Le moteur éléctrique ENGINeUS de Safran. Les applications envisagées pour l’hybridation électrique dans la prochaine génération sont des apports ponctuels de puissance en assistance ou complément du turbomoteur.

Le futur de la propulsion d’hélicoptère

Dossier : HélicoptèresMagazine N°767 Septembre 2021
Par Philippe LAGARDE

Le mode de pro­pul­sion des héli­co­ptères est bien sûr un des lieux prin­ci­paux d’innovation pour déve­lop­per l’hélicoptère du futur. Où en est-on ?

Le déve­lop­pe­ment des tur­bo­mo­teurs jusqu’alors obte­nu par des amé­lio­ra­tions incré­men­tales doit, pour la pro­chaine géné­ra­tion, venir de tech­no­lo­gies en rup­ture. C’est un chan­ge­ment com­plet de para­digme et de nom­breux défis sont à rele­ver, toutes les phases de vie du tur­bo­mo­teur sont concer­nées, depuis sa concep­tion, sa fabri­ca­tion, jus­qu’à sa main­te­nance. De nou­veaux moyens de confor­mi­té à la régle­men­ta­tion res­tent à imaginer.


REPÈRES

La recherche et déve­lop­pe­ment au sein de Safran vise à garan­tir, dans la durée, l’excellence tech­nique et la dif­fé­ren­cia­tion tech­no­lo­gique de l’entreprise pour répondre aux défis de l’avenir. Elle est à la fois décen­tra­li­sée au sein des socié­tés du groupe et com­plé­tée, pour les acti­vi­tés trans­verses et amont, par un pôle cen­tral de recherche et d’innovation. Les dépenses R & D repré­sentent 8 % du CA soit 1,7 mil­liard d’euros en 2020 et mobi­lisent 16 % des effec­tifs du groupe, dont envi­ron un mil­lier d’ingénieurs chez Safran Heli­cop­ter Engines. Safran se place depuis plus de huit ans dans le trio de tête des entre­prises fran­çaises ayant publié le plus de demandes de bre­vet, avec plus de 1 000 pour l’année 2020. C’est tou­jours à Bordes que sont conçus les moteurs et qu’ils y sont en grande par­tie fabri­qués. De même se per­pé­tue la tra­di­tion de bap­ti­ser les moteurs avec des noms d’inspiration pyrénéenne. 


Grâce à la digitalisation, il sera possible de proposer une maintenance personnalisée et réduire le temps d’immobilisation de l’hélicoptère.
Grâce à la digi­ta­li­sa­tion, il sera pos­sible de pro­po­ser une main­te­nance per­son­na­li­sée et réduire le temps d’immobilisation de l’hélicoptère.

Les spécificités du turbomoteur

L’hélicoptère couvre un large spectre de mis­sions néces­si­tant une grande plage de puis­sance. Le tur­bo­mo­teur est dimen­sion­né par la puis­sance néces­saire au décol­lage, entraî­nant des com­pro­mis sur le ren­de­ment pour les puis­sances inter­mé­diaires. Ce ren­de­ment, expri­mé par la consom­ma­tion spé­ci­fique, varie de façon décrois­sante de la puis­sance. La den­si­té de puis­sance est un autre para­mètre fon­da­men­tal sur les appa­reils à décol­lage vertical.

La recherche de com­pa­ci­té des tur­bo­mo­teurs, pour des puis­sances rela­ti­ve­ment faibles entre 400 et 2 000 kW, pré­sente des dif­fi­cul­tés de fabri­ca­bi­li­té de par la taille réduite des com­po­sants, péna­li­sant aus­si le ren­de­ment glo­bal et la tenue ther­mo­mé­ca­nique. Le sys­tème car­bu­rant et son cal­cu­la­teur numé­rique jouent un rôle essen­tiel par l’adaptation de la puis­sance aux besoins du rotor. Il contri­bue à la sécu­ri­té et à la manœu­vra­bi­li­té de l’hélicoptère en garan­tis­sant sa portance.

Les turbomoteurs du futur

La sécu­ri­té est la prio­ri­té abso­lue ; l’amélioration conti­nue de la fia­bi­li­té des tur­bo­mo­teurs per­met d’afficher des taux meilleurs qu’une panne par 100 000 heures de vol. Mais la quête de tou­jours plus de sécu­ri­té se pour­suit, avec les objec­tifs fixés par les orga­nismes de sécu­ri­té aérienne dont l’idée est de réduire le taux d’accident de 80 %. Même si l’hélicoptère réa­lise beau­coup de mis­sions d’utilité publique, le bruit est un fac­teur de nui­sance. Le tur­bo­mo­teur est une des sources d’émissions acous­tiques qui peut deve­nir pré­pon­dé­rante com­pa­ra­ti­ve­ment au bruit rotor. Le coût d’utilisation du moteur est aus­si un fac­teur clé de suc­cès, il repré­sente plus de la moi­tié du coût d’utilisation pour un héli­co­ptère léger.

