La réforme de la haute fonction publique

La réforme de la haute fonction publique, condition et vecteur de la transformation de l’action publique

Dossier : La Haute fonction publique de l'ÉtatMagazine N°776 Juin 2022
Par Émilie PIETTE (X96)

La réforme de la haute fonc­tion publique de l’État a pour objec­tif de la rendre plus effi­cace, inno­vante et repré­sen­ta­tive de la socié­té. Il s’agit donc de trans­for­mer la poli­tique de res­sources humaines et le sta­tut des admi­nis­tra­teurs de l’État, de flui­di­fier les rela­tions inter­mi­nis­té­rielles, de pro­mou­voir la diver­si­té et de ren­for­cer la culture scien­ti­fique au sein des corps tech­niques de l’État.

La réforme de la haute fonc­tion publique mise en œuvre par le gou­ver­ne­ment et notam­ment par la ministre de la Trans­for­ma­tion et de la Fonc­tion publiques est issue de la volon­té du Pré­sident de la Répu­blique de faire évo­luer l’encadrement supé­rieur et diri­geant de l’État pour accom­pa­gner la trans­for­ma­tion de l’action publique. L’évolution de l’action publique passe bien sûr par des réformes dans l’organisation et le fonc­tion­ne­ment de l’administration : la décon­cen­tra­tion des déci­sions au plus près du ter­rain, la recon­nais­sance par la loi du droit à l’erreur, la pos­si­bi­li­té don­née aux pré­fets de déro­ger à la régle­men­ta­tion pour tenir compte des réa­li­tés locales, le réar­me­ment des ser­vices publics dans les ter­ri­toires après des années d’attrition des effec­tifs, les démarches d’association des citoyens à la concep­tion des poli­tiques publiques, la mise en place d’un baro­mètre des résul­tats per­met­tant de rendre compte publi­que­ment des réformes, tout cela contri­bue à créer un cadre faci­li­ta­teur et à orien­ter l’action des ser­vices de l’État.

Repenser la politique des ressources humaines

Mais la mise en œuvre de ces prin­cipes passe aus­si, et peut-être sur­tout, par une atten­tion par­ti­cu­lière por­tée à ceux qui sont au ser­vice de l’action publique. Elle conduit de ce fait à repen­ser la poli­tique de res­sources humaines, en com­men­çant par les recru­te­ments, les par­cours et la for­ma­tion des res­pon­sables et déci­deurs. La stra­té­gie de pilo­tage des res­sources humaines en matière d’encadrement supé­rieur, énon­cée dans le cadre de lignes direc­trices de ges­tion inter­mi­nis­té­rielle, repose sur plu­sieurs prin­cipes fon­da­teurs : le par­tage d’une culture et de valeurs com­munes au ser­vice de l’intérêt géné­ral, au-delà des silos minis­té­riels, et le sou­ci de l’exemplarité des cadres dans l’alignement de leurs com­pé­tences et de leurs com­por­te­ments sur ces valeurs ; l’anticipation des besoins des employeurs, et la mise en place de démarches de ges­tion pré­vi­sion­nelle des emplois et des com­pé­tences à l’échelle inter­mi­nis­té­rielle ; l’ouverture des recru­te­ments à davan­tage de diver­si­té, à la fois par l’ouverture de nou­velles voies d’accès à la fonc­tion publique, mais aus­si par la recherche de pro­fils expé­ri­men­tés issus d’autres envi­ron­ne­ments ; la trans­pa­rence des nomi­na­tions, par une meilleure anti­ci­pa­tion et une plus grande visi­bi­li­té des emplois à pour­voir ; la pro­mo­tion de par­cours diver­si­fiés, qui per­mettent d’enrichir pro­gres­si­ve­ment ses connais­sances et ses com­pé­tences en matière de savoir-être ; le sou­ci de déve­lop­per les com­pé­tences des cadres par la for­ma­tion conti­nue ; la culture de l’évaluation et la recon­nais­sance des mérites de cha­cun ; l’accompagnement per­son­na­li­sé de chaque cadre dans l’élaboration de son pro­jet pro­fes­sion­nel et le déve­lop­pe­ment de ses com­pé­tences ; et la pro­mo­tion de la diver­si­té et de l’égalité entre les femmes et les hommes.


