Sous-marin nucléaire d’attaque. Suffren premier de série du programme. Barracuda admis au service opérationnel en 2022.

« La propulsion nucléaire militaire connaît une période faste et recrute massivement »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Laurent SELLIER (X87)

Tout comme le nucléaire civil, le nucléaire mili­taire connaît une forte acti­vi­té avec des pro­grammes qui vont mobi­li­ser la filière sur les 30 pro­chaines années. Laurent Sel­lier (X87), direc­teur de la pro­pul­sion nucléaire à la direc­tion des appli­ca­tions mili­taires du CEA (CEA/DAM), dresse pour nous un état des lieux et nous en dit plus sur les pers­pec­tives et les enjeux de cette filière. Rencontre.

Le CEA/DAM dispose d’une expertise avérée en matière de propulsion et de chaufferie nucléaire. Qu’en est-il ?

Le CEA/DAM exerce la fonc­tion de maî­trise d’ouvrage pour tous les pro­jets de pro­pul­sion nucléaire. Il pilote l’ensemble des savoir-faire de ses maî­trises d’œuvre indus­triel­less et des orga­nismes éta­tiques concer­nés. En sa qua­li­té de maître d’ouvrage, le CEA/DAM passe des contrats à Tech­ni­cA­tome, en charge du déve­lop­pe­ment et de la concep­tion, et à Naval Group qui s’occupe de la fabri­ca­tion des capa­ci­tés prin­ci­pales puis du module réac­teur des chauf­fe­ries nucléaires. Dans ce cadre, l’ensemble de la pro­prié­té intel­lec­tuelle sur l’ensemble de la chaîne de valeur est et reste la pro­prié­té du CEA. D’ailleurs, une grande par­tie des outils logi­ciels qui per­mettent de com­prendre et simu­ler le fonc­tion­ne­ment d’une chauf­fe­rie est réa­li­sée par le CEA (direc­tion des éner­gies ou CEA/DES). Il en est de même pour la plu­part des codes qui sont uti­li­sés et mis en œuvre par les indus­triels. 

Pour exer­cer cette exper­tise, nous avons une orga­ni­sa­tion rela­ti­ve­ment simple avec un chef de pro­jet par type de chauf­fe­rie qui s’appuie sur dif­fé­rents experts du CEA/DAM, ain­si que sur les com­pé­tences du CEA/DES. En paral­lèle, nous nous appuyons aus­si sur un orga­nisme unique en son genre, le ser­vice tech­nique mixte des chauf­fe­ries nucléaires ou STXN, qui regroupe l’ensemble des sachants du domaine nucléaire de la marine, de la DGA et du CEA. La salle café du STXN réunit tous les jours des phy­si­ciens du nucléaire, des archi­tectes de réac­teurs et des exploi­tants de chauf­fe­ries. 

Les pro­grammes nucléaires mili­taires s’enchaînent avec beau­coup de rythme. Ain­si, depuis 2018, nous avons fait diver­ger trois nou­velles chauf­fe­ries nucléaires : le réac­teur d’essai (RES) à Cada­rache et deux chauf­fe­ries pour les deux pre­miers sous-marins du pro­gramme Bar­ra­cu­da, pro­gramme de sous-marins nucléaires d’attaque.

Comment cette expertise a‑t-elle évolué au cours des décennies ?

His­to­ri­que­ment, cette exper­tise était por­tée par le CEA qui s’appuyait sur la DGA pour les fabri­ca­tions des grosses capa­ci­tés. Puis du CEA est né Tech­ni­cA­tome, qui est aujourd’hui le maître d’œuvre des chauf­fe­ries nucléaires. L’industriel est le fruit de la réunion du dépar­te­ment de la construc­tion des piles et du dépar­te­ment de la pro­pul­sion nucléaire du CEA dans les années 70. Plus récem­ment, à la fin des années 1990, la Direc­tion des construc­tions navales, qui depuis est deve­nue Naval Group, est sor­tie à son tour du giron éta­tique, de la DGA pour ce qui la concerne. Au début des années 2000, la Direc­tion de la Pro­pul­sion Nucléaire (DPN), rat­ta­chée au CEA/DAM, devient donc le maître d’ouvrage unique des pro­grammes de chauf­fe­ries nucléaires embar­quées. 

Aujourd’hui, cette sépa­ra­tion entre la maî­trise d’ouvrage et la maî­trise d’œuvre est défi­ni­ti­ve­ment actée. Il y a un don­neur d’ordre et des indus­triels four­nis­seurs. 

Dans son rôle de maître d’ouvrage, le CEA/DAM est aus­si en charge du main­tien des com­pé­tences et de l’expertise sur les chauf­fe­ries nucléaires dans le temps, tant en termes de concep­tion, de pro­duc­tion que d’exploitation, et ce, au CEA comme dans l’industrie. 

