Logistique ferroviaire

Logistique ferroviaire, un potentiel économique et écologique à développer

Dossier : LogistiqueMagazine N°772 Février 2022
Par Frédéric DELORME (79)

Le train est une com­po­sante essen­tielle de l’avenir du trans­port de fret éco­lo­gique. Délais­sé en France au pro­fit du trans­port rou­tier, le fret fer­ro­viaire est aujourd’hui l’objet d’une stra­té­gie natio­nale dans laquelle il fait valoir ses atouts de déve­lop­pe­ment éco­no­mique durable.

Depuis le pre­mier choc pétro­lier, la part de mar­ché du fret fer­ro­viaire en France n’a ces­sé de s’éroder… Mais, pour la pre­mière fois, l’horizon semble se déga­ger pour le sec­teur. Les fac­teurs com­bi­nés de l’urgence cli­ma­tique et de la crise sani­taire ont en effet révé­lé les atouts de la logis­tique fer­ro­viaire, qui appa­raît enfin comme une solu­tion aux enjeux envi­ron­ne­men­taux et éco­no­miques aux­quels doivent faire face la France et l’Europe.

Aux origines du déclin du rail

En France, depuis le milieu des années 1980, les prin­ci­paux inves­tis­se­ments d’infrastructure ont été faits au ser­vice du trans­port de voya­geurs. Le fret fer­ro­viaire a long­temps été consi­dé­ré comme non ren­table, au vu des maigres recettes per­çues par le ges­tion­naire de réseau et de l’absence de consi­dé­ra­tion pour les exter­na­li­tés posi­tives du sec­teur. Le réseau fer­ro­viaire fran­çais du fret souffre donc d’un retard de main­te­nance de ses grands axes, de ses capil­laires, ain­si que des ter­mi­naux et triages.

Par ailleurs, sur les axes en réno­va­tion, les tra­vaux, effec­tués dans des bud­gets contraints, ont le plus sou­vent lieu de nuit, sur les plages horaires de cir­cu­la­tion des trains de mar­chan­dises. La qua­li­té des sillons est de fait beau­coup plus faible, au détri­ment des char­geurs qui se sont détour­nés du rail au pro­fit de la route, laquelle leur paraît plus fiable, même sur longue dis­tance. À cela, il faut ajou­ter la dés­in­dus­tria­li­sa­tion de la France : ces trente der­nières années, la part du sec­teur indus­triel dans le PIB natio­nal est pas­sée de 24 % à 14 %. Une baisse qui a impac­té le fret fer­ro­viaire, puisque les matières pre­mières indus­trielles occupent une place pri­mor­diale dans le trans­port de mar­chan­dises par rail.

Enfin, la concur­rence rail-route est dés­équi­li­brée : les exter­na­li­tés néga­tives du rou­tier sont 3,5 fois plus éle­vées que celles du fer, du fait de la conges­tion rou­tière, de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique, des acci­dents de la route et des émis­sions de CO2 qu’il génère. Or ce dif­fé­ren­tiel de coûts externes n’est pas pris en compte d’un point de vue éco­no­mique, car le trans­port rou­tier ne contri­bue pas tou­jours à cou­vrir l’ensemble de ces coûts. Pour­tant, mal­gré ce mau­vais jeu de cartes, les atouts envi­ron­ne­men­taux, socié­taux et éco­no­miques du fret fer­ro­viaire appa­raissent de plus en plus évidents.


Repères

Aujourd’hui, la France, avec 9 % des mar­chan­dises trans­por­tées par voie fer­rée et 89 % par la route, fait pâle figure par rap­port à ses voi­sins euro­péens. Ain­si, en Alle­magne ou en Suisse, le fret fer­ro­viaire trans­porte res­pec­ti­ve­ment 18 % et 35 % des mar­chan­dises, tan­dis que l’investissement par habi­tant dans le fer­ro­viaire est de 77 euros (Alle­magne) et 365 euros (Suisse), contre 40 euros en France jusqu’au tout récent plan de relance du gou­ver­ne­ment. Il est donc évident qu’accorder plus de place au fret fer­ro­viaire dans le pay­sage logis­tique relève bien avant tout d’un choix politique.


Trans­port Com­bi­né dans la Val­lée du Rhone © Jean-Jacques d’Angelo

Les atouts environnementaux et sociétaux du fret ferroviaire

Comme le rap­pellent sans relâche les acteurs du sec­teur, regrou­pés au sein de la coa­li­tion 4F, le fret fer­ro­viaire génère neuf fois moins d’émissions de car­bone que la route et, sans report modal de la route vers le rail, il sera impos­sible à la France d’atteindre ses objec­tifs de décar­bo­na­tion, sur­tout dans un contexte où le tra­fic de mar­chan­dises devrait aug­men­ter dans les années à venir. Et, mal­gré toutes les pro­messes de déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique du sec­teur rou­tier, le ver­dis­se­ment des camions sera coû­teux et long à réa­li­ser. Or nous avons besoin de solu­tions immé­diates pour décar­bo­ner le trans­port de mar­chan­dises et ain­si res­pec­ter nos enga­ge­ments cli­ma­tiques. Il faut aus­si rap­pe­ler que le fret fer­ro­viaire émet aus­si huit fois moins de par­ti­cules fines dans l’atmosphère et cause 85 fois moins d’accidents que les camions.