REPÈRES

C’est dans son inter­ven­tion du 8 avril 2021, à l’occasion de la Conven­tion mana­gé­riale de l’État qui ras­semble l’ensemble des cadres de direc­tion, que le Pré­sident de la Répu­blique a posé les fon­da­tions d’une haute fonc­tion publique réno­vée autour des attentes des Fran­çais. Tout en rap­pe­lant les valeurs car­di­nales et his­to­riques de la fonc­tion publique, de loyau­té, de neu­tra­li­té, d’engagement, de défense de l’intérêt géné­ral, il a poin­té les enjeux qui impactent la socié­té et donc les poli­tiques publiques : la trans­for­ma­tion numé­rique, et tout par­ti­cu­liè­re­ment le chan­ge­ment de regard sur l’action publique qu’elle per­met et qui nous oblige, en matière de trans­pa­rence et de réac­ti­vi­té dans les déci­sions ; et la défiance, dans un monde en trans­for­ma­tion pro­fonde, vis-à-vis de l’efficacité de l’action publique. Enfin il a défi­ni les grands prin­cipes qui doivent gui­der la trans­for­ma­tion : la proxi­mi­té, la bien­veillance, la res­pon­sa­bi­li­té, l’efficacité, la trans­pa­rence, la sim­pli­ci­té, l’innovation.


Un grand chantier réglementaire

L’année 2021 a été en grande par­tie consa­crée au chan­tier régle­men­taire, socle indis­pen­sable à la mise en œuvre de ces prin­cipes : la créa­tion d’un sta­tut unique des admi­nis­tra­teurs de l’État, et la mise en extinc­tion des corps pré­fec­to­ral, diplo­ma­tique et d’inspections géné­rales, ont voca­tion à faci­li­ter les mobi­li­tés et à ouvrir les recru­te­ments sur des postes jusqu’alors réser­vés à cer­tains corps, les pos­si­bi­li­tés exis­tantes de déta­che­ment res­tant de fait peu uti­li­sées et pou­vant consti­tuer des freins psy­cho­lo­giques à la mobi­li­té. Dans la même logique, l’harmonisation des rému­né­ra­tions, aujourd’hui dif­fé­rentes d’un minis­tère à l’autre, est néces­saire pour favo­ri­ser des par­cours plus diver­si­fiés et per­mettre aux employeurs d’ouvrir leurs portes à des pro­fils exté­rieurs ; mis en œuvre dès le début de cette année s’agissant de la rému­né­ra­tion indem­ni­taire des admi­nis­tra­teurs civils deve­nus admi­nis­tra­teurs de l’État, ce chan­tier qui se pour­suit en 2022 et qui doit être éten­du aux autres corps d’encadrement que les admi­nis­tra­teurs de l’État.

Une ENA rénovée et renommée

La sup­pres­sion de l’École natio­nale d’administration (ENA) et la créa­tion de l’Institut natio­nal de ser­vice public (INSP) ne sont pas qu’un chan­ge­ment cos­mé­tique. Les voies d’accès à l’INSP, la nature des épreuves des concours, le conte­nu de la sco­la­ri­té, l’offre de for­ma­tion conti­nue, la stra­té­gie de recherche, l’ouverture à l’international doivent être repen­sés pour ouvrir l’Institut à des élèves venant d’horizons plus divers et ren­for­cer leur pro­fes­sion­na­li­sa­tion. En 2021, l’INSP a par ailleurs mis en place, en liai­son avec quinze écoles de ser­vice public, un tronc com­mun de plu­sieurs modules per­met­tant à tous les élèves se pré­pa­rant à une car­rière dans la fonc­tion publique de par­ta­ger une culture com­mune et de mettre en pra­tique leurs connais­sances dans des exer­cices en com­mun. Ce tronc com­mun a voca­tion à être péren­ni­sé et affi­né dans les années qui viennent. 

La Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État

C’est la capa­ci­té à rendre cette réforme opé­ra­tion­nelle, et à décli­ner concrè­te­ment les prin­cipes qui la guident, qui en fera le suc­cès. La Diese, Délé­ga­tion inter­ministérielle à l’encadrement supé­rieur de l’État, créée par décret fin décembre 2021, est char­gée de mettre en musique ces orien­ta­tions. Sa feuille de route pré­voit de ren­for­cer la détec­tion et l’accompagnement des talents, qui avaient été mis en place depuis quelques années en vue des nomi­na­tions aux emplois à la déci­sion du gou­ver­ne­ment. Des revues de cadres devront être sys­té­ma­ti­sées dans les minis­tères, pour repé­rer ceux qui ont le poten­tiel pour accé­der à des postes de niveau supé­rieur et leur pro­po­ser des pro­grammes de déve­lop­pe­ment de com­pé­tences adap­tés à cet objectif. 

“Renforcer la détection et l’accompagnement des talents.”

Cette démarche, déjà lar­ge­ment pra­ti­quée dans le sec­teur pri­vé, s’étend donc à l’encadrement supé­rieur et diri­geant de l’État dans son ensemble, pour favo­ri­ser l’émergence des diri­geants publics de demain ; elle n’est d’ailleurs pas réser­vée aux seuls talents de la fonc­tion publique d’État et doit per­mettre d’identifier des pro­fils venant des autres ver­sants de la fonc­tion publique, ou même d’autres envi­ron­ne­ments, y com­pris le sec­teur pri­vé. En com­plé­ment, des plans de suc­ces­sion seront mis en place pour les emplois à plus forts enjeux, pour iden­ti­fier en amont les cadres sus­cep­tibles d’être nom­més, et recher­cher grâce à cette meilleure anti­ci­pa­tion des pro­fils les plus divers possibles. 

Des parcours davantage diversifiés pour les cadres

Cette approche volon­tai­re­ment ouverte va de pair avec la recherche pour les cadres de par­cours davan­tage diver­si­fiés. La logique qui sous-tend cette volon­té de diver­si­fi­ca­tion est celle du déve­lop­pe­ment des com­pé­tences, que ce soit pour des pro­fils plus géné­ra­listes capables de mana­ger des équipes plu­ri­dis­ci­pli­naires et de faire le lien entre plu­sieurs poli­tiques publiques, ou pour des pro­fils plus experts qui exercent tour à tour dans des admi­nis­tra­tions cen­trales pour l’élaboration des poli­tiques, dans les ser­vices décon­cen­trés ou dans les éta­blis­se­ments publics pour leur mise en œuvre. Ce sou­ci du contact avec le ter­rain et de la confron­ta­tion avec la réa­li­té des faits se retrouve éga­le­ment dans la volon­té très claire d’envoyer davan­tage de jeunes hauts fonc­tion­naires en début de par­cours sur des postes dits opé­ra­tion­nels, plu­tôt que dans des juri­dic­tions ou des ins­pec­tions. Le déve­lop­pe­ment des compé­tences passe bien sûr éga­le­ment par la for­ma­tion conti­nue, qui fera désor­mais par­tie des cri­tères de pro­mo­tion des cadres.

“La formation continue fera désormais partie des critères de promotion des cadres.”

