Les associations dans la tourmente de la Covid 19

La modélisation des épidémies à l’épreuve de la Covid-19

Dossier : ExpressionsMagazine N°765 Mai 2021
Par François Xavier MARTIN (63)

« Complexifier pour affiner » (Cédric Villani) ou « Complexifier pour corriger discrètement des équations inexactes » ?

Conférence à distance donnée le 22 avril 2021 aux membres de Géostratégies 2000 et du Groupe « Défense et Géostratégie » de Sciences Po Alumni

Consul­té il y a plus d’un an, Cédric Vil­la­ni, tout à la fois dépu­té et Médaille Fields, a remis le 30 avril 2020 à l’Office par­le­men­taire d’évaluation des choix scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques une note inti­tu­lée « Covid-19 – Point sur la modé­li­sa­tion épi­dé­mio­lo­gique pour esti­mer l’ampleur et le deve­nir de l’épidémie de Covid-19 ».

La pre­mière par­tie de cette note reprend les grandes lignes de la com­mu­ni­ca­tion fon­da­trice des modèles dits « com­par­ti­men­taux » trans­mise en 1927 par les Ecos­sais Ker­mack et McKen­drick à la Royal Socie­ty de Londres ; dans ses der­nières pages figure un sys­tème d’équations dif­fé­ren­tielles très simples cen­sé modé­li­ser le déve­lop­pe­ment d’une épi­dé­mie. Après avoir rap­pe­lé ces équa­tions, Cédric Vil­la­ni explique dans un cha­pitre de sa note inti­tu­lé inti­tu­lé : « Com­plexi­fier pour affi­ner » com­ment il est pos­sible d’améliorer par divers pro­cé­dés la pré­ci­sion de ce modèle datant de 1927.

Dans les uni­ver­si­tés et les écoles de méde­cine du monde entier, la qua­si-tota­li­té des cours de modé­li­sa­tion épi­dé­mio­lo­gique reposent sur les mêmes bases et reprennent les « équa­tions de Ker­mack et McKen­drick ». Or si on exa­mine de près leur com­mu­ni­ca­tion de 1927, on s’aperçoit qu’existe une diver­gence entre ce sys­tème d’équations dif­fé­ren­tielles et le sché­ma de modé­li­sa­tion défi­ni dans les pre­mières pages de leur document.

Vrai­sem­bla­ble­ment dans l’espoir (qui s’est révé­lé vain !) de pou­voir trou­ver sans l’aide d’ordinateurs, inexis­tants en 1927, une solu­tion per­met­tant de rendre compte du déve­lop­pe­ment d’une épi­dé­mie sous forme de fonc­tions ana­ly­tiques du temps, Ker­mack et McKen­drick ont défi­ni à la fin de leur com­mu­ni­ca­tion ce qu’ils appellent un « spe­cial case » sim­pli­fié (dit à « constant rates ») qui leur per­met de pro­po­ser le sys­tème d’équations dif­fé­ren­tielles très simples pas­sé à la postérité.

Or l’option de sim­pli­fi­ca­tion choi­sie pour ce « spe­cial case » (pro­ba­bi­li­té de gué­ri­son uni­forme, ne dépen­dant pas du temps depuis lequel un indi­vi­du est conta­mi­né, alors que c’est la durée de la mala­die qui est assez uni­forme) conduit à des résul­tats qui peuvent être très inexacts à des moments de l’épidémie où le nombre de per­sonnes infec­tées varie for­te­ment (début d’épidémie, confi­ne­ment, décon­fi­ne­ment, muta­tions entraî­nant une varia­tion impor­tante de conta­gio­si­té d’une bac­té­rie ou d’un virus …).

Par la suite, beau­coup de mathé­ma­ti­ciens tra­vaillant sur la modé­li­sa­tion épi­dé­mio­lo­gique se sont mis à uti­li­ser comme point de départ le sys­tème d’équations figu­rant dans les cours de modé­li­sa­tion, sans réa­li­ser que ce sys­tème pré­ten­dait uni­que­ment simu­ler un « spe­cial case », et que de plus il le fai­sait de façon erro­née et ne pou­vait pas rendre compte cor­rec­te­ment du déve­lop­pe­ment d’une épi­dé­mie réelle à évo­lu­tion rapide.

