« Nous gérons les risques pour que la société puisse en prendre et avancer en confiance »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°770 Décembre 2021
Par Florence LUSTMAN (X80)

Dans cet entre­tien, Flo­rence Lust­man (80), pré­si­dente de la Fédé­ra­tion Fran­çaise de l’Assurance (FFA), revient pour nous sur son par­cours, son rôle à la tête de la FFA, les enjeux du sec­teur de l’assurance dans un contexte incer­tain et en per­pé­tuelle évolution.

Est-ce que votre parcours vous a prédestiné à évoluer dans le monde de l’assurance ?

Au lycée, j’étais bonne élève et j’avais des faci­li­tés pour les dis­ci­plines scien­ti­fiques. La classe pré­pa­ra­toire scien­ti­fique a donc été pour mon par­cours une évi­dence, d’autant plus que mon père était pro­fes­seur en classe pré­pa­ra­toire scientifique.

À l’issue de la classe pré­pa, j’avais réus­si le concours de l’École nor­male supé­rieure et de Poly­tech­nique. Ini­tia­le­ment, je sou­hai­tais vrai­ment ensei­gner, mais après un temps de réflexion, j’ai opté pour Poly­tech­nique et j’ai ain­si été une des 18 femmes sur les 300 élèves de la pro­mo 80. 

J’ai été très heu­reuse à l’École. Je n’ai jamais autant pra­ti­qué de sport que durant cette période. Et d’ailleurs, si vous me deman­dez ce que je retiens de mon pas­sage à l’École, je vous répon­drai sans aucune hési­ta­tion le sport ! J’ajoute que j’y étais avec celui qui allait deve­nir mon mari, ce qui évi­dem­ment était un autre fac­teur très positif !

À la suite de cette for­ma­tion d’ingénieur et afin de diver­si­fier ma palette de com­pé­tences par rap­port à des études jusque-là très scien­ti­fiques, j’ai choi­si le corps du contrôle des assu­rances et Sciences Po comme école d’application. C’est ain­si que j’ai décou­vert le monde de l’assurance. Mon pre­mier contact dans ce monde a été avec Domi­nique Séné­quier (72), pré­si­dente d’Ardian, qui a tou­jours été dis­po­nible pour moi et m’a don­né à plu­sieurs étapes de ma car­rière des conseils éclai­rés ; elle reste d’ailleurs encore aujourd’hui un vrai modèle pour moi. Je me suis d’ailleurs tou­jours féli­ci­tée de ce choix ini­tial d’aller vers l’assurance. Cet uni­vers est enthou­sias­mant tant d’un point de vue pro­fes­sion­nel que d’un point de vue humain !

Quels sont les enjeux et sujets qui vous mobilisent dans un contexte encore très marqué par la pandémie ?

Pen­dant les deux pre­mières années de mon man­dat à la tête de la Fédé­ra­tion Fran­çaise de l’Assurance, je me suis atta­chée à don­ner une plus grande visi­bi­li­té au sec­teur de l’assurance dans le monde économique.

Le pre­mier métier de l’assureur est de pro­té­ger. Au quo­ti­dien, les assu­reurs gèrent et indem­nisent plus de 36 000 sinistres chaque année et accom­pagnent les assu­rés dans les moments dif­fi­ciles. En effet, sur des sinistres impor­tants, notam­ment après une catas­trophe natu­relle, c’est le drame humain qui frappe bien plus que les dom­mages maté­riels. Notre métier est par défi­ni­tion por­teur de sens : nous gérons les risques pour que la socié­té puisse en prendre et avan­cer en confiance. 

L’assurance est éga­le­ment le pre­mier inves­tis­seur du pays : nous gérons en effet, pour le compte de nos assu­rés, plus de 2 600 mil­liards d’euros, dont 60% sont inves­tis dans l’économie pro­duc­tive, des nou­velles tech­no­lo­gies aux infra­struc­tures. Nous contri­buons ain­si au ver­dis­se­ment de l’économie avec une aug­men­ta­tion en 2020 de plus de 30 % d’investissements dans des sec­teurs dits « verts ».

