Open source RTE

L’Open Source, au cœur de la transition énergétique

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°774 Avril 2022
Par Lucian BALEA (99)

Pour faire face au défi de la tran­si­tion éner­gé­tique et se pré­pa­rer à l’émergence de nou­veaux usages, RTE mise sur l’open source. Dans cet article, Lucian Balea (99), direc­teur pro­gramme open source RTE, nous rap­pelle les avan­tages de ce modèle de gou­ver­nance et nous en dit davan­tage sur les pro­jets de ce ges­tion­naire de réseau public dans ce cadre.

Que représente l’open source pour un acteur comme RTE ?

RTE est le ges­tion­naire du réseau de trans­port d’électricité fran­çais. Nos prin­ci­pales mis­sions consistent à exploi­ter, main­te­nir et déve­lop­per le réseau élec­trique d’environ 105 000 km de lignes à haute et très haute ten­sion en France et assu­rer une ali­men­ta­tion élec­trique fiable, éco­no­mique et res­pec­tueuse de l’environnement aux consom­ma­teurs. Et, dans le cadre de ces mis­sions, RTE est donc un acteur majeur de la tran­si­tion éner­gé­tique. D’ailleurs, nous avons un cer­tain nombre de trans­for­ma­tions pour per­mettre cette tran­si­tion éner­gé­tique qui chal­lenge nos façons tra­di­tion­nelles de gérer le réseau élec­trique. Aujourd’hui, nous sommes confron­tés à un déve­lop­pe­ment de pro­duc­tion renou­ve­lable décen­tra­li­sée et nous nous pré­pa­rons à l’arrivée de nou­veaux usages tel que le déve­lop­pe­ment de la mobi­li­té élec­trique. Mais, l’électricité est, et res­te­ra un bien vital pour la socié­té et pour l’économie. Il est donc impor­tant de main­te­nir une ali­men­ta­tion éco­no­mique et fiable. Pour cela, RTE mise sur un cer­tain nombre de solu­tions digi­tales et infor­ma­tiques per­met­tant d’adapter ses pro­ces­sus métier et accom­pa­gner cette tran­si­tion éner­gé­tique. Dans ce contexte, un des chal­lenges aux­quels nous fai­sons face est l’accélération de cette feuille de route digi­tale tout en pré­ser­vant la per­for­mance opé­ra­tion­nelle de l’entreprise.

Néan­moins, les façons tra­di­tion­nelles de déve­lop­per les logi­ciels ne livrent pas les résul­tats en adé­qua­tion avec ces ambi­tions et ces enjeux. De ce fait, nous devons ima­gi­ner de nou­velles façons d’organiser et de gou­ver­ner les pro­jets logi­ciels de manière à gagner en effi­ca­ci­té. Et, il s’est avé­ré que l’open source répond par­fai­te­ment à cette pro­blé­ma­tique. En effet, ce modèle de gou­ver­nance a déjà fait ses preuves dans de nom­breuses autres indus­tries. Il per­met de gagner en per­for­mance, d’accélérer les pro­jets, de mutua­li­ser les coûts de déve­lop­pe­ment et de sti­mu­ler l’innovation.

C’est donc pour cette rai­son que RTE a déci­dé de s’y inté­res­ser. Nous avons fait le pari de trans­po­ser ce modèle à l’industrie élec­trique. Cette démarche s’est maté­ria­li­sée par une vision ambi­tieuse de l’open source. C’est dans ce cadre, que nous avons jus­te­ment enga­gé une col­la­bo­ra­tion avec la Linux Foun­da­tion, la fon­da­tion open source la plus impor­tante au monde. Cette der­nière est basée en Cali­for­nie et héberge les pro­jets logi­ciels phares. Cette col­la­bo­ra­tion entre RTE et Linux Foun­da­tion a abou­ti à la créa­tion de Linux Foun­da­tion For Ener­gy, une sous-fon­da­tion dont nous sommes membre stratégique.

Justement, avec LF Energy et Savoir-faire Linux, vous avez développé une plateforme open source d’automatisation et de protection des postes électriques. De quoi s’agit-il concrètement ?

Il s’agit de l’un des pro­jets emblé­ma­tiques que nous avons déve­lop­pés selon cette gou­ver­nance open source. Dans les réseaux élec­triques, nous déployons des sys­tèmes de contrôle com­mande et d’automatisation qui visent à réagir à des aléas pou­vant sur­ve­nir (une ligne frap­pée par la foudre par exemple). Ces auto­ma­tismes ont voca­tion à réagir et à main­te­nir le réseau élec­trique dans des plages de fonc­tion­ne­ment qui ne met pas en dan­ger la vie des per­sonnes ou de maté­riels. Et, tra­di­tion­nel­le­ment ces sys­tèmes d’automatismes, nous les déployons sous forme de com­po­sants maté­riels, à savoir des boî­tiers que nous ins­tal­lons sur le ter­rain. Pour répondre aux enjeux de la tran­si­tion éner­gé­tique, nous devons faire évo­luer ces sys­tèmes de contrôle com­mande pour les adap­ter fonc­tion­nel­le­ment aux nou­veaux usages. Nous avons la convic­tion que si nous pou­vons conver­tir les fonc­tions qui sont aujourd’hui déployées sous forme de maté­riels en logi­ciels, nous gagnons en agi­li­té et effi­ca­ci­té. En effet, il est beau­coup plus simple de déployer du logi­ciel sur une pla­te­forme à dis­tance que d’installer un équi­pe­ment sur le ter­rain. Au-delà de l’agilité, cela appor­te­ra éga­le­ment des gains d’exploitation et de main­te­nance ain­si que la capa­ci­té d’avoir davan­tage d’innovations dans ces systèmes.