Fluidifier les relations entre cadres et employeurs

À cet effet, la Diese doit être une pla­te­forme des­ti­née à la fois aux cadres et aux employeurs, et un acteur qui s’attache à flui­di­fier les rela­tions inter­mi­nis­té­rielles pour faci­li­ter les pas­se­relles. Un des pre­miers leviers est de don­ner aux cadres eux-mêmes les outils pour pré­pa­rer leur pro­jet pro­fes­sion­nel : une car­to­gra­phie des postes d’enca­drement au sein de l’État, qui n’existe pas aujourd’hui, et une ani­ma­tion de réseau pour mettre en rela­tion cadres et employeurs autour de portes ouvertes ou de ren­contres infor­melles sont néces­saires pour faci­li­ter l’accès à d’autres envi­ron­ne­ments pro­fes­sion­nels et bâtir un par­cours varié. L’animation du réseau des employeurs est éga­le­ment essen­tielle, pour mettre en place les condi­tions d’un par­tage trans­pa­rent et en confiance des postes à pour­voir et des cadres en recherche de mobi­li­té. Par ailleurs, chaque cadre béné­fi­cie­ra d’un accom­pa­gne­ment indi­vi­dua­li­sé régu­lier, ain­si que d’évaluations appro­fon­dies au moins une fois tous les six ans, lui per­met­tant de faire le point sur son par­cours et de se pro­je­ter sur les pro­chaines étapes.

L’égalité entre femmes et hommes

Enfin, la pro­mo­tion de la diver­si­té et de l’égalité entre les femmes et les hommes se pour­suit ; après deux années consé­cu­tives d’atteinte des objec­tifs de la loi Sau­va­det, avec plus de 40 % de femmes nom­mées pour la pre­mière fois sur un emploi de direc­tion de l’État, il s’agit de pas­ser pro­gres­si­ve­ment d’une logique de flux à une logique de stock et de s’assurer de la pari­té dans l’occupation des emplois de l’État à tous les niveaux, mais aus­si de ren­for­cer cette pari­té dans des sec­teurs ou des métiers où les femmes sont moins pré­sentes. Et, au-delà de la ques­tion de la pari­té, le sou­ci d’une meilleure repré­sen­ta­ti­vi­té et d’une plus grande diver­si­té au sein de la haute fonc­tion publique de l’État est aus­si lié à son attrac­ti­vi­té ; si le ser­vice de l’intérêt géné­ral est un fac­teur d’attraction très fort, les par­cours et métiers de la fonc­tion publique sont sou­vent mal connus. L’incarnation de ces métiers par ceux qui les occupent, qui ne va pas de soi alors que le devoir de réserve impose aux fonc­tion­naires une forme de dis­cré­tion, et leur pro­mo­tion auprès des jeunes géné­ra­tions font par­tie des chan­tiers à mener dans les mois et les années à venir.

Et les corps techniques de l’État

Pour les corps tech­niques, le rap­port remis au Pre­mier ministre par Marion Guillou (X73), Fré­dé­ric Lave­nir et Vincent Ber­ger réaf­firme avec force le besoin de l’État employeur en ingé­nieurs de haut niveau au sein de la haute fonc­tion publique, sur des emplois à carac­tère plus tech­nique, mais aus­si pour leur culture scien­ti­fique dont l’importance est cru­ciale dans une socié­té où l’action publique est sou­vent mise en cause. Le rap­port insiste sur l’importance de main­te­nir une approche par domaines de com­pé­tences, comme c’est le cas aujourd’hui à tra­vers les dif­fé­rents corps, et recom­mande notam­ment le ren­for­ce­ment de l’accompa­gnement des par­cours et l’ouverture des recru­te­ments à la diver­si­té. La concer­ta­tion est en cours sous l’égide de la Diese pour la mise en œuvre de ces recommandations.

Un objectif central

La dis­pa­ri­tion de l’ENA et la mise en extinc­tion des grands corps qui en étaient issus tels que pré­fets, ambas­sa­deurs ou ins­pec­teurs géné­raux ont sus­ci­té cer­taines réac­tions d’inquiétude voire d’opposition ; ces réac­tions ne doivent pas faire oublier l’objectif cen­tral de la réforme, celle d’une haute fonc­tion publique d’excellence plus diver­si­fiée, plus repré­sen­ta­tive de la socié­té, davan­tage ancrée dans le réel et les pré­oc­cu­pa­tions quo­ti­diennes des Fran­çais, capable de trans­for­mer, d’innover, de sim­pli­fier. Le che­min est ambi­tieux, le besoin est immense. 

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