Polytechnicienne, architecte, chercheuse puis historienne de la ville

Dossier : HistoireMagazine N°771 Janvier 2022
Par Nathalie ROSEAU (87)

C’est par l’architecture et grâce aux cours reçus notam­ment à l’X et aux Ponts que Natha­lie Roseau (87) est venue à l’histoire, qu’elle défi­nit comme une science totale.

En France, les années du lycée ouvrent tôt aux huma­ni­tés. La déco­lo­ni­sa­tion m’avait par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sée avant que je ne retrouve, après la brève césure des classes pré­pa­ra­toires, les cours d’histoire : à l’X, celui de Marc Fer­ro sur la révo­lu­tion russe, puis aux Ponts, celui d’histoire de l’architecture et celui sui­vi au Centre Sèvres sur l’Islam et la moder­ni­té. La décou­verte de Ber­lin au prin­temps 1988, pen­dant mon ser­vice mili­taire, m’avait fas­ci­née et fut sans doute à l’origine, avec d’autres visites, de mon amour des villes. Lors de ces années d’apprentissage, la ques­tion qui me tarau­dait n’était pas celle des ensei­gne­ments que j’allais suivre, mais celle de la voie que j’allais emprun­ter pour m’accomplir pro­fes­sion­nel­le­ment. Plu­tôt matheuse, je sou­hai­tais œuvrer à un monde au croi­se­ment de l’art, de la science et de la socié­té. L’architecture consti­tua tôt une pers­pec­tive qui me parais­sait suf­fi­sam­ment ample pour y pro­je­ter mes préoccupations.

Du projeteur au chercheur… 

À 24 ans, tout en pour­sui­vant des études d’architecture qui allaient s’allonger du fait de l’activité pro­fes­sion­nelle qui s’engageait, je choi­sis de plon­ger dans le faire : la pla­ni­fi­ca­tion, le pro­jet, la construc­tion. Et dans le cœur du réac­teur : l’État, régio­nal et de mis­sion ; l’entreprise de réa­li­sa­tion. Sur des objets com­plexes : la ville et la métro­pole, l’aéroport et l’infrastructure. Dix années de pra­tique qui, à la faveur d’un chan­ge­ment de vie (deve­nir parent) et d’un temps de sus­pen­sion dans la vie active, me feraient m’interroger sur la ques­tion de l’utilité et du sens de ma tra­jec­toire pro­fes­sion­nelle. Là encore des oppor­tu­ni­tés heu­reuses m’ont per­mis de sau­ter le pas vers l’enseignement et la recherche. Rup­ture et pas­sage en même temps, c’est pour mieux embras­ser des ques­tions aux­quelles je m’étais heur­tée dans l’activité du pro­je­teur que j’ai vou­lu prendre le recul du cher­cheur : l’obsolescence struc­tu­relle d’artefacts pour­tant faits pour durer ; les échelles du chan­ge­ment glo­bal et la per­ti­nence de l’action ; les rap­ports d’attraction et de répul­sion entre la ville et la métro­pole, l’espace et la tech­nique. Au Latts, mon labo­ra­toire, mais aus­si dans l’environnement uni­ver­si­taire sti­mu­lant de Paris-Est, des écoles d’architecture, des réseaux inter­na­tio­naux d’historiens de la ville, des tech­niques, des mobi­li­tés, de la culture visuelle, je peux tra­vailler à ces ques­tions. L’histoire devient alors une pers­pec­tive pri­vi­lé­giée parce que, comme science du temps, elle per­met de com­prendre ce qui est adve­nu de notre pré­sent et, ce fai­sant, nous ren­seigne en ce qui concerne les empreintes du pas­sé sur notre contem­po­rain. Dans mon cas, ni la pra­tique seule ni la recherche seule ne m’aurait fait tou­cher com­plè­te­ment les sujets que je tra­vaille. C’est pour­quoi nous avons, comme cher­cheurs, notre iti­né­raire propre.

Le goût de l’enquête

À mes yeux, l’histoire n’est pas seule­ment de la connais­sance, cette soif d’érudition qui guide vers le savoir. C’est aus­si une école de la rigueur avec ce goût de l’enquête dont tout his­to­rien, appren­ti ou cher­cheur, se délecte : ouvrir des archives, éla­bo­rer des hypo­thèses, retra­cer des tra­jec­toires, tom­ber sur des his­toires, recou­per ou com­bler des manques… L’histoire est une dis­ci­pline à la fois lit­té­raire et scien­ti­fique : parce qu’elle est nar­ra­tion du réel et aspire à éta­blir la véri­té des faits. C’est une science totale, dont le sou­ci de pré­ci­sion s’articule avec la néces­si­té d’une vue d’ensemble. C’est elle qui m’a don­né le moyen de sai­sir mes objets de recherche – la grande ville, l’empreinte des tech­niques – en déve­lop­pant les formes de plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té qui me per­met­traient d’accéder à leur connais­sance en pen­sant leur futur. Je ne fais pas exclu­si­ve­ment de l’histoire. Mais l’histoire a for­gé mon regard. C’est comme archi­tecte et his­to­rienne – moine savant et acteur social – que je vois la ville contem­po­raine. L’histoire me per­met de l’ancrer dans la pro­fon­deur de ses strates, de ses mémoires, car avant tout, ain­si que le disait Gas­ton Bache­lard, la ville comme l’espace tient du temps condensé.

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