Emmanuel Mounier

Emmanuel Mounier (94) : Epsiloon, ou donner l’envie de découvrir

Dossier : ExpressionsMagazine N°767 Septembre 2021
Par Robert RANQUET (72)

Nos lec­teurs auront sans doute sui­vi les récents ava­tars de la revue Science et Vie, et le lan­ce­ment d’Epsi­loon. Emma­nuel Mou­nier (94), pro­prié­taire de ce nou­veau média, nous en dit plus.

Emmanuel Mounier, comment en es-tu venu à lancer Epsiloon [Ndlr : prononcer epsilon] ?

Retour aux sources : si j’ai fait l’X, c’est parce que, à l’âge de 10 ans, j’ai décou­vert à la biblio­thèque du col­lège une revue qui m’a fas­ci­né : c’était Science et Vie. Sans doute un peu trop poin­tu pour un gar­çon de 10 ans ! Et je suis deve­nu un lec­teur assi­du de maga­zines scien­ti­fiques. Vers 17 ans, je suis pas­sé à Pour la Science. J’étais séduit par ce mélange de décou­verte scien­ti­fique du monde, avec aus­si un peu de sen­sa­tion­nel. Plus tard, j’ai hési­té à pré­pa­rer l’X ou HEC, mais j’avais ce vrai goût pour la « tech » et l’innovation : c’est vrai­ment le fil conduc­teur de mon his­toire per­son­nelle. Et cela m’a ame­né à exer­cer aujourd’hui ce métier où on conçoit des pro­duits qui vont don­ner le goût et le plai­sir d’apprendre.

Et Epsiloon, dans ce parcours ?

Science et Vie a été long­temps la pro­prié­té d’un groupe ita­lien, qui a un jour déci­dé de vendre sa filiale fran­çaise. J’ai déjà fait – sans suc­cès – des offres d’achat à ce moment-là, et je les ai renou­ve­lées auprès de l’acquéreur qui a été rete­nu, le groupe Reworld Media, sans plus de suc­cès. Et puis les choses ont bou­gé : les deux rédac­teurs en chef ont démis­sion­né, ain­si que de nom­breux membres de la rédac­tion. Ils savaient ras­sem­bler des jour­na­listes avec un vrai talent, et donc je leur ai pro­po­sé de nous lan­cer ensemble dans l’aventure d’Epsi­loon. Fort de mon expé­rience anté­rieure en entre­prise, j’avais fait une étude de mar­ché : il était domi­né par deux titres : Science et Vie à 140 000 abon­nés et Science et Ave­nir à 160 000. Il y avait donc place pour un troi­sième ! Et nous nous sommes lancés.

Epsiloon n° 1

Lancer un nouveau média écrit en ce moment, n’est-ce pas un défi périlleux ?

La presse écrite souffre. Mais ce sont sur­tout les quo­ti­diens géné­ra­listes, comme les grands titres natio­naux ou régio­naux, qui souffrent : leur tirage a été réduit au quart de ce qu’il était en sept ou huit ans. Les titres des heb­dos d’information (Le Point, Chal­lenges, …) souffrent aus­si, parce que ce qu’ils pro­posent au lec­teur qui surfe sur les titres d’actualité est dis­po­nible gra­tui­te­ment sur inter­net. La situa­tion est dif­fé­rente pour les titres de réfé­rence, comme Science et Vie ou Science et Ave­nir, jus­te­ment parce que le lec­teur des infor­ma­tions sur inter­net a besoin de se tour­ner vers des sources de réfé­rence pour vali­der ce qu’il lit rapi­de­ment en ligne. Donc, pour gagner ce défi, il faut d’abord mon­trer qu’on est bien un média de référence.

Il faut ensuite trou­ver un ton. Un maga­zine d’actualité scien­ti­fique doit mon­trer en quoi la science apporte un éclai­rage sur l’actualité du monde. Et puis, don­ner la part belle à la science, mon­trer en quoi la science est belle et apporte quelque chose à notre société.

Avec ses liens vers des cen­taines de cher­cheurs et le talent de ses jour­na­listes, Epsi­loon veut mettre la science en scène, remettre de la beau­té dans la science. 

Comment se passe le lancement ?

Nous tirons pour le moment à 150 000 exem­plaires. Notre pre­mière cam­pagne de pré­abon­ne­ment au mois de mai der­nier nous a rap­por­té 24 000 abon­nés pour un an. Nous en sommes à plus de 30 000 aujourd’hui. Nous comp­tons vendre en kiosque 40 à 50 000 exem­plaires, et tout cela devrait encore accé­lé­rer avec l’été.

