Benjamin Blasco, polytechnicien ,cofondateur de l'appli de méditation Petit Bambou

Petit Bambou, l’appli de méditation cofondée par un polytechnicien

Dossier : Environnement & SociétéMagazine N°777 Septembre 2022Par Duc Dung TRAN (X15)Par Michel DEUDON (X14)Par Aurélien GOUHIER (X12)

Ben­ja­min Blas­co est un poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion X96, père de deux enfants et cofon­da­teur de Petit Bam­bou, une appli­ca­tion de médi­ta­tion uti­li­sée par plus de 9 mil­lions de per­sonnes dans le monde. Avec la san­té men­tale au pre­mier plan en France en rai­son des der­nières crises, nous avons sou­hai­té ren­con­trer Ben­ja­min pour par­ler de son par­cours, de la médi­ta­tion de pleine conscience, de sobrié­té, d’écologie ; et retra­cer dans un por­trait un peu de la per­son­na­li­té de cet entre­pre­neur, déli­cat médi­tant de l’âme.

Comment es-tu venu à te lancer dans Petit Bambou ? Pourquoi ?

J’étais res­pon­sable de la stra­té­gie Europe chez Pay­Pal. Dans ce poste exi­geant et impli­quant beau­coup de dépla­ce­ments, je me consi­dé­rais comme cham­pion du monde du mul­ti­tâche, mais le soir j’étais le plus sou­vent épui­sé. J’ai consta­té que je n’étais pas très pré­sent dans ma vie, un peu comme spec­ta­teur de la vie qui se dérou­lait sans moi, sans cesse aspi­ré par des rumi­na­tions ou des pro­jec­tions. Donc pas vrai­ment avec mes enfants le week-end, ni plei­ne­ment pré­sent à mon tra­vail. C’est plus tard en médi­tant que j’ai consta­té qu’il y avait comme une télé bran­chée en per­ma­nence dans ma tête, très fort, qui com­men­tait, dis­cu­tait de tout : la fameuse petite voix intérieure.

Il n’y a pas eu d’événement déclen­cheur, mais plu­tôt une envie d’entreprendre accom­pa­gnée de ques­tions sur le sens de mon enga­ge­ment pro­fes­sion­nel. Par exemple, un soir j’étais seul chez moi et je me suis retrou­vé à man­ger une piz­za en regar­dant la télé, tout en étant sur mon ordi­na­teur, mon smart­phone, What­sApp et ma tablette. Je me suis dit que ce n’était pas la façon dont j’avais envie de prendre du temps pour moi, coin­cé entre quatre écrans.

Un ami me pro­pose de ten­ter la médi­ta­tion de pleine conscience. Je suis de nature plu­tôt scep­tique, athée et peu por­té sur le spi­ri­tuel, mais j’ai déci­dé de ten­ter mal­gré tout. Je prends alors avec sur­prise la pleine mesure du brou­ha­ha dans ma tête. Par exemple, lors des pre­mières séances, j’essayais de comp­ter mes res­pi­ra­tions jusqu’à dix, mais au bout de quatre mon atten­tion était déjà partie.

La san­té men­tale est un sujet majeur : cer­tains ont déjà pris conscience de l’importance de culti­ver son équi­libre et de prendre soin de soi, mais en faire une habi­tude est dif­fi­cile. C’est en col­la­bo­rant avec Ludo­vic, un ami depuis vingt ans, qui avait créé une com­mu­nau­té Petit Bam­bou sur un groupe Face­book et qui a géré entre autres la par­tie tech­no­lo­gique de notre pla­te­forme, que Petit Bam­bou a pris son envol. De 2014 à aujourd’hui, ce sont 6 langues, 9 mil­lions de per­sonnes et 20 per­sonnes inves­ties à temps plein.

À quelles résistances as-tu été confronté ?

J’avais une vraie liber­té d’entreprendre (pas d’emprunt, une femme qui tra­vaille). Notre démarche a rapi­de­ment été vali­dée par le témoi­gnage de proches qui sem­blaient res­sen­tir le même besoin, sans pour autant avoir essayé la médi­ta­tion. Les gens avaient deux réac­tions quand nous pré­sen­tions ce pro­jet : sur­pris par­fois, inter­pel­lés sou­vent, « Jus­te­ment c’est une ques­tion que je me pose », « jus­te­ment ma femme se met au yoga »…

En quoi consiste la méditation de pleine conscience ? 

Médi­ter, c’est por­ter son atten­tion de manière déli­bé­rée sur un élé­ment tou­jours pré­sent (la plu­part du temps phy­sio­lo­gique), qui peut être par exemple le souffle ou le contact entre le sol et la chaise, et qui nous ancre dans l’instant pré­sent. On est alors en posi­tion d’observation de son fonc­tion­ne­ment men­tal : les pen­sées, les émo­tions appa­raissent et dis­pa­raissent, nous entraî­nant par­fois ; nous sommes alors invi­tés à reve­nir à notre souffle lorsque l’on s’égare. Médi­ter c’est sans arrêt par­tir et reve­nir. C’est une forme de sou­plesse, de stret­ching psy­cho­lo­gique. C’est aus­si un outil pour apprendre à mieux se connaître, à obser­ver sans s’identifier à ses pen­sées ou émotions.

