Mesure de l'empreinte carbone en vue de sa réduction

Industrialiser la mesure de l’empreinte carbone pour atteindre la neutralité

Dossier : ExpressionsMagazine N°778 Octobre 2022
Par Vincent BLACLARD (X08)

Pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone, le défi des grands groupes consiste tout d’abord à cal­cu­ler son empreinte car­bone. Cer­tains grands groupes ont amor­cé un chan­ge­ment de culture du trai­te­ment de la don­née pour par­ve­nir à l’industrialisation de la mesure de ces don­nées mas­sives, hété­ro­gènes et rare­ment priorisées.


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L’urgence cli­ma­tique est deve­nue un enjeu majeur de notre socié­té. Les évé­ne­ments récents, notam­ment les mul­tiples pénu­ries et les cani­cules à répé­ti­tion, ne font que confir­mer l’accélération des dif­fi­cul­tés actuelles et à venir, qu’il fau­dra sur­mon­ter. Aujourd’hui beau­coup d’entreprises euro­péennes cotées en Bourse annoncent leur enga­ge­ment pour la tran­si­tion cli­ma­tique. 30 % d’entre elles se sont réel­le­ment enga­gées à réduire leurs émis­sions car­bone, mais on estime que seule­ment 5 % d’entre elles sont sur la bonne voie pour y par­ve­nir. Ce n’est en effet pas un exer­cice simple. Réduire ses émis­sions de façon durable et pérenne demande de mesu­rer son empreinte car­bone avec pré­ci­sion, pour en déduire des actions concrètes. Chez Arte­fact, nous pen­sons que l’exploitation de la don­née à son plein poten­tiel est un atout majeur pour mener cette démarche à bien.

Atteindre la neutralité carbone en trois objectifs grâce à la data

Pre­nons l’exemple du groupe Car­re­four auprès de qui nous effec­tuons une mis­sion. Car­re­four a pour ambi­tion de deve­nir le lea­der mon­dial de la tran­si­tion ali­men­taire, notam­ment dans l’e‑commerce. Un de ses objec­tifs majeurs est que l’e‑commerce devienne neutre en émis­sion car­bone d’ici 2030. Trois prin­ci­paux leviers ont été iden­ti­fiés afin d’atteindre ces objec­tifs : réduire les émis­sions en propre de Car­re­four, enga­ger ses pres­ta­taires à réduire leurs émis­sions et enfin encou­ra­ger ses clients à adop­ter des com­por­te­ments éco­res­pon­sables. Cette ambi­tion, au-delà de répondre à l’urgence cli­ma­tique, a éga­le­ment un fort impact éco­no­mique. Il faut satis­faire aux attentes des consom­ma­teurs, qui sont de plus en plus enga­gés, et anti­ci­per le dur­cis­se­ment du cadre légis­la­tif à venir, comme l’éco-score qui devien­dra obli­ga­toire dès 2023 pour cer­tains acteurs. Afin de faire face à ces enjeux, Car­re­four a com­pris qu’il était néces­saire d’avoir une mesure de l’empreinte car­bone : faire un état des lieux quan­ti­fié du point de départ, déter­mi­ner l’impact des ini­tia­tives de réduc­tion et pou­voir com­mu­ni­quer à la fois en interne et en externe sur les suc­cès, et éga­le­ment sur les défis à venir. Cette mesure sera la bous­sole de la tra­jec­toire de neu­tra­li­té à l’horizon 2030. Elle devra répondre à des impé­ra­tifs de fia­bi­li­té et de trans­pa­rence, et per­mettre la réa­li­sa­tion d’actions concrètes.

L’enjeu majeur de la priorisation des données

Une grande par­tie des efforts du pro­jet a consis­té à col­lec­ter de nom­breuses don­nées très hété­ro­gènes au tra­vers de mul­tiples sources (par exemple, les don­nées de kilo­mé­trage de livrai­son ou les don­nées d’émission des infra­struc­tures IT), afin de les orches­trer et de construire une mesure de l’empreinte car­bone conso­li­dée. L’objectif est d’obtenir une mesure exhaus­tive de l’ensemble des postes d’émission pour chaque com­mande indi­vi­duelle. La prin­ci­pale dif­fi­cul­té de tout pro­jet de ce type est la com­plexi­té pour accé­der à une don­née qui soit réel­le­ment exploi­table rapi­de­ment. La plu­part des grands groupes ont déjà lan­cé des pro­grammes signi­fi­ca­tifs afin de mieux gou­ver­ner la don­née, en abor­dant en prio­ri­té les pro­blèmes de qua­li­té et d’accessibilité. Ces pro­grammes sont sou­vent de taille consi­dé­rable et ne peuvent évi­dem­ment pas trai­ter de front toutes les don­nées créées dans une entre­prise, sou­vent de taille très impor­tante. Une prio­ri­sa­tion des domaines de don­nées les plus proches du cœur de métier est néces­saire, comme les don­nées liées aux ventes, aux four­nis­seurs ou aux consommateurs.

“Réduire ses émissions de façon durable et pérenne demande de mesurer son empreinte carbone avec précision.”

