L’Association des anciens élèves de l’ENA est concernée au premier chef par la réforme de la haute fonction publique.

Réforme de la haute fonction publique, les propositions des anciens de l’ENA

Dossier : La Haute fonction publique de l'ÉtatMagazine N°776 Juin 2022
Par Daniel KELLER (ENA94)

L’Association des anciens élèves de l’ENA est concer­née au pre­mier chef par la réforme de la haute fonc­tion publique. Pour que soient res­pec­tées les valeurs qui fondent la qua­li­té du ser­vice public, elle pro­pose plu­sieurs pistes de réflexion en dia­logue avec l’exécutif, par­mi les­quelles une ges­tion pré­vi­sion­nelle trans­pa­rente des emplois et des car­rières, une redy­na­mi­sa­tion des mobi­li­tés qui implique une reva­lo­ri­sa­tion des rému­né­ra­tions pour réduire l’écart avec le pri­vé et un ren­for­ce­ment des exi­gences déon­to­lo­giques pour plus d’exemplarité de la sphère publique.

Réflé­chir aux règles de ges­tion de la haute fonc­tion publique, qu’il s’agisse des mis­sions de concep­tion et d’application qui lui sont dévo­lues ou des prin­cipes qui doivent la gui­der, en tenant compte des spé­ci­fi­ci­tés des fonc­tions admi­nis­trantes, de contrôle ou juri­dic­tion­nelles, a tou­jours été dans la voca­tion de l’AAEENA. Les évo­lu­tions appe­lées par la loi du 6 août 2019 de la trans­for­ma­tion de l’action publique n’ont fait que ren­for­cer cet enga­ge­ment. Le champ d’analyse cou­vert englobe non seule­ment l’ensemble des hauts fonc­tion­naires, mais éga­le­ment les agents contrac­tuels qui viennent com­plé­ter le dis­po­si­tif. À la suite de l’ordonnance du 2 juin 2021 por­tant réforme de l’encadrement supé­rieur de la fonc­tion publique de l’État, l’Association a été ame­née à se pen­cher sur l’articulation entre le sta­tut des admi­nis­tra­teurs de l’État et celui des ingé­nieurs de l’État, et plus géné­ra­le­ment sur l’attractivité des car­rières dans la haute fonc­tion publique. L’Association sou­hai­te­rait à l’avenir inclure dans sa réflexion les fonc­tions publiques ter­ri­to­riale ou hos­pi­ta­lière, avec les­quelles elle entre­tient des rela­tions régu­lières et confiantes.

Pour le respect des valeurs fondamentales

L’Association pro­meut les valeurs qui fondent la qua­li­té de notre ser­vice public, tels l’égal accès aux emplois publics et, plus géné­ra­le­ment, le refus de tout cor­po­ra­tisme ou pri­vi­lège dans l’attribution des fonc­tions d’encadrement supé­rieur. De même, elle défend l’ouverture des métiers de la haute fonc­tion publique aux talents sans autre dis­tinc­tion que le mérite. Elle milite enfin pour une pari­té réelle dans les emplois et valo­rise le rayon­ne­ment à l’international du modèle fran­çais de fonc­tion publique.

Pour une gestion des ressources humaines véritablement interministérielle

La réforme de 1945 de la haute fonc­tion publique, avec notam­ment la créa­tion de l’École natio­nale d’administration (ENA) et du corps des admi­nis­tra­teurs civils, a mar­qué un immense pro­grès par rap­port aux pra­tiques anté­rieures. Tou­te­fois, une forme d’immobilisme a paru faire obs­tacle au déve­lop­pe­ment des meilleures pra­tiques en termes de ges­tion des res­sources humaines dans le ser­vice public. Maintes fois annon­cée, sou­vent démen­tie par les faits, la mise en place d’une ges­tion vrai­ment inter­mi­nis­té­rielle des emplois supé­rieurs de l’État, qui consti­tuait la prin­ci­pale pro­messe de 1945, est demeu­rée lacunaire.

“Englober les profils techniques et les profils administratifs.”

Ce constat a conduit l’Association à s’engager depuis plu­sieurs années dans un dia­logue dense avec l’exécutif, l’administration char­gée de la fonc­tion publique et l’ENA, afin de favo­ri­ser l’atteinte de cet objec­tif. La ges­tion des res­sources humaines propre à l’encadrement supé­rieur de l’État doit en effet être au niveau des meilleures pra­tiques inter­na­tio­nales en la matière, c’est-à-dire pro­mou­voir une ges­tion des res­sources humaines qui soit réel­le­ment inter­mi­nis­té­rielle et qui ne soit pas limi­tée à sa dimen­sion sta­tu­taire. Une approche élar­gie devrait englo­ber les pro­fils tech­niques et les pro­fils admi­nis­tra­tifs, quel que soit le corps ou le diplôme d’origine.

