Le programme de décarbonation de la sidérurgie devrait s'appliquer au site ArcelorMittal de Dunkerque d’ici 2030.

Décarbonation de l’acier : un enjeu clé au cœur du changement climatique

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°775 Mai 2022
Par Emmanuel DENEUVILLE (97)

Alors que l’industrie mul­ti­plie les ini­tia­tives pour décar­bo­ner le sec­teur, Arce­lor­Mit­tal, spé­cia­liste de l’a­cier, relève ce défi au tra­vers du lan­ce­ment d’un pro­gramme dédié à la décar­bo­na­tion. Dans cet article, Emma­nuel Deneu­ville (97), revient sur les grandes lignes de ce pro­jet et les objec­tifs de cet acteur incon­tour­nable de la sidérurgie.

Les émissions de CO2 sont aujourd’hui au cœur de tous les débats. Qu’en est-il ?

Le défi cli­ma­tique est un enjeu pour tous et c’est col­lec­ti­ve­ment que nous le relè­ve­rons ! La sidé­rur­gie repré­sente 8 % des émis­sions de CO2 en France et dans le monde. Le site de Dun­kerque pro­duit à lui seul envi­ron 10 % de l’acier du groupe sidé­rur­giste, soit 6 à 7 mil­lions de tonnes par an. Le groupe s’est fixé pour objec­tif d’atteindre la neu­tra­li­té car­bone en 2050 avec un jalon : une réduc­tion de 35 % en 2030 pour l’Europe et de 25 % pour le monde. 

À l’échelle de l’industrie, 2030, c’est demain, Il s’agit donc de lit­té­ra­le­ment réin­ven­ter notre appa­reil de pro­duc­tion pour assu­rer la tran­si­tion cli­ma­tique tout en conti­nuant à offrir des solu­tions aciers, néces­saires pour la pla­nète et pour ses habi­tants. C’est un défi enthou­sias­mant avec une trans­for­ma­tion sans égal depuis la créa­tion des grands sites comme celui de Dun­kerque et Mar­seille et la migra­tion de la sidé­rur­gie « sur l’eau » (en bor­dure de mer) il y a 60 ans.

Vous êtes en charge du programme de décarbonation d’ArcelorMittal France. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?

Ce pro­gramme repré­sente des inves­tis­se­ments d’environ 1,7 mil­liard d’euros sur les sites de Fos-sur-Mer et Dun­kerque d’ici 2030. Cette trans­for­ma­tion repré­sen­te­ra une réduc­tion de 40 % des émis­sions de gaz à effet de serre pour Arce­lor­Mit­tal en France et nous ins­crit dans la tra­jec­toire de l’Accord de Paris. Pour ma part, je suis prin­ci­pa­le­ment en charge du déploie­ment de ce pro­gramme dans le nord de la France. Concrè­te­ment, nous avons iden­ti­fié trois grands leviers essen­tiels pour réa­li­ser cette trans­for­ma­tion, c’est-à-dire main­te­nir la pro­duc­tion de l’acier en Europe tout en dimi­nuant dras­ti­que­ment nos émis­sions de CO2 :

  • La cir­cu­la­ri­té de l’acier : l’acier est un maté­riau recy­clable à l’infini. Nous allons maxi­mi­ser la réuti­li­sa­tion de l’acier exis­tant. Avec un pre­mier pro­jet qui se maté­ria­lise dès cette année, le site va dou­bler la part d’acier recy­clé dans la recette des aciers les plus exi­geants. Ce recy­clage de l’acier per­met de dimi­nuer le besoin en fonte issue des hauts-four­neaux gour­mands en char­bon et il favo­rise une cir­cu­la­ri­té avec des matières pre­mières dis­po­nibles en France et en Europe. C’est la pre­mière étape impor­tante en termes de réduc­tion de nos émis­sions. Ensuite, l’investissement dans un four à arc élec­trique nous per­met­tra d’aller aux limites d’approvisionnement et de contraintes métal­lur­giques per­mises par le car­net client des aciers plats ;

« Pour poursuivre la décarbonation de la sidérurgie, nous devrons développer des technologies qui permettent de désoxyder le minerai de fer et de le faire fondre sans plus recourir au charbon. »

