Jean-Pierre Henry (64)

Jean-Pierre Henry (64), infatigable webmestre de La Jaune et la Rouge

Dossier : ExpressionsMagazine N°769 Novembre 2021
Par Hubert JACQUET (64)

Décé­dé le 20 août 2021, Jean-Pierre Hen­ry (64) a fait une brillante car­rière dans l’industrie, en par­ti­cu­lier chez PSA. Et il a pas­sé huit années de sa retraite comme res­pon­sable du site web de notre revue, site qu’il a trans­for­mé en profondeur.

En 2009, le site web de La Jaune et la Rouge était encore embryon­naire, avec un gra­phisme simple et des fonc­tion­na­li­tés réduites. L’exploitation et les dévelop­pements tech­niques étaient sous-trai­tés et la ges­tion des conte­nus était assu­rée par une col­la­bo­ra­trice de l’AX qui par­ta­geait son temps avec d’autres acti­vi­tés, de sorte que la mise en ligne d’un numé­ro n’était pas tou­jours réa­li­sée au moment où celui-ci arri­vait dans les boîtes à lettres. Aus­si, lorsque cette per­sonne déci­da de quit­ter l’AX, la délé­ga­tion géné­rale retint-elle la pro­po­si­tion de la rédac­tion, qui était de recru­ter un cama­rade jeune retrai­té capable de don­ner un nou­vel élan au site web de la revue, d’en réa­li­ser les déve­lop­pe­ments et d’en gérer l’exploitation et les conte­nus. C’est ain­si que Jean-Pierre fut nom­mé web­mestre et prit ses fonc­tions début 2010, fonc­tions qu’il occu­pa jusqu’en octobre 2018. Huit années pen­dant les­quelles il allait radi­ca­le­ment moder­ni­ser et enri­chir le site web de
La Jaune et la Rouge. Pour­tant son cur­ri­cu­lum vitæ ne sem­blait pas le pré­dis­po­ser à assu­mer aus­si brillam­ment son nou­veau rôle. 

Le goût du sport et de la compétition

Jean-Pierre voit le jour à Mont­lu­çon le 25 jan­vier 1944. Son père Pierre Hen­ry, doc­teur en phy­sique, ingé­nieur, tra­vaillait pour la Com­pa­gnie des forges de Châ­tillon-Com­men­try. Sa mère, Mar­celle née Dan­guin, lui a trans­mis sa pas­sion pour la musique clas­sique et les opé­ras. En 1951, il arrive à Paris. Après des études secon­daires au lycée Car­not, il fait ses classes pré­pa­ra­toires à Louis-le-Grand et entre à l’X en 1964. Pas­sion­né de sport, en par­ti­cu­lier de 800 mètres, il par­ti­cipe à diverses com­pé­ti­tions mili­taires et gagne deux fois de suite le cross Figa­ro-Grandes Écoles.

Après l’X, il suit les cours de l’École natio­nale supé­rieure du pétrole et des moteurs à Rueil-Mal­mai­son et intègre Peu­geot (PSA), au centre d’études de La Garenne-Colombes. Il se spé­cia­lise dans la syn­thèse des nou­veaux modèles (liai­son châs­sis-moteurs-boîtes…). Son goût pour la com­pé­ti­tion trouve à nou­veau l’occasion de s’exprimer dans la pro­duc­tion de la pré­sé­rie des 205 T16, per­met­tant l’homologation de la voi­ture en cham­pion­nat du monde des ral­lyes, avec le suc­cès que l’on sait, qui marque sans doute un point d’orgue de sa car­rière chez PSA. Il intègre ensuite la SATI (socié­té d’application des tech­niques indus­trielles) où il conti­nue­ra, dans ce bureau d’études spé­cia­li­sé en cal­cul, ses tra­vaux d’études et d’assistance tech­nique pour l’industrie.

De l’industrie aux réseaux sociaux

Lorsqu’il se retrouve à la retraite, il se pas­sionne pour la révo­lu­tion numé­rique. Un article publié par Her­vé Kabla dans La Jaune et la Rouge (« Se ser­vir du blog en temps de crise » – JR n° 638) retient son atten­tion et l’amène à s’inscrire à une confé­rence don­née par l’auteur. Jean-Pierre en tire la conclu­sion que les réseaux sociaux sont une oppor­tu­ni­té pour renou­ve­ler et ren­for­cer l’animation de la com­mu­nau­té poly­technicienne. Il en dis­cute avec Her­vé Kabla qui le convainc que le préa­lable est la réno­va­tion des sites de l’AX et de La Jaune et la Rouge : aus­si, lorsque notre revue fait savoir qu’elle recrute un nou­veau web­mestre, sai­sit-il l’occasion.

