Sacha Loiseau

Sacha Loiseau (89), souriant et serein

Dossier : TrajectoiresMagazine N°775 Mai 2022
Par Pierre LASZLO

À en croire Sacha Loi­seau, l’empreinte fami­liale fut la plus forte, et c’est pour­quoi l’entrepreneuriat l’em­por­ta sur la recherche scientifique.
A contra­rio, je peux témoi­gner de ce qu’à la fin des années 1980, lorsque j’enseignais à l’École et que Sacha Loi­seau étu­dia la chi­mie avec moi, l’ambition de bon nombre d’élèves était de créer leur propre entre­prise. Bref, sa for­ma­tion l’orienta vers l’astrophysique en pre­mier lieu ; mais les deux milieux, sa famille et sa pro­mo­tion, le pous­sèrent vers une aven­ture à la jonc­tion de la méde­cine et de la technologie. 

Nous nous retrou­vons en vieux amis, il est venu un ancien poly­co­pié en main. Depuis lors, il réus­sit brillam­ment. L’esprit d’entreprise est son héri­tage, par un grand-père venu d’Europe cen­trale, qui fabri­qua postes de radio et télé­vi­seurs de la marque Schneider. 

Une scolarité bilingue anglais-français

Sacha Loi­seau eut comme école pri­maire à Paris (1973−1979) l’extraordinaire école bilingue EAB, où une péda­go­gie bilingue nova­trice s’exerce sous l’impulsion d’une héroïne de la Résis­tance, Jean­nine Manuel (1920−2003). Ce fut ensuite le lycée Vic­tor-Duruy (1979−1986). En pré­pa, ce fut le lycée Saint-Louis (1986−1989) ; il inté­gra, envi­ron 30e, en 52. Puis un pénible ser­vice mili­taire, jusqu’à ce qu’il pût accé­der au Ser­vice de san­té des armées. À Palai­seau, il choi­sit le rug­by comme sport et fut séduit par le parachutisme. 

Après l’École, il opta pour une for­ma­tion par la recherche et entra à l’Observatoire de Paris-Meu­don, où il ren­con­tra Pierre Léna, non seule­ment grand astro­nome et per­son­na­li­té de la phy­sique fran­çaise, mais homme atta­chant, par son inté­gri­té et sa grande culture. Cette ren­contre lui ouvrit un cur­sus de thèse et post­doc, au Jet Pro­pul­sion Labo­ra­to­ry, à Pasa­de­na près de Los Angeles, et à Hawaï, au Mau­na Kea, de 1997 à 1999. Après ce doc­to­rat en astro­phy­sique, une car­rière d’astronome se dessinait. 

Inventeur et entrepreneur

Mais, fas­ci­né par notre vision, tout par­ti­cu­liè­re­ment son récep­teur pri­maire, la rétine, qu’il obser­va à haute réso­lu­tion, Sacha Loi­seau pilo­ta la mise au point d’un ins­tru­ment inno­vant d’optique bio­mé­di­cale, la pla­te­forme d’endomicroscopie confo­cale laser Cell­vi­zio, dont l’origine se trou­vait dans le labo­ra­toire de Jean-Fran­çois Le Gar­gas­son, oph­tal­mo­lo­giste à l’hôpital Lari­boi­sière et doc­teur en physique.

Le Cell­vi­zio per­met l’observation des tis­sus avec une sonde consti­tuée d’un réseau de mil­liers de fibres optiques. L’image obte­nue en temps réel per­met de visua­li­ser une sur­face d’environ 0,5 mm2 avec une réso­lu­tion de 1 micron, alors qu’un endo­scope clas­sique est de 400 à 1 000 fois moins per­for­mant. L’image est de plus tomo­gra­phique ou confo­cale, c’est-à-dire que le Cell­vi­zio réa­lise une coupe optique du tis­su à une pro­fon­deur de l’ordre de 150 microns, per­met­tant de détec­ter des signes très pré­coces de can­cer dans dif­fé­rents organes, comme l’œsophage, le pan­créas ou encore les poumons. 

Sacha Loi­seau a dû lever plus de 150 mil­lions d’euros pour finan­cer le déve­lop­pe­ment de la socié­té, qu’il nom­ma Mau­na Kea, l’introduisant en Bourse en juillet 2011. Cette socié­té compte actuel­le­ment envi­ron 70 per­sonnes. Cela aux USA ? Non point : en France. 

Deux cultures, une passion

Sacha Loi­seau, pour­tant bilingue amé­ri­cain-fran­çais depuis son enfance, est de culture majo­ri­tai­re­ment amé­ri­caine : Mark Roth­ko est son peintre pré­fé­ré, il affec­tionne les archi­tec­tures de Frank Geh­ry, son musi­cien de jazz favo­ri est Miles Davis, il adore les chan­sons de Jimi Hen­drix et Phi­lip Roth est son roman­cier pré­fé­ré ! Seule­ment les États-Unis l’avaient rebu­té pour de bon lorsque, après la tue­rie de Colum­bine (1999, 15 morts en milieu sco­laire), n’intervint aucune régle­men­ta­tion accrue des armes à feu. 

Hélas, le conser­va­tisme fran­çais, notre réti­cence devant l’innovation, le déçoivent. Il constate que non seule­ment les États-Unis ou l’Allemagne, mais aus­si la Suisse, sont bien plus ouverts à l’innovation que nous – au moins dans le sec­teur bio­mé­di­cal : « La France a tout fait depuis des dizaines d’années pour se pro­té­ger des tech­no­lo­gies médi­cales inno­vantes. » Mais Sacha est un lut­teur, il ne s’avoue pas bat­tu. Il met bien des espoirs dans la méde­cine génomique. 

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