Enfin, le sec­teur de l’assurance est un employeur d’une taille signi­fi­ca­tive avec près de 16 000 per­sonnes recru­tées chaque année en CDI (dont 25 % de bac+5). Nous fai­sons de l’alternance une prio­ri­té et réus­sis­sons à atti­rer les talents dans ce sec­teur très dyna­mique en matière de dia­logue social. Je suis très fière d’avoir signé à la fin de l’année 2020 un accord sur la mixi­té et l’égalité pro­fes­sion­nelle avec nos par­te­naires sociaux et très récem­ment un accord sur le télétravail.

“Si nous peinons à recruter des ingénieures compétentes sur ce sujet, il nous sera difficile de maintenir la parité et la mixité sur nos métiers et cela plus particulièrement au niveau des postes de direction et de management.”

Aujourd’hui, nous sommes mobi­li­sés autour de 4 grandes priorités :

  • La relance et la sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique : nous avons enga­gé 11 mil­liards d’euros dans un dis­po­si­tif dénom­mé Prêts Par­ti­ci­pa­tifs Relance. Nous avons éga­le­ment lan­cé le pro­gramme Relance Durable France doté de 2,5 mil­liards d’euros, dont 800 mil­lions sont flé­chés pour la san­té et très récem­ment un fonds d’Obligations Relance de 1,7 mil­liards d’euros. Dans ce cadre, il faut éga­le­ment citer l’assurance vie qui a une réelle uti­li­té citoyenne car elle pro­tège les Fran­çais sur le long terme tout en leur per­met­tant d’investir dans l’économie productive ;
  • La tran­si­tion éco­lo­gique : nous agis­sons sur le monde réel en assu­rant les catas­trophes natu­relles, de plus en plus fré­quentes et intenses depuis 30 ans. Nous sommes un acteur très impor­tant de la pré­ven­tion, levier indis­pen­sable pour sen­si­bi­li­ser les Fran­çais au chan­ge­ment cli­ma­tique. Par ailleurs, la FFA a récem­ment rejoint les Prin­cipes pour l’Investissement Res­pon­sable et la Net-Zero Asset Owner Alliance sous l’égide de l’ONU ;
  • Le défi démo­gra­phique : le vieillis­se­ment de nos conci­toyens est un sujet majeur, notam­ment en termes de dépen­dance. Dans ce cadre, nous sommes force de pro­po­si­tion avec les contrats dépen­dance que nous com­mer­cia­li­sons et qui couvrent 7,5 mil­lions de per­sonnes. Aujourd’hui, nous vou­lons aller encore plus loin et pro­po­sons d’inclure la garan­tie dépen­dance dans les contrats de com­plé­men­taire santé ;
  • La san­té : nous avons récem­ment publié un livre blanc qui pointe les 4 grands défis que doit rele­ver le sys­tème de san­té fran­çais : les inéga­li­tés dans l’accès au soin, la frag­men­ta­tion des par­cours de soin, la pré­ven­tion, le finan­ce­ment du sys­tème de san­té. En tant qu’acteur incon­tour­nable de ce sys­tème, nous avan­çons plu­sieurs pro­po­si­tions très concrètes pour aider à rele­ver ces défis au béné­fice d’un sys­tème créa­teur de valeur pour tous les Français.

Quel regard portez-vous sur la mixité et la diversité dans votre secteur d’activité ?

L’assurance est un sec­teur très fémi­ni­sé. Les femmes repré­sentent 60 % des 150 000 sala­riés du sec­teur et elles sont for­te­ment repré­sen­tées sur un cer­tain nombre de fonc­tions clés. Elles repré­sentent notam­ment la moi­tié des actuaires, les 23 des sala­riés du mar­ke­ting, 70 % des fonc­tions com­mer­ciales, et ¾ des col­la­bo­ra­teurs en charge de la ges­tion des contrats et des pres­ta­tions. Au glo­bal, elles sont 50 % des cadres et 13 des cadres de direction.