Par ailleurs, du fait des lois de la phy­sique (le train « glisse » sur le rail quand le camion « frotte » sur la route), une tonne trans­por­tée par le rail consom­me­ra tou­jours six fois moins d’énergie que la même tonne trans­por­tée par la route, et ce quel que soit le type d’énergie (élec­trique, fos­sile, hydro­gène…) ! Cet avan­tage com­pé­ti­tif devrait être valo­ri­sé éco­no­mi­que­ment dans les poli­tiques et déci­sions pri­vées et publiques d’investissement ou d’exploitation, au même titre que la valeur car­bone ou la qua­li­té de l’air. Valo­ri­ser les cobé­né­fices dans l’économie et le mar­ché est le moyen le plus effi­cace pour chan­ger de para­digme et ain­si pro­té­ger la pla­nète. Cette valo­ri­sa­tion pro­fi­te­ra évi­dem­ment en pre­mier lieu aux acteurs qui bas­cu­le­ront vers le trans­port com­bi­né, jouant sur la com­plé­men­ta­ri­té entre le rail (trans­port de mar­chan­dises sur la longue dis­tance) et la route (courtes dis­tances et der­nier kilomètre).

“Une tonne transportée par le rail consommera toujours six fois moins d’énergie que la même tonne transportée par la route.”

L’alignement des planètes pour le rail

Jamais le contexte n’aura été aus­si favo­rable à la relance du fret fer­ro­viaire. En France, l’objectif d’un dou­ble­ment de la part modale du fret fer­ro­viaire de 9% à 18 % d’ici à 2030, qui figu­rait dans les conclu­sions de la Conven­tion citoyenne pour le cli­mat, a été ins­crit dans la loi por­tant lutte contre le dérè­gle­ment cli­ma­tique, après une forte mobi­li­sa­tion de la filière. Une stra­té­gie natio­nale pour le fret fer­ro­viaire a été pré­sen­tée le 13 sep­tembre 2021. Et, pour la pre­mière fois, un pacte pour le déve­lop­pe­ment du fret fer­ro­viaire a été signé entre les dif­fé­rentes par­ties pre­nantes (l’État, l’alliance 4F, SNCF Réseau et l’AUTF, l’association pro­fes­sion­nelle des char­geurs) pour assu­rer une mise en œuvre concer­tée de cette stratégie.

Concrè­te­ment, la mobi­li­sa­tion du gou­ver­ne­ment se tra­duit en fonds alloués pour redy­na­mi­ser le sec­teur, à savoir à ce jour un mil­liard d’euros dédié aux infra­struc­tures d’ici 2024 (réno­va­tion des lignes capil­laires, régé­né­ra­tion des voies de ser­vice et des triages, tra­vaux pour les trains longs et lourds, ou encore inves­tis­se­ments dans le déve­lop­pe­ment des pla­te­formes pour le trans­port com­bi­né), ain­si que des aides à l’exploitation au mini­mum jusqu’à 2024 et 210 M€ pour amé­lio­rer les sillons du fret. Autre signe encou­ra­geant : si l’État fran­çais se sai­sit du sujet, l’impulsion finan­cière néces­saire à la relance du fret fer­ro­viaire vient aus­si du Green Deal euro­péen, dont les fonds sont des­ti­nés à la tran­si­tion éco­lo­gique des pays membres, qui se sont fixé pour objec­tif la neu­tra­li­té car­bone d’ici à 2050.

La filière fran­çaise, repré­sen­tée au niveau euro­péen par la coa­li­tion Rail Freight For­ward, conti­nue donc à se mobi­li­ser afin d’obtenir des mesures de sou­tien d’ordre régle­men­taire et finan­cier pour le sec­teur. Les argu­ments envi­ron­ne­men­taux du fret fer­ro­viaire com­mencent donc enfin à être enten­dus. Ce qu’il faut faire savoir à pré­sent, c’est que l’argent inves­ti dans le rail génère richesse et crois­sance : une crois­sance verte, durable, au ser­vice de la réin­dus­tria­li­sa­tion de la France et de la redy­na­mi­sa­tion de ses territoires.

Navi­land Car­go © Syl­vain Cambon

Un fort potentiel de croissance

Grâce à sa forte capa­ci­té d’emport, le fret fer­ro­viaire est la solu­tion qui per­met­tra de faire face à l’augmentation pré­vue de la cir­cu­la­tion des mar­chan­dises dans les années à venir (+ 30 % d’ici 2030 en Europe). Dans la pers­pec­tive de la réin­dus­tria­li­sa­tion de nos ter­ri­toires, son déve­lop­pe­ment béné­fi­cie­ra à un large éco­sys­tème : indus­triels mais aus­si entre­prises de BTP, ports et aéro­ports, pro­duc­teurs d’électricité, opé­ra­teurs télécoms.

