Mikhael Krotov

À la Mémoire de Misha

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°766 Juin 2021

Notre asso­cia­tion avait relayé l’appel à venir en aide à Mikhael Kro­tov (2002), atteint d’une mala­die rare. Mal­gré une mobi­li­sa­tion exem­plaire, la course contre la montre enga­gée pour sau­ver notre cama­rade n’aura pas suf­fi. Misha est décé­dé le 6 mai der­nier. Ses amis lui rendent ici hommage.

Mikhael Kro­tov, Misha pour cer­tains, c’était un cama­rade de la 2002, un étu­diant, un pro­fes­sion­nel brillant aus­si ; quelqu’un dont on se souvient.

Un parcours cosmopolite

Il était né à Mos­cou d’une mère aux racines ukrai­niennes, et d’un père d’origine éthio­pienne, puis éle­vé par son beau-père savoyard. Mikhael avait un style bien à lui : un sou­rire poli, atten­tif et non­cha­lant, un fran­çais soi­gné. Lon­gi­ligne – il pra­ti­quait la danse en com­pé­ti­tion – et plein d’humour.

Arri­vé en France à l’adolescence, il avait com­men­cé ses études à Cham­bé­ry, avant d’être reçu à l’X deux fois, d’abord par le concours étran­ger, puis en tant que Fran­çais quand il obtint la nationalité !

La même déter­mi­na­tion tran­quille l’avait conduit au MIT, où il était l’un des rares à faire des « vraies » mathé­ma­tiques, avec papier et crayon. Puis, Mikhael avait fait du finan­ce­ment de pro­jets chez Ernst & Young à Paris, avant de rejoindre Alstom, deve­nu GE Ener­gy. Bien que gros bos­seur, il en savait trop sur la vie pour se lais­ser débor­der par l’ambition. Ce déta­che­ment du maté­riel lui per­met­tait une fidé­li­té sans pareille pour sa famille et ses amis.

La maladie

À l’âge de 12 ans, les méde­cins russes lui avaient diag­nos­ti­qué une mala­die de la moelle osseuse qui l’emporterait pro­ba­ble­ment jeune. Le diag­nos­tic était incer­tain et, mal­gré ce sinistre augure, les années s’écoulaient nor­ma­le­ment. Un dou­lou­reux rap­pel inter­vint en 2007, lorsque sa mère mou­rut du même mal. Plus tard un diag­nos­tic pré­cis fut posé, celui de la dys­ké­ra­tose congé­ni­tale, une mala­die géné­tique rare, qui conduit au vieillis­se­ment accé­lé­ré et à la défaillance subite d’organes vitaux.

Cette mala­die, Mikhael n’en par­lait pas. Ses amis proches avaient connais­sance d’un vague pro­blème géné­tique, suf­fi­sam­ment sévère pour qu’il se refuse à avoir des enfants, mais qui le lais­sait vivre normalement.

La vie s’éclaire

Un jour il quit­ta sa réserve. Il avait retrou­vé un amour de jeu­nesse, Iry­na. Ukrai­nienne, il l’avait ren­con­trée à l’X en 2004 alors qu’elle y fré­quen­tait aus­si le club de danse. Treize ans plus tard, Iry­na vivait en Nor­vège, mère de deux enfants d’un pre­mier mariage. Elle sut rapi­de­ment tout de la mala­die de Misha. Mais ils déci­dèrent de bra­ver la for­tune ; Mikhael quit­ta sa vie de céli­ba­taire pari­sien pour deve­nir beau-père de deux petits Nor­vé­giens pour les­quels il se mit rapi­de­ment à apprendre leur langue en å et en ø. En 2019 ils se mariaient en Bour­gogne, puis nais­sait la petite Fre­ja Alexan­dra, qui ne porte pas les gènes de la mala­die. Cette vie de famille fut un miracle ines­pé­ré pour Mikhael.

Rattrapé par la maladie

Mais cette belle his­toire prit rapi­de­ment une tour­nure tra­gique. La petite Fre­ja Alexan­dra à peine née sur­vinrent les pre­miers pro­blèmes de san­té de Mikhael. Ses pou­mons étaient atteints, et très vite le diag­nos­tic des méde­cins fut sans appel. Il ne lui res­tait plus que quelques mois à vivre, peut-être un an. Les spé­cia­listes diver­geaient : des méde­cins aux États-Unis avaient soi­gné des patients comme lui, grâce à une greffe des pou­mons et de la moelle osseuse d’un même don­neur, au prix d’un com­pro­mis sur la com­pa­ti­bi­li­té de la moelle. Un pari ico­no­claste, auquel les méde­cins euro­péens consul­tés étaient farou­che­ment opposés.