C’est une res­pon­sa­bi­li­té qui s’appuie sur des enchaî­ne­ments cycliques de pro­grammes de chauf­fe­ries pour per­pé­tuer un savoir-faire à la fois recon­nu et fra­gile : SNLE type Le Redou­table, SNA type Rubis, SNLE type Le Triom­phant, porte-avions Charles-de-Gaulle, SNA type suf­fren, SNLE 3G, porte-avions de nou­velle géné­ra­tion… 

Et aujourd’hui, quels sont les sujets et enjeux qui vous mobilisent ? 

Notre prin­ci­pal enjeu est de livrer les chauf­fe­ries nucléaires dans le calen­drier des pro­grammes de navires à pro­pul­sion nucléaire. Aujourd’hui, nous avons un calen­drier de déve­lop­pe­ment et de pro­duc­tion qui va nous conduire à livrer 9 chauf­fe­ries nucléaires sur les 20 pro­chaines années. 

Avec cet enjeu, nous avons le devoir de main­te­nir les com­pé­tences de la pro­pul­sion nucléaire, de les faire évo­luer et de les régé­né­rer. Pour ce faire, nous avons l’opportunité de lan­cer des pro­grammes nou­veaux et inno­vants d’ampleur pour atti­rer de jeunes ingé­nieurs, afin de leur trans­mettre les com­pé­tences et les exper­tises déve­lop­pées par leurs aînés autour des pré­cé­dents pro­grammes. Nous avons trois pro­grammes en cours. Nous sommes en mesure de garan­tir une acti­vi­té conti­nue de concep­tion et de pro­duc­tion chez nos indus­triels qui ont ain­si les moyens de pro­duire des chauf­fe­ries nucléaires alliant les meilleures per­for­mances et le plus haut niveau de sûre­té. Avec la remon­tée du nucléaire civil, nous avons un enjeu encore plus impor­tant en matière de main­tien de com­pé­tences. En effet, le risque est fort que l’ingénierie nucléaire civile recrute nombre de ses ingé­nieurs dans le vivier aujourd’hui en charge des pro­grammes mili­taires. C’est pour­quoi nous met­tons en avant avec la pro­pul­sion nucléaire notre capa­ci­té à pro­po­ser dans la conti­nui­té et la durée des pro­jets à dif­fé­rents stades – concep­tion, déve­lop­pe­ment, pro­duc­tion, exploi­ta­tion – à tous les ingé­nieurs pas­sion­nés de phy­sique nucléaire : la pro­pul­sion nucléaire, c’est vrai­ment la pos­si­bi­li­té pour ces ingé­nieurs de tra­vailler sur tous les stades de pro­jets, depuis la concep­tion jusqu’à la mise en ser­vice. 

Et aujourd’hui, qu’est-ce que ce secteur en plein développement peut offrir à de jeunes diplômés de l’École ? 

His­to­ri­que­ment, nous avons tra­vaillé en série. D’abord sur la concep­tion et le déve­lop­pe­ment des pre­miers sous-marins nucléaires lan­ceurs d’engins (type Le Redou­table) qui ont ser­vi à par­tir des années 70. S’en sont sui­vi les sous-marins nucléaires d’attaque qui ont été mis en ser­vice au début des années 80. Les pre­miers SNLE ont ensuite été rem­pla­cés par les SNLE de 2e géné­ra­tion dont les chauf­fe­ries ont été éga­le­ment embar­quées sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Actuel­le­ment, nous entrons dans une période de réno­va­tion de tous ces bâti­ments et de leurs chauf­fe­ries en même temps. Nous sommes ain­si mobi­li­sés sur la pro­duc­tion du pro­gramme Bar­ra­cu­da (SNA de type Suf­fren), en même temps que le déve­lop­pe­ment des pro­grammes de SNLE de 3e géné­ra­tion et de porte-avions nucléaire de nou­velle géné­ra­tion qui entre­ront en ser­vice dans les années 30. 

Ain­si, la pro­pul­sion nucléaire mili­taire connaît une période faste et recrute mas­si­ve­ment dans les domaines éta­tiques et indus­triels. Ce domaine, très inté­res­sant sur le plan scien­ti­fique, avec notam­ment des enjeux de sûre­té et de qua­li­té très pous­sés, peut offrir de très belles car­rières aux diplô­més de l’École qu’ils soient issus du corps de l’Armement ou non, d’ailleurs. 

Pour un jeune ingé­nieur, c’est la pos­si­bi­li­té de com­men­cer une car­rière scien­ti­fique dans la phy­sique nucléaire, avant d’évoluer vers des fonc­tions de chefs de pro­jet. Plus par­ti­cu­liè­re­ment, au regard des pro­jets qui nous mobi­lisent, c’est encore la pos­si­bi­li­té de se consa­crer pen­dant plu­sieurs années à des pro­jets phares de l’industrie nucléaire et d’avoir ain­si la pos­si­bi­li­té de suivre l’évolution, étape par étape, d’un pro­gramme. 

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