On peut pra­ti­quer la médi­ta­tion de manière for­melle (assis sur une chaise ou un cous­sin) ou infor­melle (dans nos gestes du quo­ti­dien, par exemple le contact de la main avec la poi­gnée de porte pour reve­nir à l’instant pré­sent avant une réunion, ou bien man­ger en pleine conscience). Médi­ter est une invi­ta­tion à se recon­nec­ter avec son humani­té pro­fonde, à ÊTRE plu­tôt que FAIRE. J’ai pris l’habitude de me pré­sen­ter comme un être humain avant tout et non plus par mon métier. Qui suis-je ? Un homme, père de deux enfants, bien plus qu’un poly­tech­ni­cien ou un entre­pre­neur ; c’est ce qu’il me reste à la fin des fins.

“La méditation est une forme d’écologie de l’esprit.”

Médi­ter est à la fois simple et com­pli­qué : pour com­men­cer, il faut bien iden­ti­fier son inten­tion pro­fonde et véri­table. On pour­ra alors reve­nir régu­liè­re­ment à cette inten­tion pour voir son évo­lu­tion et sur­tout y pui­ser une moti­va­tion qui devien­dra une évi­dence. Sou­vent on est ten­té de défi­nir un objec­tif, un résul­tat très pré­cis, et d’envisager cette pra­tique comme une per­for­mance avec un but. Aban­don­ner cette ten­dance est la pre­mière étape ; il n’y a pas de médi­ta­tion ratée ou réussie.

J’apprécie que la médi­ta­tion ouvre aus­si la porte à culti­ver sa capa­ci­té à être éveillé et atten­tif à sa place d’humain sur cette Terre. Éco­lo­gie et pleine conscience vont de pair. Je pense que la médi­ta­tion est une forme d’écologie de l’esprit. Avec l’accélération du rythme de vie, la publi­ci­té, les écrans et les noti­fi­ca­tions, notre atten­tion est sans cesse sol­li­ci­tée et « pol­luée ». Médi­ter contri­bue à faire bais­ser la place de ces mes­sages dans son esprit.

Quelle analyse fais-tu de l’éco-anxiété ?

Prendre conscience de ce qu’on consomme ou des per­sonnes, de l’énergie qui ont été mobi­li­sées pour nous per­mettre de consom­mer rend incon­for­table. Une mangue trans­por­tée de l’autre bout du monde par avion, un embal­lage plas­tique vite déchi­ré, des litres d’eau uti­li­sés tout au long de la chaîne, tout ça juste pour moi ? Mon ego le réclame-t-il vrai­ment ? Une autre expé­rience est de faire le tri en famille : on prend alors conscience de la quan­ti­té hal­lu­ci­nante de déchets que nous géné­rons. Si ces embal­lages existent pour moi uni­que­ment, est-ce que cela en vaut la peine ? 

Cer­tains pour­raient voir la médi­ta­tion comme un moyen de fuir l’inconfortable. Notre humani­té requiert jus­te­ment d’accueillir tous ces incon­forts et de prendre les justes déci­sions : par­tir en vacances en avion, prendre la voi­ture, ache­ter cer­tains biens de consom­ma­tion… C’est à cha­cun de trou­ver le juste équi­libre pour soi-même entre pro­fi­ter de cer­tains plai­sirs et avoir un com­por­te­ment res­pon­sable et conscient. Ils sont sou­vent plus com­pa­tibles qu’on ne le pense. L’ultra-éco-anxiété est par­fois plus des­truc­trice pour soi que géné­ra­trice d’énergie posi­tive et d’un futur souhaitable.

Nier ses incon­forts, c’est aus­si être moins humain. J’ai l’impression que les pré­cé­dentes géné­ra­tions ont sou­vent essayé de détour­ner le regard, ou de dis­si­mu­ler l’irregardable pour­tant inhé­rent à nos modes de vie. Les abat­toirs, la pol­lu­tion des sols, les menaces sur le vivant, cer­tains Ehpad, la mort, la mala­die, les exclu­sions, les inéga­li­tés… aujourd’hui on jette une lumière crue sur ces sujets et on est invi­té à ouvrir les yeux. Ces ques­tion­ne­ments peuvent géné­rer du dégoût, de l’éco-anxiété, une forme de déses­poir. La médi­ta­tion de pleine conscience peut jus­te­ment nous aider à accep­ter (sans se rési­gner) l’inconfort de ces situa­tions pour gagner plus de séré­ni­té et de lucidité.

Cette trans­for­ma­tion requiert beau­coup de tolé­rance : cha­cun est à un niveau de conscience dif­fé­rent et cha­cun doit donc faire son che­min per­son­nel. Nous sommes tous sur un même che­min de prise de conscience, il faut tolé­rer que cha­cun soit à un endroit dif­fé­rent sur ce che­min. Pour cer­tains, un jour moins de viande ou un vol en moins par an est un effort qui reste impor­tant, alors que pour d’autres non. Le juge­ment de valeur n’est pas construc­tif ; seul le mou­ve­ment est por­teur d’espoir.