L’attente des clients est une main­te­nance indi­vi­dua­li­sée et une dis­po­ni­bi­li­té accrue. Aujourd’hui la tran­si­tion éco­lo­gique est aus­si une prio­ri­té. Si aucune légis­la­tion n’existe à ce jour, l’Organisation de l’aviation civile inter­na­tio­nale pour­rait impo­ser des exi­gences pour les futures concep­tions. Les émis­sions de CO2, direc­te­ment liées à la consom­ma­tion, sont pro­por­tion­nel­le­ment faibles par rap­port aux autres appli­ca­tions aéro­nau­tiques. L’usage en zone urbaine requiert éga­le­ment de réduire les autres pol­luants, comme l’oxyde d’azote ou les par­ti­cules fines.

Injecteur de carburant du moteur Arrano réalisé en fabrication additive (procédé de fusion laser). La fabrication additive permet de mutualiser des fonctions entrainant des formes complexes non réalisables par des procédés conventionnels.
Injec­teur de car­bu­rant du moteur Arra­no réa­li­sé en fabri­ca­tion addi­tive (pro­cé­dé de fusion laser). La fabri­ca­tion addi­tive per­met de mutua­li­ser
des fonc­tions entraî­nant des formes com­plexes non réa­li­sables par des pro­cé­dés conventionnels.

Les réponses technologiques

Les réponses tech­no­lo­giques s’articulent autour de quatre grands axes : des tur­bo­mo­teurs tou­jours plus effi­caces et com­pacts ; l’usage de car­bu­rants durables à la place du kéro­sène ; l’hybridation élec­trique en assis­tance ou com­plé­ment de la tur­bine ; le trai­te­ment des don­nées de vol.

Le turbomoteur à haute efficacité

En 50 ans, la den­si­té de puis­sance a été aug­men­tée de 160 % et le ren­de­ment de 45 %. Ces gains sont liés aux évo­lu­tions des taux de com­pres­sion et à une meilleure tenue en tem­pé­ra­ture des pales de tur­bine. Les objec­tifs de la pro­chaine géné­ra­tion sont de gagner 20 % sup­plé­men­taires sur le ren­de­ment et donc autant sur les émis­sions de CO2, ain­si que 10 % sur la den­si­té de puis­sance. L’amélioration des com­pres­seurs passe par la contrainte sur le rap­port de pres­sion qui ne peut pas dépas­ser cer­taines valeurs, afin de limi­ter la taille des com­pres­seurs. Le ren­de­ment des tur­bines est direc­te­ment lié à leur fabri­ca­bi­li­té. Pour dépas­ser ces limites, les géo­mé­tries 3D en modé­li­sa­tion, concep­tion et fabri­ca­tion doivent être par­fai­te­ment maî­tri­sées. Des nou­veaux maté­riaux mono­cris­tal­lins per­mettent de repous­ser tou­jours plus loin les limites de température.

Les tra­vaux sur les émis­sions conduisent aus­si à tra­vailler sur des com­bus­tions à cir­cuit d’injection éta­gé ou à richesse contrô­lée, per­met­tant de limi­ter les mon­tées en tem­pé­ra­ture – sources d’oxyde d’azote. Pour l’acoustique, les tra­vaux portent sur la réduc­tion des bruits des deux sources, la com­bus­tion et la com­pres­sion de l’air. La modé­li­sa­tion des phé­no­mènes et leur prise en compte dans la concep­tion des com­po­sants sont un élé­ment clé pour inté­grer des dis­po­si­tifs d’atténuation. La fabri­ca­tion addi­tive per­met de mutua­li­ser des fonc­tions entraî­nant des formes com­plexes non réa­li­sables par des pro­cé­dés conventionnels.

Par exemple, la pul­vé­ri­sa­tion des injec­teurs de car­bu­rant est amé­lio­rée en les entou­rant d’un flux d’air dont la dyna­mique est opti­mi­sée par des éjec­teurs que seule la fabri­ca­tion addi­tive rend pos­sible. Des gains en masse sont aus­si envi­sa­geables. Les prin­ci­paux défis à rele­ver sont la répé­ti­ti­vi­té du pro­cé­dé, la constance des pro­prié­tés des maté­riaux et la démons­tra­tion garan­tis­sant une non-régres­sion de la sécu­ri­té dans le temps.