Pour une gestion prévisionnelle des emplois et des carrières

La créa­tion d’un Ins­ti­tut natio­nal du ser­vice public (INSP) garan­tis­sant un égal accès à dif­fé­rentes fonc­tions d’encadrement supé­rieur de l’État a confir­mé la per­ti­nence du modèle de recru­te­ment sur lequel la Répu­blique s’est recons­truite à par­tir de 1945. Dans ces condi­tions, les recru­te­ments directs, sans pas­ser par une école d’application, doivent se fon­der sur des règles de trans­pa­rence incon­tes­tables. L’anticipation des besoins dans le cadre des concours de recru­te­ment doit aus­si être suf­fi­sam­ment pré­cise pour per­mettre une ges­tion pré­vi­sion­nelle par­fai­te­ment cali­brée, en tenant compte de la volon­té de recou­rir éven­tuel­le­ment à des emplois contractuels.

Pour une convergence des statuts

Dès lors que la ques­tion a été ouverte pour le nou­veau corps des admi­nis­tra­teurs de l’État, il nous paraît logique que soit aus­si posée la ques­tion de l’évolution des corps tech­niques. Selon l’Association, deux options se pré­sentent : soit un corps unique d’administrateurs de l’État pour la haute fonc­tion publique (comme c’est le cas dans la Com­mis­sion euro­péenne), soit une plu­ra­li­té de corps en début de car­rière, puis des évo­lu­tions pos­sibles en seconde par­tie de car­rière fai­sant conver­ger les statuts.

Pour une harmonisation des rémunérations

À effec­tifs constants, la réforme aura un coût. Il n’y aura ni flui­di­té des mobi­li­tés, ni fin des biais dans l’attractivité, si l’on ne décloi­sonne pas réel­le­ment les modes de rému­né­ra­tion, qui res­tent encore trop « minis­té­riels ». Une har­mo­ni­sa­tion inter­mi­nis­té­rielle des rému­né­ra­tions en est la clé. À ce titre, l’Association pré­co­nise une har­mo­ni­sa­tion des grilles indi­ciaires et la conver­gence des niveaux de prime à res­pon­sa­bi­li­té égale ou com­pa­rable. Des solu­tions appor­tées aux méca­nismes de rému­né­ra­tion dépen­dra la bonne orga­ni­sa­tion des par­cours professionnels.

Pour une véritable gestion des parcours de carrière

L’Association pré­co­nise un ren­for­ce­ment des dis­po­si­tifs inter­mi­nis­té­riels, avec une pro­cé­dure har­mo­ni­sée de repé­rage puis de sélec­tion des hauts poten­tiels, sur le fon­de­ment d’un vivier géré par la Diese (Délé­ga­tion inter­mi­nis­té­rielle à l’encadrement supé­rieur de l’État). Il convien­drait éga­le­ment de réflé­chir dès à pré­sent à la manière la plus opé­ra­tion­nelle d’accompagner les admi­nis­tra­teurs de l’État aux dif­fé­rentes étapes de leurs par­cours, notam­ment au moment des troi­sièmes par­ties de car­rière. Les enjeux de pari­té, qui mobi­lisent l’Association des anciens élèves de l’ENA en tant que signa­taire de la charte mixi­té éla­bo­rée par « Grandes Écoles au fémi­nin », doivent éga­le­ment orien­ter les choix dans la ges­tion des par­cours. L’égalité entre les femmes et les hommes est d’ores et déjà une condi­tion incon­tour­nable de l’attractivité de la fonc­tion publique.

Pour une dynamisation des mobilités

Affir­mer le prin­cipe de la mobi­li­té dans une car­rière longue peut paraître évident. Pour autant, le faire vivre requiert à notre sens une orga­ni­sa­tion exi­geante et plu­tôt en rup­ture avec le cadre anté­rieur. Cette approche inclut aus­si la pos­si­bi­li­té de mobi­li­tés entre le sec­teur public et le sec­teur pri­vé, avec des pas­se­relles dans les deux sens. Mais, pour que ces pas­se­relles ne soient pas à sens unique, il fau­dra à ce titre acter un réel besoin de reva­lo­ri­sa­tion des rému­né­ra­tions des hauts fonc­tion­naires au ser­vice de l’État. L’écart avec le sec­teur pri­vé s’est en effet creu­sé au fil des décen­nies. Dans le même esprit, les mobi­li­tés devraient per­mettre une valo­ri­sa­tion de l’expertise acquise à l’international, sur la base d’une véri­table recon­nais­sance de cette exper­tise tant au béné­fice des Fran­çais en poste à l’international qu’à celui des anciens élèves étran­gers en poste en France ou dans les ins­ti­tu­tions euro­péennes ou internationales.

