Pour le plaisir

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Jean SALMONA (56)

De chaque livre ouvert il me plaît d’espérer pour le moins du plai­sir, peut-être du savoir et, qui sait, de la sagesse.

Georges Duha­mel

Cette phrase de Duha­mel, bien connue – sur­tout des can­di­dats au bac –, pour­rait s’appliquer muta­tis mutan­dis à la musique. N’en déplaise à cer­tains esprits cha­grins, n’est-ce pas du plai­sir tout d’abord que l’on peut attendre de toute musique ? 

Les premiers quatuors de Mendelssohn

L’excellent Qua­tuor Van Kuijk, qua­tuor jeune et fran­çais, a entre­pris d’enregistrer l’intégrale des qua­tuors de Men­dels­sohn et nous livre en un pre­mier volume les trois pre­miers, les opus 12 et 13 et le pre­mier de l’opus 44. Bien sûr, l’ombre de Bee­tho­ven et de ses qua­tuors est omni­pré­sente mais, avant toute réfé­rence, avant même la recherche de ce soup­çon de trans­cen­dance que l’on espère chez tout grand musi­cien, c’est la beau­té de la ligne mélo­dique et la finesse du contre­point qui nous trans­portent, qua­tuor après qua­tuor, mou­ve­ment après mou­ve­ment. Quel plai­sir ! Cela sera moins vrai par la suite, jusqu’au tra­gique Qua­tuor op. 80, mais nous en par­le­rons dans une pro­chaine chronique. 

1 CD ALPHA

De la Belle Époque aux Années folles

Rey­nal­do Hahn (1874−1947) était sur­doué. Il aurait pu, comme Mil­haud et le groupe des Six, s’essayer à l’innovation mais il aura choi­si d’être, comme Proust en lit­té­ra­ture, le musi­cien du plai­sir, du plai­sir raf­fi­né, sub­til et sen­suel. Ses pièces pour ensemble cho­ral, que vient de révé­ler l’ensemble Accen­tus, sont de pures gemmes. Sur des textes de Baïf, Charles d’Orléans, Ban­ville, Hugo, il joue avec les har­mo­nies sans jamais heur­ter l’oreille par des dis­so­nances mal­ve­nues. Écou­tez Pleu­rez avec moi, poème d’Agrippa d’Aubigné, écou­tez À la lumière, sur un texte d’Anatole France (1er enre­gis­tre­ment mon­dial) et lais­sez-vous aller : c’est le nir­va­na. Sur le même disque, de jolis chants de Saint-Saëns qui, mort en 1921, aura connu aura connu la Belle Époque et les débuts des Années folles..

1 CD ALPHA

Sous le titre Croi­sette, opé­rettes des Années folles, l’Orchestre natio­nal de Cannes diri­gé par Ben­ja­min Levy vient d’enregistrer une antho­lo­gie d’extraits d’opérettes de Chris­ti­né, Mau­rice Yvain, Moïse Simons, et aus­si d’André Mes­sa­ger et Rey­nal­do Hahn, avec une pléiade de bons solistes comme ‑Patri­cia Peti­bon et Amel Bra­him-Djel­loul. À l’exception de Hahn et Mes­sa­ger, cela ne vole pas très haut en matière musi­cale ; mais ces pièces popu­laires, tendres ou endia­blées, au charme un peu kitch, témoignent d’une insou­ciance déses­pé­rée alors que s’amoncellent les nuages qui pré­cèdent la grande catastrophe.

1 CD ERATO

Deux violonistes d’exception

Sous le titre Roots (racines), le grand et inclas­sable Neman­ja Radu­lo­vić a enre­gis­tré un kaléi­do­scope de pièces popu­laires ou folk­lo­riques dont cha­cune est sup­po­sée être carac­té­ris­tique d’une nation. On pas­se­ra sur les pays proches pour s’attarder sur
la Macé­doine, la Bos­nie, la Rou­ma­nie, la ‑Mol­da­vie, le Japon, qui nous font décou­vrir de très jolies musiques.

1 CD WARNER

Augus­tin Hade­lich, lui, nous pré­sente deux concer­tos pour vio­lon : celui de Ben­ja­min Brit­ten et le n° 2 de Pro­ko­fiev, avec l’Orchestre sym­pho­nique WDR diri­gé par Cris­tian Măce­la­ru. Le Concer­to de Brit­ten a été com­po­sé en réac­tion à la guerre civile espa­gnole. Là, il n’est plus ques­tion de plai­sir : c’est une œuvre déchi­rante que Brit­ten consi­dé­rait comme une de ses œuvres majeures et que l’on ne peut écou­ter les yeux secs. Seule l’extrême dif­fi­cul­té tech­nique de l’écriture explique que ce concer­to, un des plus forts du xxe siècle, soit si peu joué. Le Concer­to n° 2 de Pro­ko­fiev, oni­rique, vient à point après celui de Brit­ten pour un retour au calme et l’on retrouve le plai­sir simple avec la brillante Fan­tai­sie sur Car­men de Sara­sate et les déli­cieux Sou­ve­nirs de l’Alhambra de Tár­re­ga. En défi­ni­tive, le plai­sir se mérite.

1 CD WARNER

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