La don­née liée au déve­lop­pe­ment durable est mal­heu­reu­se­ment rare­ment prio­ri­sée dans le cadre de telles ini­tia­tives, car rare­ment exploi­tée de manière indus­trielle par les grands groupes. Aujourd’hui, une équipe d’experts a besoin de plu­sieurs semaines de pro­jet afin de cal­cu­ler une mesure d’empreinte car­bone qui est sou­vent sta­tique. Il est cer­tain que demain toutes les entre­prises devront être capables de cal­cu­ler cette empreinte car­bone à chaque ins­tant, de la même manière qu’on exige des entre­prises la trans­pa­rence financière.

Le parallèle avec le marché de la data

On peut pous­ser le paral­lèle plus loin avec l’évolution du mar­ché de la data. Il y a dix ans, la prise de conscience autour de la don­née dans les grands groupes était encore limi­tée. Elle était le ter­ri­toire exclu­sif de petites équipes au sein des direc­tions IT ou digi­tales qui tra­vaillaient sur des cas d’usage, sans la capa­ci­té de por­ter leur solu­tion à l’échelle. Aujourd’hui l’importance de la don­née est enten­due au niveau Comex des grands groupes, elle est per­çue comme une des prio­ri­tés stra­té­giques à tous les niveaux. Cette évo­lu­tion a été, au cours des dix der­nières années, le fruit de la prise de conscience col­lec­tive de l’importance de la don­née, notam­ment au tra­vers des enjeux géo­po­li­tiques et stra­té­giques, ain­si que des ten­sions entre grandes puis­sances et grands groupes de tech­no­lo­gie. Cette prise de conscience s’est gra­duel­le­ment impo­sée dans l’ensemble des orga­ni­sa­tions, même celles les moins en pointe dans le numé­rique. Elle a été accé­lé­rée par l’arrivée au niveau des postes de déci­deur des nou­velles géné­ra­tions (les mil­len­nials) qui ont été sen­si­bi­li­sées au numé­rique depuis leur enfance.

Mesurer l’empreinte carbone sur l’ensemble des activités

Cette évo­lu­tion ne va pas sans heurt, et l’exploitation de la don­née ne donne pas tou­jours les résul­tats atten­dus, sou­vent du fait que des fon­da­tions robustes n’avaient pas été mises en place. Les grands groupes ont désor­mais com­pris l’importance de ce tra­vail de fond et lancent de nom­breux pro­grammes sur le sujet. Sans doute sommes-nous exac­te­ment à la croi­sée des che­mins en ce qui concerne la tran­si­tion éco­lo­gique dans les entre­prises. Les catas­trophes suc­ces­sives de l’été 2022 contri­buent à accé­lé­rer cette prise de conscience, tan­dis qu’une nou­velle géné­ra­tion de tra­vailleurs très sen­si­bi­li­sés à ces pro­blé­ma­tiques arrive sur le mar­ché du tra­vail. Près de 76 % des jeunes de la géné­ra­tion Y placent la RSE au-des­sus du salaire dans les cri­tères de recherche d’emploi et 70 % d’entre eux sont prêts à payer jusqu’à 35 % plus cher pour un pro­duit ou un ser­vice durable et bas carbone.

Le mar­ché en est tou­jours à cette étape : il y a une forte volon­té d’avancer, mais les fon­da­tions néces­saires pour atteindre ces objec­tifs de manière pérenne sont sou­vent à construire, ce que Car­re­four a bien com­pris. Il est donc cru­cial que les entre­prises s’équipent de capa­ci­tés et d’outils à la mesure de leur ambi­tion, en par­ti­cu­lier la mesure de l’empreinte car­bone sur l’ensemble de leurs acti­vi­tés. Cette mesure doit être indus­tria­li­sée, cal­cu­lée en temps réel, acces­sible et inté­grée dans l’ensemble des pro­ces­sus métiers. À titre d’exemple, l’empreinte car­bone pour­rait être inté­grée dans les bud­gets et uti­li­sée pour éva­luer l’impact de nou­veaux pro­jets, au même titre que les reve­nus géné­rés et les coûts de Capex et Opex associés.

Consolider la gouvernance de la donnée

Une fois ces fon­da­tions construites et conso­li­dées, les grands groupes seront en mesure de tirer un bien meilleur par­ti de leur don­née, afin d’accélérer leur tran­si­tion éco­lo­gique. De solides fon­da­tions data sont un pré­re­quis majeur afin de déployer des solu­tions IA à l’échelle ; il en va de même pour la tran­si­tion éco­lo­gique, pour laquelle l’IA joue­ra cer­tai­ne­ment un rôle, une fois ces bases conso­li­dées. Il est sou­vent plus ven­deur de par­ler d’IA que de gou­ver­nance de la don­née, cepen­dant je suis convain­cu que le suc­cès de ces ini­tia­tives repose sur la capa­ci­té d’avancer sur les deux fronts : déli­vrer de l’impact au tra­vers d’initiatives ciblées, tout en construi­sant les bonnes fon­da­tions pour péren­ni­ser ces impacts.

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