Pour une stratégie assumée de diplomation

L’Association plaide pour que les admi­nis­tra­teurs de l’État béné­fi­cient, à l’instar des ingé­nieurs et des ins­pec­teurs vété­ri­naires, d’une pos­si­bi­li­té de diplo­ma­tion doc­to­rale de nature à com­bler le besoin d’expertise qui peut le cas échéant faire défaut à l’administration. Dans cette optique, l’INSP devrait en toute logique rele­ver à terme du sta­tut de grand éta­blis­se­ment scien­ti­fique et tech­nique, comme pour beau­coup de grandes écoles d’ingénieurs.

Pour une réelle indépendance des emplois d’inspection générale

La réforme a conduit à la mise en extinc­tion de la plu­part des corps d’inspection géné­rale de l’administration. À la place, des sta­tuts d’emploi doivent être mis en place au 1er jan­vier 2023. L’Association est atta­chée à ce que les mesures tran­si­toires (« clause du grand-père élar­gie » et har­mo­ni­sa­tion des rému­né­ra­tions) soient suf­fi­sam­ment attrac­tives pour per­mettre le ver­se­ment des actuels ins­pec­teurs géné­raux dans le corps des admi­nis­tra­teurs de l’État dans de bonnes condi­tions. Elle est éga­le­ment très atta­chée à l’instauration de garan­ties pré­ser­vant réel­le­ment l’indépendance pro­fes­sion­nelle des ins­pec­tions dans l’exercice de leurs fonctions.

Pour le renforcement des exigences déontologiques

L’Association consi­dère que le res­pect d’une déon­to­lo­gie stricte contri­bue à ren­for­cer l’exemplarité de la sphère publique aux yeux des Fran­çais. Cette exi­gence doit conduire à enca­drer les mou­ve­ments entre le sec­teur pri­vé et le ser­vice public dans un sens comme dans l’autre. Elle concerne les hauts fonc­tion­naires comme les cadres du pri­vé, mais aus­si le per­son­nel poli­tique. La réflexion de l’Association doit être appro­fon­die en ce domaine afin d’effectuer des pro­po­si­tions concrètes.

Pour de nouvelles instances de dialogue social

Une sec­tion spé­cia­li­sée du Conseil supé­rieur de la fonc­tion publique de l’État va être mise en place, mais l’Association estime qu’il est néces­saire d’imaginer une struc­ture ad hoc, avec des élec­tions internes à la haute fonc­tion publique.

Pour une évaluation sérieuse des impacts de la réforme

La réforme qui a été lan­cée est ambi­tieuse mais com­plexe. C’est pour­quoi l’Association a appro­fon­di son dia­logue avec l’exécutif et pro­po­sé de ren­for­cer ses rela­tions de tra­vail avec les pilotes de la réforme : la délé­ga­tion inter­mi­nis­té­rielle à l’encadrement supé­rieur de l’État, la direc­tion géné­rale de l’administration et de la fonc­tion publique, la direc­tion géné­rale de la trans­for­ma­tion publique, la direc­tion du bud­get et l’ensemble des secré­taires géné­raux des minis­tères et des juri­dic­tions admi­nis­tra­tives et finan­cières. De même, l’Association conti­nue d’être active dans les réseaux inter­as­so­cia­tifs et les col­lec­tifs de la haute fonc­tion publique. Une éva­lua­tion inter­mi­nis­té­rielle de la réforme sera néces­saire assez rapi­de­ment, sur la base d’un pro­ces­sus d’évaluation au fil de l’eau, compte tenu des dif­fé­rentes échéances de la réno­va­tion en cours. L’Association des anciens élèves de l’ENA est dans ce contexte tota­le­ment dis­po­nible pour échan­ger avec les autres asso­cia­tions de hauts fonc­tion­naires, dans le sou­ci d’œuvrer au suc­cès d’une réforme dont à nos yeux l’objectif ultime demeure d’être au ser­vice du pays.

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