Évasion

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°771 Janvier 2022
Par Jean SALMONA (56)

Je pense vrai­ment que le seul moyen effi­cace de s’évader est de s’enfoncer au plus pro­fond de son être. Croyez-moi, ain­si l’on peut tout fuir, et soi-même en premier.

Louis Scu­te­naire, Mes ins­crip­tions (1943−1944)

L’on peut avoir de mul­tiples rai­sons de s’évader : échap­per à une situa­tion dif­fi­cile, à un pro­blème inso­luble, tout sim­ple­ment à l’ennui, ou bien recher­cher le plai­sir de la décou­verte, comme Bau­de­laire « au fond de l’inconnu pour trou­ver du nou­veau ». Quelle que soit la rai­son qui nous pousse à fuir, la musique est le véhi­cule opti­mal. Voi­ci quatre disques qui vous emmè­ne­ront ailleurs, pour peu que vous les écou­tiez avec attention.


Ivan Ievstafievitch Khandochkine

Vous ne connais­sez vrai­sem­bla­ble­ment pas Ivan Khan­do­ch­kine, com­po­si­teur russe d’origine ukrai­nienne, vio­lo­niste à la cour de Cathe­rine II à Saint-Péters­boug. L’excellente vio­lo­niste Nicole Tames­tit vous offre la pos­si­bi­li­té de le décou­vrir en enre­gis­trant cinq pièces pour vio­lon seul : trois Sonates, une Aria en ré mineur et une Chan­son russe. L’originalité de cette musique très per­son­nelle, créa­tive, pas­sion­née, vir­tuose, proche de l’improvisation, ins­pi­rée par des chants folk­lo­riques, réside sans doute dans ce mariage de l’âme slave avec l’esprit ita­lien, typique de Saint-Péters­bourg, la plus ita­lienne des villes russes où elle vous trans­por­te­ra, au sor­tir de l’époque baroque.

1 CD DILIGENCE


Nicolas Bacri – Canto di Speranza

De tous les com­po­si­teurs contem­po­rains, Nico­las Bacri est un des rares, avec Karol Bef­fa, dont on puisse dire que sa musique pas­se­ra à la pos­té­ri­té. C’est qu’il réa­lise ce pari impos­sible de s’inscrire dans la
conti­nui­té des grands maîtres du pas­sé tout en étant pro­fon­dé­ment ori­gi­nal. Plus pré­ci­sé­ment, sa musique oscille entre la fidé­li­té à la tra­di­tion clas­sique et la rup­ture avec cette même tra­di­tion. Un magni­fique exemple de cette ten­sion per­ma­nente – et féconde – se trouve dans son Qua­tuor à cordes n° 8 « Omag­gio a Haydn » (écou­tez son Not­tur­no) qui vient d’être enre­gis­tré par le Qua­tuor Pso­phos, avec les Qua­tuors 7 « Varia­tions sérieuses » et 9 « Can­to di Spe­ran­za ». De la belle grande musique comme on l’aime, pro­fonde, ori­gi­nale et qui émeut, emprun­tant peu à l’École de Vienne et beau­coup aux XVIIIe et XIXe siècles.

1 CD KLARTHE


François de Larrard – Sens caché

On connaît bien notre cama­rade Fran­çois de Lar­rard (78), superbe pia­niste et jazz­man pro­fes­sion­nel. Sous le titre Sens caché, il vient d’enregistrer un nou­vel album de onze com­po­si­tions avec le bas­siste Michel Col­lon. Comme d’habitude, ce jazz de chambre se dis­tingue par une rigueur ‑abso­lue, un style tou­jours proche de la musique modale qui n’ignore pas cepen­dant les har­mo­nies du jazz clas­sique ni les ‑enchaî­ne­ments à la Bill Evans mais qui cherche à vous désar­çon­ner en mar­quant une rup­ture nette avec la tra­di­tion. On l’aura com­pris, c’est une musique exi­geante, ‑pro­fon­dé­ment ori­gi­nale et qui demande une écoute attentive.

1 CD http://francoisdelarrard.chez-alice-fr/


Astor Piazzolla – Concertos

On aura gar­dé pour la fin une pépite rare, un de ces disques qui vous trans­portent à la pre­mière audi­tion et dont vous ne pou­vez plus vous pas­ser : le meilleur d’Astor Piaz­zol­la, sous la forme des deux Concer­tos pour ban­do­néon, le second avec pia­no, des -Varia­tions sur Bue­nos Aires, et enfin une mélo­die sublime, Obli­vion, que l’on ne peut écou­ter les yeux secs, avec le ban­do­néo­niste William Saba­tier et l’Orchestre Dijon Bour­gogne diri­gé par Leo­nar­do Gar­cia Alarcón. Cette musique pro­pre­ment ‑envoû­tante, très tra­vaillée, et qui trans­cende les tan­gos et milon­gas habi­tuels de Piaz­zol­la, laisse une large place à l’ornementation impro­vi­sée, et néces­site un inter­prète d’exception : William Saba­tier, Fran­çais comme l’était Gar­del. Une musique à la fois tendre, vio­lente et opia­cée, une musique rêvée pour vous évader.

1 CD FUGA LIBERA

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