Portrait de Cécile Sykes, dessin de Laurent Simon

Cécile Sykes (X84), le choix des sciences, pour comprendre

Dossier : TrajectoiresMagazine N°777 Septembre 2022
Par Pierre LASZLO

Petite der­nière d’une famille de cinq enfants, de parents issus de la France pro­fonde, empreints d’un catho­li­cisme fervent, Cécile Sykes vécut son enfance une alter­nance de soleil et de nuages. Ce contexte lui don­na l’envie de connaître la Bible, d’aiguiser son sens cri­tique et de déve­lop­per une cer­taine créa­ti­vi­té. Entrer à Poly­tech­nique lui per­mit de prendre son auto­no­mie intel­lec­tuelle et financière.

Prokofiev et Thalès

Cha­cun des enfants de sa fra­trie eut la pos­si­bi­li­té d’apprendre un ins­tru­ment de musique. Pour Cécile, ce fut le vio­lon, qu’elle pous­sa jusqu’à un niveau d’excellence qua­si pro­fes­sion­nelle. Pas­ser plu­sieurs heures par semaine au conser­va­toire de musique de Cler­mont-Fer­rand la fai­sait s’échapper har­mo­nieu­se­ment d’un contexte fami­lial tumul­tueux. Son ins­tru­ment est un Caus­sin, de la fin du XIXe. Son com­po­si­teur pré­fé­ré est Pro­ko­fiev. Cécile entra en pré­pa au lycée Blaise-Pas­cal de Cler­mont-Fer­rand. M. Luçon, pro­fes­seur de mathé­ma­tiques en Math sup, lui don­na le goût des mathé­ma­tiques, qui d’emblée lui furent tout aus­si agréables et har­mo­nieuses que la pra­tique du vio­lon. Plus tôt, en classe de sixième, une pro­fes­seure de mathé­ma­tiques, Mme Magne, dis­tin­guée et atten­tive, avait émer­veillé Cécile avec le théo­rème de Tha­lès ; elle se sou­vient du plai­sir d’être appe­lée au tableau par cette pro­fes­seure, avec laquelle elle se sen­tait en pleine confiance. Cécile Sykes inté­gra l’École poly­tech­nique et fut ravie de trou­ver la vie « au vert » sur le pla­teau de Saclay, pou­vant aus­si pro­fi­ter plei­ne­ment des ins­tal­la­tions sportives.

Le violon ou les prépas ? 

Mais reve­nons à la musique. Voi­ci ce qu’écrit d’elle Yves Qué­ré, non seule­ment l’un de ses pro­fes­seurs, son direc­teur de thèse, mais aus­si com­plice vio­lon­cel­liste en musique de chambre : « Cécile a hési­té sur la direc­tion à prendre au sor­tir du bac­ca­lau­réat : ou bien, excel­lente vio­lo­niste, conti­nuer sur la voie de la musique ; ou bien, très bonne lycéenne, entrer en pré­pa. C’est cette seconde voie qu’elle prit. »

Cécile Sykes avait en effet com­pris que la voie de la musique contra­rie­rait sa famille. Yves Qué­ré pour­suit ain­si : « La voi­ci à l’X, dans cette fameuse pro­mo X84 par­ti­cu­liè­re­ment rele­vée puisqu’elle est béné­fi­ciaire de la plu­part des démis­sions des “reçus ailleurs”. Et fier­té d’une jeune fille de vingt ans lorsque – ser­vice mili­taire dans la Marine – elle fait le quart, dans la soli­tude noc­turne de l’océan Indien, sur un bâti­ment océa­no­gra­phique de la Marine nationale.

L’X et le violon ! 

Mais elle n’oublie pas l’autre voie : à Palai­seau le vio­lon n’est pas confi­né dans sa boîte et l’on peut alors entendre et applau­dir Cécile à l’amphi Poin­ca­ré lors de divers concerts, ceux par exemple du qua­tuor profs-élèves consti­tué, en ces années, de deux élèves, dont elle, et de deux pro­fes­seurs. Et c’était un plai­sir raf­fi­né, pour les cama­rades de pro­mo audi­teurs, de consta­ter que, sur scène, la hié­rar­chie nor­male d’une école s’inversait sans conteste. Sa vie ulté­rieure sera défi­ni­ti­ve­ment mar­quée par la musique, notam­ment la musique de chambre qu’elle pra­ti­que­ra – vir­tuo­si­té et sono­ri­té l’une et l’autre garan­ties – en diverses for­ma­tions (solo, trio, quin­tette…). » À l’École, ses meilleurs sou­ve­nirs, hor­mis ses cours de phy­sique, sont ceux d’Élisabeth Badin­ter qui pro­po­sait une ini­tia­tion à la psy­cho­lo­gie dans son cours d’Humanité et Sciences sociales, et l’incita à lire les livres de Fran­çoise Dol­to et Boris Cyrul­nik. Son auteur favo­ri ? Chris­tian Oster, qui publia sur­tout aux Édi­tions de Minuit. Elle aime aus­si beau­coup les pièces de Samuel Beckett : « Une sorte de lit­té­ra­ture du néant ; une invi­ta­tion à la médi­ta­tion sur le néant. »

“Étudier la matière molle.”

La recherche, pour comprendre

Mais Cécile Sykes avait la phy­sique dans les tripes, les cours qu’elle eut à l’École confir­mèrent cela. Tout le bon sens héri­té de ses parents lozé­riens très atta­chés au prag­ma­tisme ain­si que l’influence anglo-saxonne de son mari (when there is a will there is a way) l’amenèrent à deve­nir une émi­nence inter­na­tio­nale de la bio­phy­sique cel­lu­laire, spé­ci­fi­que­ment de son archi­tec­ture, figno­lée qu’elle est par le cytos­que­lette qui, grâce à cette pro­téine excep­tion­nelle, l’actine, en est l’organisateur. Son choix de la bio­phy­sique lui fut insuf­flé par Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de phy­sique 1991, avec son inci­ta­tion à étu­dier la matière molle : c’est à par­tir de ses tra­vaux que l’Institut Curie – où elle fon­da une équipe dans les années 2000 – s’est ins­pi­ré de la phy­sique des maté­riaux mous (poly­mères, liquides, méca­nique des fluides, maté­riaux vis­queux, élas­tiques, ou vis­co­élas­tiques, etc.) pour éclai­rer, par de nou­velles approches, les méca­nismes des fonc­tions cel­lu­laires comme leur divi­sion et leur mouvement.

Tout un chapitre de la biophysique

Cécile Sykes a ouvert à elle seule tout un cha­pitre de la bio­phy­sique, éta­blis­sant les méca­nismes d’autoassemblage et de pro­duc­tion de force d’une pro­téine vitale pour le mou­ve­ment cel­lu­laire : l’actine. On pour­rait appli­quer à sa contri­bu­tion scien­ti­fique, le modi­fiant à peine, ce que Georges Can­guil­hem (1904−1995), phi­lo­sophe et his­to­rien de la
bio­lo­gie pré­ci­sé­ment, décri­vait comme : « Tra­vailler un concept, c’est en faire varier l’extension et la com­pré­hen­sion, le géné­ra­li­ser par l’incorporation des traits d’exception, l’exporter hors de sa région d’origine, le prendre comme modèle ou inver­se­ment lui cher­cher un modèle, bref lui confé­rer pro­gres­si­ve­ment, par des trans­for­ma­tions réglées, la fonc­tion d’une forme. »

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