter, et mettre à dis­po­si­tion la méthode et les outils. 

Étudiante à Polytechnique, vous aviez soutenu une thèse sur l’économie appliquée au changement/risques climatiques à l’Agriculture, une carrière prédestinée ? 

Très jeune, j’ai été inter­pel­lée par l’urgence cli­ma­tique. C’est donc tout natu­rel­le­ment que je me suis orien­tée vers une for­ma­tion d’ingénieur à Agro­Pa­ris­Tech. Après mon cur­sus d’ingénieur, j’ai eu la chance d’intégrer l’X pour y réa­li­ser ma thèse au sein du dépar­te­ment d’économie. Mes tra­vaux ont por­té sur les risques cli­ma­tiques et leur impact sur l’agriculture et les pays en déve­lop­pe­ment. Avec mon direc­teur de thèse déjà spé­cia­li­sé sur les risques liés au cli­mat, nous avions au préa­lable bien déter­mi­né le pro­jet de ma thèse. C’était un de ces pro­fes­seurs qui vous forgent une destinée. 

Grâce au par­te­na­riat qui existe entre le Mas­sa­chu­setts Ins­ti­tute of Tech­no­lo­gy MIT à Cam­bridge aux États-Unis et l’École poly­tech­nique, j’ai pu béné­fi­cier de cette for­ma­tion hors du com­mun. L’X et le labo­ra­toire auquel j’étais rat­ta­chée m’ont per­mis de réa­li­ser ce pro­jet, grâce à un sou­tien à la fois admi­nis­tra­tif et finan­cier. Là-bas, j’ai avan­cé sur mes pro­jets de recherche auprès de cli­ma­to­logues, éco­no­mistes, socio­logues… avec une vision plus trans­verse. Clô­tu­rer son ensei­gne­ment supé­rieur dans de si bonnes condi­tions a été pour moi une expé­rience pro­fes­sion­nelle et per­son­nelle excep­tion­nelle. La somme de ces ensei­gne­ments poin­tus a très vite orien­té mon pro­fil sur les enjeux à la fois scien­ti­fiques, poli­tiques et éco­no­miques du cli­mat, ce que j’avais tou­jours souhaité. 

Polytechnique, le MIT, cette voie royale vous a‑t-elle défini très tôt dans ce rôle de lutte contre le changement climatique ? 

Défi­ni­ti­ve­ment, elle m’a don­né une exper­tise sur le chan­ge­ment cli­ma­tique, j’ai pu béné­fi­cier d’un ensei­gne­ment d’exception. C’est impor­tant de le sou­li­gner car l’École poly­tech­nique offre cette chance unique. Le cli­mat concerne la pla­nète entière mais chaque conti­nent a sa manière d’aborder les choses.

En tant que collaboratrice à l’ADEME et professionnelle engagée dans la lutte contre le changement climatique, quel est votre vœu pour l’avenir ?

Le nou­veau rap­port du GIEC pré­cise qu’il ne pour­ra pas y avoir d’avancée sur le cli­mat sans jus­tice sociale. En effet, il semble impos­sible d’exiger un effort col­lec­tif sur le cli­mat quand une mino­ri­té consomme le bud­get car­bone annuel de plu­sieurs per­sonnes en à peine quelques heures dans l’espace… Donc une vraie poli­tique de lutte contre les inéga­li­tés de richesse consti­tue­rait un réel progrès. 

Aujourd’hui, déjà 1 entre­prise sur 5 s’est enga­gée sur la voie de la décar­bo­na­tion, que toute socié­té suive cette voie, voi­là mon vœu. Pour que le rêve se réa­lise, le seul che­min à emprun­ter est celui de la légis­la­tion : qu’il y ait des régle­men­ta­tions sur le cli­mat contrai­gnantes plu­tôt que déclaratives.

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