Étymologie industrie de la connaissance

Étymologie :
À propos de l’industrie de la connaissance

Dossier : L'Industrie de la connaissanceMagazine N°775 Mai 2022
Par Pierre AVENAS (X65)

L’expression indus­trie de la connais­sance appa­raît en anglais, know­ledge indus­try, dans The Pro­duc­tion and Dis­tri­bu­tion of Know­ledge in the Uni­ted States (1962) de l’économiste Fritz Machlup. Cette indus­trie, mar­quée par l’essor des Gafam à par­tir des années 1970, relève de l’indus­trie du futur, ce qui était le thème de La Jaune et la Rouge de jan­vier 2019 et de son Éty­mo­lo­giX por­tant sur le mot indus­trie. Il ne sera donc ques­tion ici que du mot connais­sance, dont l’étude réserve des surprises.

La connaissance, entre la science et le savoir

À pro­pos de connais­sance, il s’agit aus­si de science, ou de savoir, trois mots de trois ori­gines différentes.

Connaissance

Pri­mo : La racine indo-euro­péenne *gnō- « connais­sance » se retrouve dans la plu­part des langues d’Europe.

En grec, de gnô­sis « enquête, connais­sance » dérive gnos­ti­kos « rela­tif à la connais­sance », d’où gnos­tique, agnos­tique « non-croyant » car il ne connaît pas.

En latin, du verbe nos­cere (d’abord gnos­cere) « apprendre, connaître » dérivent cognos­cere, d’où vient connaître, et cog­ni­tio « action d’apprendre à connaître », d’où cog­ni­tion. Celui qui connaît, c’est qu’il a appris.

De nos­cere vient aus­si notio « action de connaître », d’où notion, ain­si que, plus inat­ten­du, nobi­lis (d’abord gno­bi­lis) « connu, noble » et igno­bi­lis « incon­nu », d’où noble et, avec un sens accen­tué, ignoble.

Dans les langues ger­ma­niques : alle­mand, ken­nen « connaître » et son dou­blet kön­nen « pou­voir », anglais to know « connaître » et I can « je peux », car si on sait, on peut.

Dans les langues slaves : polo­nais, znać, ukrai­nien, zna­ty, russe, znat’ « connaître ».

Science

Secun­do : En latin, scire « savoir » se relie à la racine *sek- « sépa­rer », comme secare « cou­per », d’où scier, et seg­men­tum « entaille », d’où seg­men­ter. De scire dérive scien­tia « connais­sance », d’où la science qui, contre toute attente, a donc un rap­port avec la scie ! L’idée est que la science sépare les réa­li­tés, les seg­mente pour les clas­ser, les organiser.

À ce pro­pos, jusqu’au XVIIe siècle, on a cru que savoir venait aus­si du latin scire, d’où une ortho­graphe fau­tive, même dans la langue de Molière, qui écri­vait Les femmes sça­vantes en 1672. L’origine de savoir est tout autre.

Savoir

Ter­tio : Au cours d’une pro­fonde évo­lu­tion séman­tique, le verbe latin sapere signi­fie d’abord « exha­ler du goût, de la saveur », puis « res­sen­tir le goût », et, par suite, pour une per­sonne « avoir du goût, du juge­ment, com­prendre, savoir ». De là viennent les sur­pre­nants dou­blets saveur et savoir, comme en ita­lien (sapore et sapere) ou en espa­gnol (sabor et saber). Sapere a don­né sapi­dus, d’où sapide/insi­pide, puis en bas latin *sabius, d’où sage. De sapere vient aus­si sapiens « intel­li­gent, sage ». Celui qui sait, c’est qu’il a savou­ré, et c’est un sage, c’est l’Homo sapiens, ain­si dési­gné par Lin­né en 1758.

La connaissance historique

En alle­mand, wis­sen « savoir » et weise « sage » relèvent d’une qua­trième ori­gine, la racine indo-euro­péenne *weid-, « voir » et « savoir ». En grec, le verbe oida « je sais » prend la forme iste « vous savez », qui explique istôr « témoin », puis his­toire (cf. l’Éty­mo­lo­giX de jan­vier 2022). En anglais, avec wise « sage » et wit­ness « témoin », on retrouve celui qui sait parce qu’il a vu.

Épilogue

L’anglais science est un emprunt au fran­çais alors qu’en alle­mand la science se dit Wis­sen­schaft, de -schaft (cf. schaf­fen « créer ») et Wis­sen « savoir, connais­sance », d’où Wis­sen­sin­dus­trie pour l’industrie de la connais­sance… ou du savoir.

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