Notre impact indi­vi­duel est à relier à la ques­tion de la « puis­sance per­son­nelle ». Son tra­vail, ses com­pé­tences, sa capa­ci­té d’influence… sont des consti­tu­tifs impor­tants de cette puis­sance. Les ingé­nieurs ont une puis­sance intel­lec­tuelle et peuvent avoir un impact impor­tant sur l’avenir de l’humanité. Par exemple je médite et je mets chaque jour ma puis­sance au ser­vice de la mis­sion, de l’intention de Petit Bam­bou. Je pour­rais être prof de médi­ta­tion ou de yoga, sans être à ma juste puis­sance par com­pa­rai­son aux 9 mil­lions d’utilisateurs que Petit Bam­bou sert. Ce n’est pas un juge­ment de valeur sur la puis­sance de cha­cun. Puis­sance n’est pas arro­gance. Cha­cun, à sa por­tée, peut aider l’humanité à rele­ver les défis face à nous, sans se replier dans une éco-anxié­té paralysante.

Face aux addictions, excès, obsessions… les pratiques méditatives peuvent-elles modifier l’activité du cerveau sur le long terme ?

Il y a beau­coup d’études sur les neu­ros­ciences et la médi­ta­tion, c’est très enthou­sias­mant, mais les béné­fices consta­tés ne doivent pas deve­nir le cœur de sa moti­va­tion. Les béné­fices sont bien plus prag­ma­tiques : du point de vue du médi­tant, c’est un exer­cice d’assouplissement. Prendre conscience de ses impul­sions, de ses pen­sées pour faire des choix plus justes, en accord avec qui l’on est. La médi­ta­tion per­met de prendre conscience des émo­tions tôt, de les anti­ci­per en quelque sorte. Par exemple, quand la colère arrive, un point par­ti­cu­lier du corps fait res­sen­tir une sen­sa­tion avant que l’émotion court-cir­cuite tout. Réa­li­ser que la colère monte, puis qu’on est en colère. On a alors une petite fenêtre pour réagir avant d’être sub­mer­gé par ses émo­tions. On reprend pied et on décide en conscience.

Cer­taines expé­riences démontrent l’intérêt de culti­ver son men­tal pour faire des choix plus justes et ver­tueux au long terme. Le test du marsh­mal­low par exemple est amu­sant, même si dis­cri­mi­nant sui­vant le milieu social ou sco­laire. Il teste la capa­ci­té à vivre avec frus­tra­tion pour un gain à plus long terme. Médi­ter peut aider à mieux gérer sa frus­tra­tion et à davan­tage se projeter. 

Parmi trois pistes mentionnées par Sébastien Bohler (X92) pour rééduquer notre cerveau, il y a l’altruisme et le partage. Quels liens avec la méditation de pleine conscience ? Y a‑t-il des bénéfices de la pratique en groupe ?

Mer­ci de par­ler d’altruisme tant il y a des pré­ju­gés sur ces sujets. Cer­tains voient par­fois la pra­tique de la médi­ta­tion comme auto­cen­trée, nar­cis­sique ou indi­vi­dua­liste. En réa­li­té, la média­tion est orien­tée fon­da­men­ta­le­ment vers les autres, car elle nous connecte mieux au monde. La connais­sance de soi per­met d’avoir des rela­tions plus équi­li­brées avec les autres. Il y a beau­coup de médi­ta­tions gui­dées, orien­tées vers les autres : médi­ta­tion d’amour, de com­pas­sion ou de gra­ti­tude. On peut ain­si entraî­ner « en chambre » ses réseaux neu­ro­naux (comme un muscle) à envoyer de l’amour à des proches, voi­sins, aus­si à des per­sonnes qu’on aime moins … et aus­si à soi, qu’on oublie par­fois. À expri­mer de la gra­ti­tude pour les per­sonnes qui ont pré­pa­ré le repas, les agri­cul­teurs, les trans­por­teurs, le soleil… Pour soi comme pour les autres. Médi­ter per­met d’apprendre à mieux s’aimer soi-même pour mieux aimer les autres ensuite (comme le masque à oxy­gène dans l’avion qu’on est invi­té à mettre avant de le mettre à ses enfants).

Il existe des retraites de médi­ta­tion en groupe pour culti­ver ensemble ou des pra­tiques col­lec­tives au tra­vail. On se recon­necte à la médi­ta­tion pour soi et pour les autres. L’impression de médi­ter en groupe est pos­sible sur Petit Bam­bou, on peut voir le nombre d’utilisateurs connec­tés par exemple, on pro­pose une séance du jour à laquelle cha­cun a accès. 

Quel conseil donnerais-tu en entrée ou sortie d’École ?

Pro­fi­ter de chaque ins­tant en étant par­ti­cu­liè­re­ment ouvert pour déve­lop­per des com­pé­tences de pré­sence à soi et de pleine conscience. 

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