Tra­vailleur achar­né, il mène alors de front deux tâches. D’une part, la ges­tion au quo­ti­dien de l’ancien site web de la revue, qui est lourde car le trans­fert des articles de la revue papier sur le site requiert de nom­breuses et déli­cates mani­pu­la­tions. D’autre part, la concep­tion, le déve­lop­pe­ment et le lan­ce­ment d’un nou­veau site. Alors qu’il est néo­phyte, il s’applique à faire les meilleurs choix pour le futur. Il ana­lyse des sites des prin­ci­pales revues d’alumni fran­çaises et étran­gères, pour éta­blir un cahier des charges ambi­tieux et com­plet. Il passe en revue les logi­ciels de ges­tion de conte­nu du mar­ché pour rete­nir le sys­tème Dru­pal qui était alors l’outil de tous les grands sites de presse – sachant qu’au début des années 2010 Word­Press, outil sur lequel est basé le site actuel, était can­ton­né à la ges­tion des blogs. Et il s’appuie sur Blo­gAn­gels – socié­té fon­dée par Her­vé Kabla – pour conce­voir la maquette de pré­sen­ta­tion des pages. Cahier des charges et pro­jets de maquette sont pré­sen­tés au comi­té édi­to­rial pour mise au point et vali­da­tion. Puis Jean-Pierre réa­lise lui-même le gros des déve­lop­pe­ments, ne recou­rant aux conseils de spé­cia­listes et à la sous-trai­tance que de façon mar­gi­nale. Le nou­veau site est mis en place début 2011.

De nouveaux challenges

Ce lan­ce­ment n’est qu’une pre­mière étape. Jean-Pierre veut que ce site attire de nom­breux visi­teurs et soit vivant. Il étu­die soi­gneu­se­ment la façon dont Google réfé­rence les articles pour amé­lio­rer la visi­bi­li­té des pages de La Jaune et la Rouge et uti­lise des outils d’analyse du tra­fic pour suivre l’attractivité du site. Les résul­tats ne se font pas attendre : la fré­quen­ta­tion qui était de quelques mil­liers de visites par mois aug­mente rapi­de­ment et atteint en 2012 plus de 40 000 visites par mois, dont une majo­ri­té de non‑X. Mais ce spor­tif dans l’âme ne se contente pas de ces pre­miers lau­riers. Il lui faut conti­nuer d’améliorer le site. Sans en par­ler à qui­conque, il se fixe un autre chal­lenge : créer une base d’archives per­met­tant de retrou­ver et consul­ter tous les numé­ros et tous les articles de la revue depuis le pre­mier numé­ro datant du 1er jan­vier 1948. Un tra­vail tita­nesque qu’il entre­prend seul et qu’il dévoile un beau jour au comi­té édi­to­rial. Il s’occupe aus­si de rendre la revue visible sur les réseaux sociaux et d’enrichir fonc­tion­nel­le­ment le site, qui était alors infi­ni­ment plus convi­vial et moderne que le très vieillis­sant site de l’AX, qu’il fal­lait abso­lu­ment réno­ver. L’AX ouvrit ce chan­tier en 2016 et pro­fi­ta de cette occa­sion pour deman­der à La Jaune et la Rouge de revoir le gra­phisme de son site pour le mettre en cohé­rence avec celui de l’AX, en met­tant en œuvre le logi­ciel Word­Press qui était deve­nu le stan­dard du mar­ché. Aus­si, Jean-Pierre esti­ma-t-il que le moment était venu pour lui de pas­ser le relai, ce qu’il fit en octobre 2018.