Les carburants alternatifs durables

Les bio­car­bu­rants sont aujourd’hui auto­ri­sés jusqu’à un mélange à 50 % avec le kéro­sène, l’extension à un usage à 100 % est à l’étude. Ces car­bu­rants issus de la bio­masse, dont les filières res­tent à déve­lop­per, ont des pro­prié­tés phy­si­co­chi­miques proches du kéro­sène mais pas com­plè­te­ment iden­tiques. Ils sont plus pauvres en aro­ma­tique et en soufre, deux com­po­sés assu­rant le pou­voir lubri­fiant, et donc peuvent poten­tiel­le­ment entraî­ner une usure pré­ma­tu­rée des pièces ou amoin­drir la tenue méca­nique des élas­to­mères des joints. Cer­tains car­bu­rants alter­na­tifs sont issus de matières pre­mières hydro­philes qui peuvent cap­ter l’humidité ambiante et engen­drer des pro­blèmes de fonc­tion­ne­ment. Pour des aspects logis­tiques, les nou­velles chambres de com­bus­tion devront aus­si auto­ri­ser le fonc­tion­ne­ment du tur­bo­mo­teur indif­fé­rem­ment de la nature du car­bu­rant, qu’il soit d’origine fos­sile, bio­masse ou de synthèse.

“La sécurité est la priorité absolue.

L’hybridation électrique propulsive

La faible den­si­té en puis­sance et éner­gie des bat­te­ries ne per­met pas à des sys­tèmes tout élec­trique de riva­li­ser avec une tur­bine, même en tenant compte des pro­jec­tions à long terme de per­for­mance des bat­te­ries. C’est pour­quoi les appli­ca­tions envi­sa­gées pour l’hybridation élec­trique dans la pro­chaine géné­ra­tion de tur­bines sont des apports ponc­tuels de puis­sance en assis­tance ou en com­plé­ment du turbomoteur. 

Les gains atten­dus sont de deux ordres : une baisse de la consom­ma­tion car­bu­rant en fai­sant fonc­tion­ner la tur­bine avec un meilleur ren­de­ment ; mais aus­si des effets au niveau de l’aéronef. Sur les héli­co­ptères de type mono­mo­teur, la source élec­trique peut appor­ter tran­si­toi­re­ment de la puis­sance au rotor via une machine élec­trique. La sécu­ri­té est ain­si amé­lio­rée, car la source élec­trique auto­rise un vol de quelques minutes en cas de panne de la tur­bine. Le pilote peut se poser dans une zone déga­gée plu­tôt que de faire une manœuvre d’autorotation (atter­ris­sage moteur éteint) déli­cate à gérer. 

Les prin­ci­paux défis de l’hybridation élec­trique sont la den­si­té des com­po­sants élec­triques et des organes de sto­ckage, la sécu­ri­té pour pro­té­ger les pas­sa­gers et les sys­tèmes des effets de la haute ten­sion (plu­sieurs cen­taines de volts) qui ali­mente les machines élec­triques. De nou­veaux modes de défaillance comme les décharges par­tielles ou les arcs élec­triques néces­sitent de déve­lop­per des pro­tec­tions élec­tro­tech­niques spécifiques.

Coupe du moteur Arra­no :
1. Boî­tier réduc­teur
2. Com­pres­seur à deux étages cen­tri­fuges
3. Chambre à com­bus­tion gira­toire
4. Tur­bine haute pres­sion
5. Tur­bine libre

La digitalisation au service des clients

Les opé­ra­tions de main­te­nance sont aujourd’hui pério­diques et les mêmes quelles que soient les mis­sions. Demain, il sera pos­sible de pro­po­ser une main­te­nance per­son­na­li­sée et de réduire le temps d’immobilisation de l’hélicoptère. La col­lecte et l’analyse de la don­née sont au centre de nou­veaux concepts. Une main­te­nance selon « état » fon­dée sur la sur­veillance d’indicateurs de san­té et la pré­dic­tion de défaut via la modé­li­sa­tion embar­quée d’un jumeau numé­rique du tur­bo­mo­teur. Une main­te­nance selon « usage », basée sur l’analyse des mis­sions avec une car­to­gra­phie d’entretien adaptée.

Les tech­no­lo­gies à déve­lop­per sont mul­tiples, depuis des cal­cu­la­teurs à grande capa­ci­té de sto­ckage, des cap­teurs intel­li­gents, de la connec­ti­vi­té avec la contrainte gran­dis­sante de la cyber­sé­cu­ri­té, l’analyse de don­nées com­plé­tée par l’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle. Un des défis est de convaincre les auto­ri­tés de cer­ti­fi­ca­tion de la fia­bi­li­té des trai­te­ments algo­rith­miques des don­nées pour ne pas remettre en cause l’accidentologie.

Poster un commentaire