La conspiration du Caire / Reprise en main / Les Harkis / L’innocent / Armageddon Time

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Christian JEANBRAU (63)

Une ses­sion assez déce­vante avec trois bons films, deux ambi­tions ciné­ma­to­gra­phiques inabou­ties et des décep­tions, par­mi les­quelles des titres que la cri­tique encense. Ain­si on ne sau­rait trop décon­seiller Mas­ca­rade (de Nico­las Bedos – 2 h 22), émi­nent ratage bour­sou­flé et confus où l’on ne recon­naît pas l’auteur talen­tueux de Mon­sieur & Madame Adel­man et de La Belle Époque. On pour­ra éga­le­ment se dis­pen­ser de Close (de Lukas Dhont – 1 h 45), insi­pide mélo, négli­ger L’école est à nous (d’Alexandre Cas­ta­gnet­ti – 1 h 48), inutile et hors-sol, et pas­ser sans s’arrêter devant Le Petit Nico­las (d’Amandine Fre­don & Ben­ja­min Mas­soubre – 1 h 31), néan­moins gen­tillet. Res­tent, pour jus­ti­fier et qui jus­ti­fient une chronique…

La conspiration du Caire

Réa­li­sa­teur : Tarik Saleh – 2 h

Voi­là un bon et même un très bon film. Il est construit entre paren­thèses (même scène d’ouverture et de fin) comme l’est l’action, qui va creu­ser dans la vie du héros une sorte de trou noir dont il par­vien­dra mira­cu­leuse-ment à sor­tir. Une plon­gée dans les affron­te­ments de pou­voir entre le poli­tique et le reli­gieux, où aucune éthique ne pré­vaut. Égypte ? Cela se passe là mais pour­rait se pas­ser ailleurs. Le Nom de la rose ? On a fait le rap­pro­che­ment. Oui et non, proche et loin. Autre visée. À noter, en (très) faux Sean Conne­ry, Fares Fares, excellent. C’est lent, ten­du, orga­ni­sé, pré­cis, ins­truc­tif et assez éton­nant. 


Reprise en main

Réa­li­sa­teur : Gilles Per­ret – 1h47

Très bien ! Des acteurs par­fai­te­ment convain­cants, des pay­sages de mon­tagne splen­dides et une his­toire solide. En pré­ser­vant une touche d’humour, la ques­tion sociale trai­tée, robuste, hélas trop clas­sique et mal­heu­reuse-ment per­ti­nente, s’installe dans toute sa dimen­sion. C’est clair, bien posé et – on veut le croire pour sor­tir de là opti­miste – cré­dible jusqu’au bout. C’est aus­si une his­toire d’amitié et qui touche. Des copains de lycée, un bel ancrage social, l’image forte des hommes au tra­vail, l’impitoyable cynisme de la finance, on a déjà vu ça sans doute, mais un petit par­fum d’autre chose flotte ici, dont une facette sou­vent négli­gée de la rela­tion entre les sexes, pos­sible et équi­li­brée, qui signe une vraie réussite.


Les Harkis

Réa­li­sa­teur : Phi­lippe Fau­con – 1h22

Le sujet abor­dé impose d’en par­ler. J’avais beau­coup aimé en 2005 La tra­hi­son, du même réa­li­sa­teur, sub­til et atta­chant sur ces mêmes « évé­ne­ments » d’Algérie. Cette fois-ci, dans le sou­ci peut-être de main­te­nir une forme d’équilibre, ou dans l’éloignement du temps qui passe et gomme tout, une autre tra­hi­son, celle des har­kis par la France, peine à se mettre en lumière. L’effort péda­go­gique y est, mais les rap­ports humains appa­raissent mal dans leur pro­fon­deur. Au cas­ting, Théo Chol­bi, le « bon » lieu­te­nant Pas­cal, manque trop de cha­risme et affa­dit un rôle poten­tiel­le­ment héroïque. Les acteurs, algé­riens, maro­cains, sont tous très bien, très convain­cants. Mais à vou­loir res­ter dans la rete­nue, en limi­tant le pathos, Phi­lippe Fau­con en arrive presque à flou­ter sa démons­tra­tion-dénon­cia­tion. Tout est là, mais… 


L’innocent

Réa­li­sa­teur : Louis Gar­rel – 1h39

Hila­rant (dit l’affiche) ? Non, mais sou­vent amu­sant et goû­teux de bout en bout. Les acteurs sont excel­lents der­rière le qua­tuor de tête, Noé­mie Mer­lant (déli­cieuse), Louis Gar­rel (très convain­cant en téné­breux tor­tu­ré), Rosch­dy Zem (impec­cable) et Anouk Grin­berg (en allu­mée atten­dris­sante). Dans un mélange des genres savou­reux, on suit avec beau­coup de plai­sir des déve­lop­pe­ments scé­na­ris­tiques qui font leur place à quelques mor­ceaux d’anthologie, dont une for­mi­dable mise en abyme du jeu d’acteur dans un garage où la pré­pa­ra­tion d’un casse un peu foi­reux et sym­pa­thique va per­mettre l’éclosion des sen­ti­ments. Diver­tis­se­ment conseillé ! 


Armageddon Time

Réa­li­sa­teur : James Gray – 1h55

Une recherche ratée du temps per­du. « Le » James Gray annon­cé à son de trompe ? Vrai­ment ? Eh bien, oui ! Il faut l’affirmer et l’assumer. Un gamin insup­por­table, des parents débor­dés, des nota­tions conve­nues sur l’Amérique rea­ga­nienne et raciste des années 1980. On se demande où est le grand film qu’a vu la presse. Des dénon­cia­tions molles qui ne nous apprennent rien qu’on ne sache déjà. Une rela­tion grand-père/­pe­tit-fils qui relève du chro­mo. Anne Hatha­way est tou­chante et Antho­ny Hop­kins fati­gué. On s’ennuie un peu. Tout ça débouche sur pas grand-chose. À vingt-cinq ans, James Gray avait réus­si un coup de maître : Lit­tle Odes­sa. À y réflé­chir, trente ans et six ou sept films plus tard, son der­nier opus sou­ligne qu’il n’a jamais com­plè­te­ment tenu la pro­messe ini­tiale. 

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