L’espoir viendrait d’Amérique

En 2020 la piste amé­ri­caine sem­blait inac­ces­sible. Mais Mikhael et Iry­na contac­tèrent l’équipe médi­cale basée à Pitts­burgh. L’équipe répon­dit pré­sente et, après exa­men à dis­tance, confir­ma en février 2021 qu’il était médi­ca­le­ment admis à l’hôpital de Pitts­burgh pour réa­li­ser ce trai­te­ment innovant.

Cette admis­sion était une lueur d’espoir inat­ten­due ! Mais les obs­tacles parais­saient insur­mon­tables. D’abord finan­cier : la double greffe coû­te­rait un mil­lion de dol­lars, sans comp­ter les frais annexes. Logis­tique : Mikhael n’était pas en état de résis­ter aux varia­tions de pres­sion d’un vol com­mer­cial trans­at­lan­tique, et les fron­tières étaient fer­mées du fait de la Covid-19. Fami­lial : là-bas, Mikhael aurait besoin d’Iryna, peut-être pen­dant de très longs mois, mais était-il rai­son­nable d’emmener toute la famille, dont des enfants en bas âge ?

Mais il fal­lait essayer ! Sa famille et ses amis se ran­gèrent en ordre de bataille pour lever les obs­tacles un à un. Le 9 mars ils lan­çaient une cam­pagne de soli­da­ri­té inter­na­tio­nale, et en quelques semaines récol­taient le mil­lion de dol­lars néces­saire. Le 16 mars Mikhael obte­nait son visa et une auto­ri­sa­tion d’entrée qui lui per­met­tait d’échapper aux res­tric­tions impo­sées par la pan­dé­mie. Le 23 mars il s’envolait avec Iry­na et Fre­ja Alexan­dra dans un petit avion ambu­lance, qui en quatre étapes l’amenait à Pittsburgh.

À Pitts­burgh la com­mu­nau­té locale, notam­ment fran­çaise, lui réser­vait un accueil splen­dide. On leur prê­tait un appar­te­ment, on leur trou­vait des solu­tions de garde pour les enfants et un sou­tien médi­cal pour Mikhael… Le 6 avril, après la qua­ran­taine, Mikhael com­men­çait la longue série d’examens afin de confir­mer sa capa­ci­té à subir la double greffe. À la clé, l’inscription sur la liste d’attente des greffes de pou­mons, une com­plexe lote­rie médicale.

Un miracle de solidarité

Ce qui se pro­dui­sit, entre février et avril, fut un miracle de soli­da­ri­té, qui prit de court Mikhael et ses proches. Non seule­ment ses amis étaient prêts à tout pour le sau­ver, mais ils étaient aus­si capables de convaincre leurs propres amis de mettre leurs occu­pa­tions entre paren­thèses un moment pour sou­te­nir, à leur façon, Mikhael.

Au sein de cet élan, la com­mu­nau­té des anciens de Poly­tech­nique joua un rôle essen­tiel. Les anciens, dans leur ensemble, contri­buèrent géné­reu­se­ment à l’effort finan­cier, et cer­tains mirent leur sens de l’organisation et leurs réseaux à l’œuvre pour lever cer­tains des plus gros obs­tacles pra­tiques et logis­tiques. Nous remer­cions cha­leu­reu­se­ment toute cette com­mu­nau­té fan­tas­tique pour son immense soutien.

Mal­heu­reu­se­ment, même les meilleures équipes ne gagnent pas tou­jours. Dans ce contre-la-montre, Mikhael se bat­tit jusqu’au der­nier jour, mais la mala­die le prit de vitesse. Le 5 mai 2021, au terme d’un mois d’examens inten­sifs, son ins­crip­tion sur la liste d’attente des greffes lui était confir­mée. Le 6 mai les forces lui man­quaient et, pla­cé sous res­pi­ra­teur en coma arti­fi­ciel, il décé­dait quelques heures après, entou­ré de sa famille.

Mikhael mou­rut en paix ; mal­gré son cou­rage extra­or­di­naire, il savait que la bataille était inégale, et s’y était préparé.

Dans la tris­tesse de cette perte, nous adres­sons toutes nos pen­sées d’affection à Iry­na et à ses 3 enfants. Nous nous sou­vien­drons de Mikhael, ami cher. Comme disait Brassens :

« Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l’eau n’se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il man­quait encore »

Les amis de Misha

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