Un pionnier du télétravail

Jean-Pierre ne venait dans les bureaux de la rue Des­cartes qu’une à deux fois par semaine, pour des réunions ou des ren­dez-vous, mais on avait chaque fois plai­sir à le voir et à par­ta­ger avec lui. Il savait écou­ter et accep­tait le doute. Ceux qui tra­vaillaient régu­liè­re­ment avec lui gardent un sou­ve­nir ému de ces années. Her­vé Kabla qui était son spar­ring part­ner devint son ami. Même si Jean-Pierre était peu disert sur lui-même, sûre­ment timide, il avait une éton­nante capa­ci­té à ani­mer une réunion ou un repas par son humour à froid qui en fai­sait un per­son­nage haut en couleur.

Bien avant la crise de la Covid-19, il avait décou­vert les ver­tus du télé­tra­vail : on ne savait jamais s’il était à Meu­don, Grand­ville, dans la Creuse ou en Corse. En effet, paral­lè­le­ment à ses acti­vi­tés pour l’AX, il s’était inves­ti pour les VMF ( Vieilles mai­sons fran­çaises), une autre de ses pas­sions, et avait res­tau­ré dans la Creuse un châ­teau médié­val, ses dépen­dances, et créé un parc autour où s’entremêlent roses, cucur­bi­ta­cées et col­lec­tion de coni­fères… Infa­ti­gable, il aimait éga­le­ment la voile, notam­ment autour des îles Anglo-Nor­mandes où il aimait pra­ti­quer le « rase-cailloux » en jouant (tou­jours avec le cal­cul scien­ti­fique) de la hau­teur d’eau des marées et de la force des cou­rants… lais­sant quelques sueurs froides à ses équipiers.

Aujourd’hui, il laisse dans la peine son épouse Éve­lyne, avec qui il s’est marié en juillet 1966, ses quatre enfants, toute sa famille et ses nom­breux amis.


Jean-Pierre Henry, ou comment le passionné surpasse l’homo œconomicus

« Quand je suis arri­vé comme pré­sident du comi­té édi­to­rial de La Jaune et la Rouge, j’ai décou­vert un cama­rade qui s’affairait à déve­lop­per un site web pour la revue, ce qui était d’ailleurs une des prio­ri­tés qui m’avait été don­née par le conseil d’administration de l’AX lors de ma nomi­na­tion. Les revues d’anciens élèves se posaient la ques­tion de leur pré­sence sur le web, les abon­ne­ments à l’édition papier dimi­nuant de façon qua­si ‑irré­sis­tible et nombre de jeunes ne com­pre­nant pas pour­quoi on leur pro­po­sait une revue sur papier : ils chan­geaient sou­vent d’adresse dans leurs débuts de car­rière, et c’était mau­vais pour la planète.

Jean-Pierre Hen­ry s’affairait donc à rele­ver ce défi. J’ai bien sûr pris le par­ti de le sou­te­nir et de l’aider à trou­ver les moyens de mener à bien le tra­vail tout à fait éton­nant qu’il fai­sait comme un vrai pas­sion­né. Il avait opté pour Dru­pal plu­tôt que Word­Press, qui lui sem­blait trop limi­té pour La Jaune et la Rouge.
Il fai­sait même plus : il appor­tait des modi­fi­ca­tions au sys­tème Dru­pal pour amé­lio­rer ses fonc­tion­na­li­tés, ce qui ne faci­li­tait pas tou­jours ses rela­tions avec les spé­cia­listes de la main­te­nance de ce logi­ciel, qui se sen­taient un peu dépassés.

Si nous pou­vons être fiers du site de La Jaune et la Rouge aujourd’hui, il y a beau­coup contri­bué. Dans ce tra­vail de pas­sion­né, il ne comp­tait pas ses heures et je me rap­pelle qu’un jour le délé­gué géné­ral de l’AX de l’époque m’a dit qu’il fau­drait peut-être lui deman­der de moins tra­vailler. À quoi j’ai répon­du que, s’il était un sala­rié nor­mal, on pour­rait lui deman­der d’en faire moins.
Mais il n’est pas pos­sible de deman­der à un pas­sion­né de tra­vailler moins de douze heures par jour si c’est ce qui lui plaît. L’économie nous a habi­tués à pen­ser que ce qui motive les agents éco­no­miques est le cal­cul de leurs inté­rêts éco­no­miques, mais le cas de Jean-Pierre Hen­ry illustre que ceux qui sont tirés par leur pas­sion peuvent faire bien plus, et que nul ne peut les en empêcher. »

Michel Ber­ry (63)


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