C’est une bonne per­for­mance en com­pa­rai­son à d’autres sec­teurs. Il ne faut néan­moins pas bais­ser la garde et nous avons encore du che­min à par­cou­rir pour les fonc­tions de cadre diri­geant. À titre per­son­nel, je m’engage sur des dis­po­si­tifs de men­to­ring et je sou­tiens l’action du Women’s Forum. Nous avons besoin de modèles fémi­nins pour don­ner envie à nos col­la­bo­ra­trices de bri­guer ces postes de direction.

En revanche, j’ai une inquié­tude : la désaf­fec­tion des jeunes femmes pour les sciences et les études d‘ingénieur.

C’est un enjeu énorme pour tous les sec­teurs éco­no­miques y com­pris l’assurance, où l’intelligence arti­fi­cielle, l’actuariat et la data occupent une place tou­jours plus impor­tante. Si nous pei­nons à recru­ter des ingé­nieures com­pé­tentes sur ce sujet, il nous sera dif­fi­cile de main­te­nir la pari­té et la mixi­té sur nos métiers et cela plus par­ti­cu­liè­re­ment au niveau des postes de direc­tion et de mana­ge­ment. À la ren­trée 2019, il y avait à peine plus d’un quart de jeunes filles dans les écoles d’ingénieurs, alors qu’elles repré­sen­taient 50 % des élèves dans les filières scien­ti­fiques lorsqu’elles étaient au lycée. Un risque avec le nou­veau bac est que les filles ne fassent plus le choix des options scien­ti­fiques. Notre mobi­li­sa­tion est d’autant plus impor­tante. Je suis convain­cue que l’éducation dès le plus jeune âge et la pré­sence de modèles femmes dans les sciences est essen­tielle. C’est ce que j’ai tou­jours por­té et c’est d’ailleurs peut-être grâce à cela que ma fille Mor­gane a choi­si elle aus­si cette voie… 27 ans après moi…une vraie fierté !

Comment définiriez-vous votre management ? Pensez-vous qu’on puisse parler d’un leadership ou d’un management au féminin ?

Il fau­drait inter­ro­ger mes équipes ! Tou­te­fois, je dirais que j’ai un mana­ge­ment à plu­sieurs facettes. Tout d’abord, je suis une experte du sec­teur de l’assurance et je le reven­dique. C’est très impor­tant d’avoir une bonne connais­sance du métier et du sec­teur dans lequel on évolue. 

De nature, je suis une bat­tante, une meneuse et une per­son­na­li­té forte et éner­gique qui trouve une moti­va­tion face à l’adversité et aux obs­tacles. Au cours de ma car­rière, j’ai très sou­vent exer­cé des postes consi­dé­rés comme dif­fi­ciles. J’ai ain­si diri­gé pen­dant 5 ans le plan Alz­hei­mer pour le Pré­sident de la Répu­blique. J’ai été peu sou­te­nue ini­tia­le­ment dans ce choix, voire décou­ra­gée. Et avec le recul, je peux dire aujourd’hui que c’est la plus belle expé­rience de ma vie professionnelle !

Pour rele­ver ces chal­lenges, j’ai tou­jours été entou­rée d’une équipe solide. J’ai un mode de gou­ver­nance et de mana­ge­ment très col­lé­gial. Je suis atta­chée à la qua­li­té de vie au tra­vail, au bien-être de mes col­la­bo­ra­teurs. Je m’intéresse aux per­sonnes qui m’entourent et c’est, d’ailleurs, pour cela que l’assurance me pas­sionne, car son rôle est notam­ment de pro­té­ger les personnes.

Je ne pense pas qu’il existe un mana­ge­ment fémi­nin ou mas­cu­lin. Je suis en revanche convain­cue que tout le monde, quel que soit son genre, peut faire preuve d’empathie et de bienveillance ! 

Poster un commentaire