Epsiloon 2

Epsiloon n’est qu’un de tes titres. Parle-nous de ton groupe de presse.

Unique Heri­tage Media, que j’ai fon­dé en 2014, est un groupe édi­teur de presse, avec une bonne qua­ran­taine de maga­zines. Deux piliers impor­tants : Fleu­rus Presse, qui pro­pose des maga­zines à par­tir de l’âge de 3 ans, y com­pris Tout Com­prendre Junior, qui est déjà un maga­zine pour faire décou­vrir la science aux enfants. Et Dis­ney Maga­zines, que j’ai repris de Lagar­dère lorsqu’ils ont dés­in­ves­ti leur acti­vi­té presse, avec des titres illustres comme Pic­sou Maga­zine ou Le Jour­nal de Mickey, qui étaient depuis 1934 publiés en France par Hachette. 

Au total, nous avons plus de 550 000 abon­nés et ven­dons 12 mil­lions d’exemplaires par an, avec 400 publi­ca­tions dans l’année. Le groupe compte 120 sala­riés, dont les deux tiers sont des créa­tifs : rédac­teurs en chef, jour­na­listes, gra­phistes… Pour un chiffre d’affaires de 65 mil­lions d’euros, c’est un ratio très per­for­mant. Une ori­gi­na­li­té : nous avons notre propre stu­dio de des­si­na­teurs, ce qui nous per­met de conce­voir et réa­li­ser en interne les livres que nous publions.

Quel a été ton parcours ?

Ça vient de loin ! Ma grand-mère tenait une librai­rie. Ma mère était biblio­thé­caire dans un col­lège (c’est là que je suis tom­bé sur Science et Vie !). Donc voi­là pour le goût des livres. Après l’X, j’ai pas­sé quelques années dans un groupe indus­triel inter­na­tio­nal, avec un métier qui me fai­sait pas­ser beau­coup de temps dans les avions.

“Je veux communiquer mon enthousiasme pour la science.”

À un moment de ma vie fami­liale, j’ai res­sen­ti le besoin de trou­ver une acti­vi­té plus stable. J’avais pas­sé vingt ans de ma vie pro­fes­sion­nelle à aider les entre­prises à déve­lop­per leur stra­té­gie, et j’ai pen­sé qu’il était temps pour moi de créer ma propre entre­prise. L’opportunité s’est pré­sen­tée avec la ren­contre de l’équipe qui avait créé Quelle His­toire. J’avais les com­pé­tences pour les aider à gérer et déve­lop­per leur entre­prise. De même, c’est par oppor­tu­ni­té que j’ai repris ensuite Fleu­rus Presse. Il fal­lait appor­ter aux créa­tifs un peu de rigueur dans la ges­tion, tra­vailler les mar­chés, le posi­tion­ne­ment, les prix… je savais faire tout cela. Au fond, l’envie de don­ner la curio­si­té intel­lec­tuelle a été tou­jours pré­sente… et le hasard a bien fait les choses !

Est-ce un « vrai métier » d’ingénieur ?

On me le demande sou­vent ! En fait, il s’agit bien de conce­voir des pro­duits pour des mar­chés, avec d’ailleurs une com­po­sante « tech­no » de plus en plus pré­sente. Par exemple, nous déve­lop­pons actuel­le­ment des applis qui per­mettent de fla­sher sur un code qui charge immé­dia­te­ment un fil audio qui raconte une his­toire, et per­met de pro­lon­ger l’expérience qu’on peut avoir sur l’écrit. Je pense aus­si à l’application Pili Pop, qui offre une méthode d’apprentissage des langues pour les 5 à 10 ans sur mobile et tablette : en s’amusant, l’enfant peut acqué­rir un lan­gage d’environ 2 000 mots d’anglais !

Nous déve­lop­pons aus­si avec la région Île-de-France des appli­ca­tions comme le jeu vidéo Paris Region Aven­tures : ce sont en tout 30 aven­tures, qui per­mettent d’explorer la région, son patri­moine cultu­rel et ses lieux tou­ris­tiques, tout en s’amusant à accom­plir des « mis­sions », en fait des jeux de piste. C’est tou­jours la notion de décou­verte qui est première.

Fina­le­ment, on peut trou­ver qu’on fait des choses un peu ingrates en début de car­rière, mais ces choses vous pré­parent magni­fi­que­ment pour trou­ver votre che­min vers l’épanouissement per­son­nel quand l’opportunité se présente ! 

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