Et, dans un mou­ve­ment ver­tueux, le fret fer­ro­viaire sera en mesure de par­ti­ci­per à la redy­na­mi­sa­tion ter­ri­to­riale puisque, pour se déve­lop­per et contri­buer à la relo­ca­li­sa­tion indus­trielle, les zones d’activités indus­trielles et logis­tiques, concen­trées ou dif­fuses, doivent pou­voir accé­der à des cor­ri­dors euro­péens et béné­fi­cier d’une bonne connexion avec les infra­struc­tures por­tuaires, aéro­por­tuaires et flu­viales. Et les trans­por­teurs rou­tiers fran­çais, qui perdent des parts de mar­ché face à la concur­rence étran­gère depuis vingt ans sur les tra­jets inter­na­tio­naux, gagne­raient éga­le­ment à un rééqui­li­brage modal, en s’appuyant sur les com­plé­men­ta­ri­tés avec le fret fer­ro­viaire grâce au trans­port combiné.

Une politique publique de rupture

Dou­bler la part du rail néces­si­te­ra des inves­tis­se­ments dans les infra­struc­tures fer­ro­viaires, éva­lués par l’alliance 4F à 11 Md€ d’ici 2030, pour écou­ler le tra­fic sur un réseau déjà satu­ré par les voya­geurs et les tra­vaux. Mais cela per­met­tra simul­ta­né­ment une éco­no­mie sur les coûts externes du trans­port ter­restre de mar­chan­dises, esti­mée à 25 Md€ entre 2020 et 2040.

À par­tir de 2030, les éco­no­mies déga­gées s’élèveront à 1,5 Md€ par an au béné­fice de la socié­té, de l’industrie, de l’emploi et des ter­ri­toires. Dès 2032, les gains d’externalité seront supé­rieurs aux inves­tis­se­ments consen­tis (étude Alter­mind 2020). Pour par­ve­nir à ce report modal et entrer de plain-pied dans la tran­si­tion éner­gé­tique, il est néces­saire que la France s’engage dans une poli­tique publique en rup­ture, qui per­met­trait l’intégration des exter­na­li­tés dans la prise des déci­sions publiques.

Cette nou­velle approche doit béné­fi­cier à la fois au sec­teur du fret fer­ro­viaire – c’est notam­ment l’objet des aides aux opé­ra­teurs comme le wagon iso­lé – mais aus­si aux don­neurs d’ordre qui doivent être finan­ciè­re­ment inci­tés à bas­cu­ler vers le rail. Cette inci­ta­tion ne peut pas être can­ton­née à la taxa­tion, car l’augmentation des prix impacte ensuite le consom­ma­teur. D’autres formes d’incitation, telles que le cré­dit d’impôt spé­ci­fique, sont donc à envisager.

Char­ge­ment de camion pour fer­rou­tage, Le Bou­lou © Chris­tophe Milhet

Des chargeurs en attente de fret ferroviaire

Les entre­prises de fret fer­ro­viaire, conscientes du rôle qu’elles aus­si ont à jouer pour accé­lé­rer ce report des mar­chan­dises de la route vers le rail, ont com­men­cé leur propre révo­lu­tion pour pro­po­ser un ser­vice plus per­for­mant et com­pé­ti­tif. Le baro­mètre Euro­group Consul­ting 2021 sur le com­por­te­ment des char­geurs rap­porte ain­si une nette amé­lio­ra­tion du taux de satis­fac­tion quant à la qua­li­té du ser­vice four­ni par le fret fer­ro­viaire en France.

C’est ce constat de per­for­mance qui a pous­sé de grandes marques – Ama­zon, Décath­lon, Lidl, Danone, Ikea – à choi­sir les auto­routes fer­ro­viaires sur la longue dis­tance pour le trans­port d’une par­tie de leurs mar­chan­dises. Et l’étude montre que les inten­tions des char­geurs de recou­rir au fret fer­ro­viaire conven­tion­nel et au com­bi­né rail-route sont en nette aug­men­ta­tion depuis l’an dernier.

Cepen­dant, pour pour­suivre dans cette voie, le sec­teur doit abso­lu­ment être sou­te­nu dans ses inves­tis­se­ments dédiés à l’innovation. Car c’est l’innovation qui lui per­met­tra d’accélérer sa trans­for­ma­tion numé­rique et de déve­lop­per la per­for­mance intrin­sèque du fret fer­ro­viaire, à tra­vers des tech­no­lo­gies de pointe telles que l’attelage auto­ma­tique de wagons, le train auto­nome, l’intelligence arti­fi­cielle au ser­vice d’une ges­tion euro­péenne des trafics.

Autant de révo­lu­tions néces­saires à l’avènement d’un « train de fret du futur », plus effi­cace, plus rapide, plus connec­té, et encore plus sûr, celui qui don­ne­ra envie aux char­geurs de faire le choix du rail et per­met­tra à la France de sor­tir d’une crise sani­taire sans pré­cé­dent pour se lan­cer dans une recons­truc­tion à même de conci­lier éco­lo­gie et économie.

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