Karine Berger

Karine Berger (93) Tout feu, tout flamme

Dossier : TrajectoiresMagazine N°772 Février 2022
Par Pierre LASZLO

L’X dis­pense une for­ma­tion poly­scien­ti­fique. De plus, cer­tains élèves arrivent à Palai­seau avec une curio­si­té tous azi­muts. Ils y veillent à l’alimenter autant qu’à la pro­té­ger. Ce fut le cas de Karine Ber­ger, il me paraît exemplaire.

Je ne me foca­li­se­rai pas sur sa car­rière poli­tique, d’autres l’ont décrite et ana­ly­sée, cari­ca­tu­rée sur­tout. Elle ne fut ni une aber­ra­tion ni une réus­site – pour l’Assemblée natio­nale comme pour la dépu­tée des Hautes-Alpes (de 2012 à 2017). Son per­son­nage public fut alors abon­dam­ment com­men­té par les médias : « La presse audio­vi­suelle notam­ment m’a offert une oppor­tu­ni­té média­tique hors norme pour une députée. »

Les maths en héritage, l’X en objectif

Elle tient de ses parents, pro­fes­seurs de mathé­ma­tiques, le don des maths. Son enfance et sa sco­la­ri­té à Limoges, par l’étroitesse de l’apport cultu­rel, lui donnent une frin­gale pour un com­plé­ment, pour une bouf­fée d’oxygène. Elle vit une ado­les­cence explo­sive – Jeu­nesses com­mu­nistes y com­pris. Elle com­mence à la satis­faire en pré­pa, à Louis-le-Grand, à 17 ans. D’où aus­si une bou­li­mie de sti­mu­la­tion intellectuelle.

Elle ado­ra le film de Rap­pe­neau, Tout feu, tout flamme (1982) ; le per­son­nage joué par Isa­belle Adja­ni, d’une major à l’X, l’attrait aus­si du défi­lé du 14 Juillet lui firent élire l’École comme unique cible. Elle y accé­da en 1993, pour « deux années de pur bon­heur : que de choses apprises, de réflexions, de sciences… en quelques mois ».

Au nombre de ses pro­fes­seurs mémo­rables, le Belge Jacques Neveu en mathé­ma­tiques appli­quées, phy­si­que­ment un colosse, atten­tif à autrui et d’une infi­nie gen­tillesse : « La pro­ba­bi­li­té n’était pas une matière mathé­ma­tique com­plè­te­ment affir­mée, même au tour­nant des années 1990 ; et Neveu a – je crois – répa­ré l’erreur de Bour­ba­ki en la matière… Pierre-Louis Lions aus­si en mathé­ma­tiques m’a beau­coup mar­quée ; Alain Fin­kiel­kraut, et son incroyable cours sur Les deux Cultures ; un jour je l’ai remer­cié de m’avoir fait lire Arendt, Renan, etc. ; et une pen­sée quand même forte pour Pierre-Alain Muet qui nous a fait décou­vrir la macroé­co­no­mie ; qui bien des années plus tard était dépu­té en même temps que je l’ai été, et un ami. » 

Karine Ber­ger est main­te­nant, après y avoir fait le gros de sa car­rière pro­fes­sion­nelle, secré­taire géné­rale de l’Insee – un poste pas­sion­nant, avec de vastes responsabilités.

Mystique et esthétique

Son jar­din secret ? Je men­tion­ne­rai pre­miè­re­ment un tableau, de ce Quat­tro­cen­to flo­ren­tin qu’elle affec­tionne, La Thé­baïde, du musée des Offices à Flo­rence. On l’attribue à Fra Ange­li­co. « Cosi­mo de Médi­cis contem­plait dans sa cel­lule de San Mar­co deux œuvres du Bea­to ; c’est à mes yeux l’un des grands mys­tères du vieux Cosi­mo. » Des ermites s’affairent, soli­taires, à diverses tâches pieuses dans un désert égyp­tien ima­gi­naire. De gros rochers nus y font le paysage.

De tels rochers font aus­si par­tie du pay­sage de haute mon­tagne. En par­ti­cu­lier dans celui face à la Meije, que le com­po­si­teur Oli­vier Mes­siaen affec­tion­nait tant, lorsqu’il séjour­nait à La Grave. En son hon­neur, chaque été, un orchestre sym­pho­nique s’y trans­porte et joue diverses com­po­si­tions dont la splen­dide Turan­ga­lî­la-Sym­pho­nie (1946−1948) ou Et exs­pec­to resur­rec­tio­nem mor­tuo­rum (1964). Karine Ber­ger pré­side l’association Oli­vier Mes­siaen au pays de la Meije qui orga­nise ces concerts en alti­tude. 

Sa décou­verte de Mes­siaen ? « Un choc grâce à la salle Pleyel : ils avaient pro­po­sé un par­cours de décou­verte de la musique contem­po­raine (disons XXe siècle…) sur une année (cela devait être autour de 2007). Les quatre soi­rées ont été une révé­la­tion esthé­tique, et dès l’été sui­vant je me suis ren­due au fes­ti­val dédié dans les Hautes-Alpes. Et j’ai noué de fortes ami­tiés avec tant d’interprètes ou de com­po­si­teurs depuis lors. »

Ce double inté­rêt, pour la pein­ture du XVe et pour la musique de Mes­siaen, témoigne de la per­son­na­li­té de Karine Ber­ger, une vigou­reuse can­deur, atta­chée à l’authenticité et à la jus­tice ; de plain-pied avec son enga­ge­ment socialiste.


Pour en savoir plus 

Rap­port à l’Assemblée natio­nale sur l’extraterritorialité de la légis­la­tion amé­ri­caine, n° 4082, 5 octobre 2016. 

Ales­san­dra Mal­quo­ri, La Tebaide degli Uffi­zi. Tra­di­zio­ni let­te­ra­rie e figu­ra­tive per l’interpretazione di un tema ico­no­gra­fi­co, I Tat­ti Stu­dies in the Ita­lian Renais­sance, 2001, 9, 119–137.

Claude Samuel : Per­ma­nences d’Olivier Mes­siaen. Dia­logues et Com­men­taires, Paris, Actes Sud, 1999, 484 p.

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