  • La réduc­tion directe du mine­rai : pour pour­suivre notre décar­bo­na­tion, nous devrons déve­lop­per des tech­no­lo­gies qui per­mettent de désoxy­der le mine­rai de fer et de le faire fondre sans plus recou­rir au char­bon. Pour cela, nous allons construire une nou­velle uni­té dite « de réduc­tion directe » (DRI), d’une capa­ci­té de 2,5 mil­lions de tonnes, pour trans­for­mer le mine­rai de fer avec du gaz et de l’hydrogène. Cette uni­té DRI sera cou­plée à une tech­no­lo­gie inno­vante de fours élec­triques. Ce pro­cé­dé est très puis­sant en termes de décar­bo­na­tion puisqu’il est trois fois moins émet­teur de CO2 : la solu­tion est donc à la hau­teur des enjeux. Elle requiert beau­coup d’innovation (usage de l’hydrogène, adap­ta­tions de fours à notre car­net très exi­geant métal­lur­gi­que­ment) et les inves­tis­se­ments colos­saux qu’il demande, néces­si­te­ront le sou­tien public pour res­ter com­pé­ti­tif vis-à-vis de la concur­rence non décar­bo­née. Ces nou­veaux équi­pe­ments indus­triels seront opé­ra­tion­nels à comp­ter de 2027 et rem­pla­ce­ront pro­gres­si­ve­ment trois hauts-four­neaux sur les cinq actuels d’ArcelorMittal en France (deux sur trois à Dun­kerque, un sur deux à Fos-sur-Mer) ;
  • La cir­cu­la­ri­té du car­bone : après ces trans­for­ma­tions qui réduisent à la source l’essentiel du CO2, l’objectif de neu­tra­li­té car­bone impose de mettre en œuvre un troi­sième levier : cap­tu­rer le CO2 rési­duel et le réuti­li­ser (CCU) ou le sto­cker (CCS). Avec un consor­tium, nous démar­rons cette année un démons­tra­teur (« 3D ») qui per­met de tes­ter une amine et un pro­cé­dé inno­vant de cap­ture du CO2 dans le gaz sidé­rur­gique. Nous étu­dions en paral­lèle des solu­tions de sto­ckage dans les couches géo­lo­giques sous la mer et une solu­tion CCU qui syn­thé­ti­se­rait des e‑carburants. Ain­si, nous avons aus­si de nom­breux par­te­na­riats avec dif­fé­rents acteurs de l’énergie comme Engie ou encore Air Liquide.
Le recyclage de l’acier est un facteur clé de la décarbonation car il permet de diminuer le besoin en fonte issue des hauts-fourneaux gourmands en charbon.
Le recy­clage de l’acier est un fac­teur clé de la décar­bo­na­tion car il per­met de dimi­nuer le besoin en fonte issue des hauts-four­neaux gour­mands en charbon.

Dans cette démarche, quels sont vos principaux enjeux ?

Les clés du suc­cès résident dans notre capa­ci­té à en faire une vic­toire col­lec­tive. Nous devons nous unir pour faire face à ce com­bat climatique ! 

Le défi éner­gé­tique est impor­tant : depuis 200 ans, les éner­gies qui ont émer­gé (char­bon, pétrole, nucléaire) n’ont pas réduit la consom­ma­tion des éner­gies anté­rieures mais sim­ple­ment cou­vert la crois­sance du besoin éner­gé­tique. Pour la pre­mière fois, les éner­gies décar­bo­nées qui seront déve­lop­pées dans les années qui viennent, devront réduire notre recours aux éner­gies anté­rieures à com­men­cer par le charbon.

Le défi éco­no­mique peut se résu­mer sim­ple­ment : ceux qui sont plus ver­tueux du point de vue cli­mat, ne doivent pas être péna­li­sés dans la com­pé­ti­tion et cette com­pé­ti­tion est clai­re­ment mon­dia­li­sée en ce qui concerne l’acier.

Nous pou­vons comp­ter pour cela sur le sou­tien des ins­ti­tu­tion­nels au niveau local comme natio­nal et euro­péen. D’ailleurs, le 4 février 2022, nous avons reçu en visite sur notre site, Jean Cas­tex, Pre­mier ministre, Bar­ba­ra Pom­pi­li, ministre de la Tran­si­tion éco­lo­gique, et Agnès Pan­nier-Runa­cher, ministre délé­guée à l’Industrie qui ont com­mu­ni­qué sur leur sou­tien à la décar­bo­na­tion de l’industrie. C’est en effet par le biais d’un tra­vail en équipe et de dia­logues régu­liers que nous pour­rons rendre viables rapi­de­ment ces solu­tions. Nous devons éga­le­ment mettre en place les aspects régle­men­taires néces­saires pour que la décar­bo­na­tion de l’Europe puisse se faire sans être expo­sée aux impor­ta­tions plus car­bo­nées. C’est tout l’enjeu des méca­nismes d’ajustement car­bone en frontière.

« La décarbonation de la sidérurgie est très efficace en termes de décarbonation de la France et de l’Europe. »

La décar­bo­na­tion de la sidé­rur­gie est très effi­cace en termes de décar­bo­na­tion de la France et de l’Europe. Elle per­met­tra aus­si à la sidé­rur­gie verte d’accompagner la socié­té dans sa tran­si­tion cli­ma­tique : elle appor­te­ra par exemple les solu­tions néces­saires au déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables (éolien, solaire) ain­si qu’à la mobi­li­té élec­trique et hydro­gène. L’investissement annon­cé récem­ment de plus de 300 M€ sur le site de Mar­dyck en France pour accom­pa­gner nos clients sur les solu­tions acier des moteurs élec­triques en est une par­faite illustration.

Enfin, le défi humain est lui aus­si de taille puisque nous devons embar­quer de nom­breux talents pour nous rejoindre dans cette aven­ture. Ensemble, nous sommes en train de construire la sidé­rur­gie décar­bo­née des cin­quante pro­chaines années.


En bref

Arce­lor­Mit­tal est un groupe sidé­rur­gique mon­dial. Son siège social est ins­tal­lé à Luxem­bourg. Il est le plus impor­tant pro­duc­teur d’acier au monde, avec 96,42 mil­lions de tonnes pro­duites en 2018. Il est clas­sé 156e dans le clas­se­ment 2016 For­tune Glo­bal 500 des plus grandes socié­tés du monde. L’objectif du groupe est de contri­buer à construire un monde meilleur avec des aciers plus intel­li­gents : des aciers issus de pro­cé­dés inno­vants, plus per­for­mants, moins éner­gi­vores et net­te­ment moins émet­teurs de carbone.

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