Aujourd’hui, la tech­no­lo­gie infor­ma­tique qui a été pous­sée par d’autres indus­tries notam­ment celle de l’automobile a gagné en matu­ri­té et pour­rait répondre à nos besoins.

En revanche, nous devons être en mesure d’embarquer tout notre éco­sys­tème dans cette vision. C’est dans ce contexte, que RTE et Savoir-faire Linux ont lan­cé conjoin­te­ment la pla­te­forme de vir­tua­li­sa­tion Sea­path (Soft­ware Enabled Auto­ma­tion Plat­form and Arti­facts – THE­rein -). L’objectif est de déve­lop­per en temps réel une solu­tion de concep­tion de réfé­rence et de qua­li­té indus­trielle qui peut exé­cu­ter des appli­ca­tions vir­tua­li­sées d’automatisation et de pro­tec­tion. Cette pla­te­forme est des­ti­née à héber­ger des appli­ca­tions multifournisseurs.

Par ailleurs, en pré­sen­tant ce pro­jet, Allian­der, un autre ges­tion­naire de réseau de dis­tri­bu­tion a tout de suite adhé­ré au projet.

Quels sont les avantages de cette démarche ?

Le pre­mier béné­fice de cette démarche est la mutua­li­sa­tion. RTE est bel et bien confron­té aux enjeux de la tran­si­tion éner­gé­tique, mais, tous nos homo­logues euro­péens le sont aussi.

Il s’agit même d’un chal­lenge pla­né­taire ! Et, nous avons une conver­gence d’intérêt d’autant plus forte en Europe du fait de la régle­men­ta­tion com­mune qui vise à har­mo­ni­ser les pra­tiques. En y tra­vaillant à trois, nous rédui­sons les coûts et les délais par trois et tri­plons notre efficacité.

Par ailleurs, l’open source est un cadre pro­pice à l’innovation. Elle per­met aux acteurs ayant des com­pé­tences et savoir-faire com­plé­men­taires de se retrou­ver, et très sou­vent de manière for­tuite. À titre d’exemple, Allien­der est l’un des prin­ci­paux par­te­naires de RTE dans les pro­jets open source. Pour­tant, nous n’avions jamais tra­vaillé ensemble aupa­ra­vant. Enfin, les pro­jets open source per­mettent de pen­ser des solu­tions de manière inter­opé­rable et inté­grée. Il s’agit d’un aspect impor­tant et qui va dans le sens de la vision du sys­tème élec­trique futur, beau­coup plus décentralisé.

Enfin, l’open source repré­sente aus­si une dimen­sion inté­res­sante pour les recru­te­ments. À mesure que les solu­tions digi­tales et infor­ma­tiques prennent davan­tage de place dans la qua­si-tota­li­té des sec­teurs indus­triels, nous avons une concur­rence crois­sante concer­nant le recru­te­ment de bons déve­lop­peurs. Chez RTE, nous ne nous conten­tons pas de recru­ter mais de pro­po­ser une oppor­tu­ni­té de car­rière de déve­lop­peur, qui soit à la fois impli­qué sur des enjeux de tran­si­tion éner­gé­tiques mais aus­si dans des modèles de déve­lop­pe­ment open source. Certes, RTE n’est pas a prio­ri per­çue comme une entre­prise phare du domaine infor­ma­tique, mais nous avons de nom­breuses offres et sus­ci­tons l’intérêt de nom­breux développeurs.

Quelles sont vos perspectives, mais également vos enjeux ?

Aujourd’hui, nous sou­hai­tons accé­lé­rer l’innovation de notre feuille de route logi­cielle en lien avec les enjeux de la tran­si­tion éner­gé­tique. La sévé­ri­té du chan­ge­ment cli­ma­tique et l’importance de cet enjeu sont crois­santes. Selon les rap­ports du GIEC, les impacts du chan­ge­ment cli­ma­tique auront des effets dévas­ta­teurs impor­tants sur la nature et les popu­la­tions dans toutes les régions. La pres­sion et les attentes de la socié­té pour résoudre ce chal­lenge vont s’intensifier et l’entreprise ne doit pas être un fac­teur limi­tant dans les trans­for­ma­tions à venir.

Quelles sont les prochaines étapes pour RTE sur ce sujet ? Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?

Nous avons pour objec­tif de déve­lop­per des col­la­bo­ra­tions open source autour de pro­jets cœur de métier. 

Nous nous ins­cri­vons dans une logique de Think big, Start small, Learn fast, qui nous a per­mis de construire une image assez ambi­tieuse de l’open source.

C’est en 2018 que nous avons com­men­cé à y tra­vailler et aujourd’hui nous avons sur la table deux pro­jets open source et sept pro­jets cœurs de métier. Nous comp­tons pour­suivre sur ce che­min et voir les béné­fices des col­la­bo­ra­tions se matérialiser. 

Poster un commentaire