Pour une rai­son inex­pli­cable, les modé­li­sa­teurs sérieux qui ont consta­té les erreurs résul­tant de cette situa­tion ne veulent pas don­ner l’im­pres­sion qu’ils remettent en cause ce sys­tème tra­di­tion­nel erro­né d’équations dif­fé­ren­tielles. Ils pré­fèrent en com­pen­ser dis­crè­te­ment les défauts par des pro­cé­dés de cal­cul pas tou­jours bien docu­men­tés, et refusent toute remise en cause offi­cielle des équa­tions de 1927, au pré­texte qu’il y a dans un sujet aus­si com­plexe tel­le­ment de rai­sons poten­tielles d’er­reurs qu’il ne serait pas très utile de com­men­cer par rec­ti­fier ouver­te­ment celle de 1927. Ils se sont lan­cés dans l’élaboration de modèles d’une grande com­plexi­té dont une par­tie ne sert qu’à cor­ri­ger le carac­tère erro­né de ces équa­tions, action camou­flée car noyée dans d’autres déve­lop­pe­ments (ceux-là légi­times, car des­ti­nés à réel­le­ment affi­ner le modèle).

Le résul­tat est une flo­rai­son de modèles, cha­cun éta­bli avec des recettes mathé­ma­tiques « mai­son », géné­ra­le­ment invé­ri­fiables car peu docu­men­tés, leurs codes infor­ma­tiques n’étant pas ren­dus publics.

C’est la rai­son pour laquelle, paral­lè­le­ment à la consul­ta­tion de grands orga­nismes ayant déve­lop­pé des modèles com­plexes au fonc­tion­ne­ment interne réel­le­ment connu de leurs seuls déve­lop­peurs, paraî­trait inté­res­sante l’utilisation com­plé­men­taire de modèles sim­pli­fiés cor­ri­geant le « spe­cial case » de 1927 (ce qui est très facile en uti­li­sant un tableur). Les non‑mathématiciens pro­fes­sion­nels, en par­ti­cu­lier les énarques et les méde­cins qui co‑gèrent actuel­le­ment les actions des pou­voirs publics, pour­raient ain­si explo­rer par eux‑mêmes dif­fé­rentes options de poli­tique sani­taire, ce qui leur per­met­trait de mieux défi­nir leurs demandes de véri­fi­ca­tions et de tests de nou­velles hypo­thèses auprès des res­pon­sables des modèles ins­ti­tu­tion­nels. Cette pos­si­bi­li­té serait par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante pen­dant les pro­chaines semaines où doit en prin­cipe être mise en œuvre de façon pro­gres­sive la levée des mesures de frei­nage actuelles de l’épidémie.

Pour voir la confé­rence entière : https://www.youtube.com/watch?v=gOd-MeUpK30


Liste d’articles publiés dans la version en ligne de La Jaune et la Rouge :

https://www.lajauneetlarouge.com/covid-19-enseignements-et-credibilite-des-modeles-epidemiologiques/ (avril 2021)

https://www.lajauneetlarouge.com/covid-19-en-2021quelles-mesures-privilegier-pour-eviter-detre-submerges-en-mars-avril-par-larrivee-dune-3eme-vague-due-au-variant-anglais/ (mars 2021)

https://www.lajauneetlarouge.com/covid-19-interrogations-sur-le-modele-epidemiologique-prise-en-compte-de-la-vaccination-et-du-variant-anglais/ (février 2021)

https://www.lajauneetlarouge.com/covid-19-allons-nous-vers-une-troisieme-vague/ (décembre 2020)

https://www.lajauneetlarouge.com/deuxieme-vague-covid-19-perspectives-2020–2021_modele_sir/ (novembre 2020)

https://www.lajauneetlarouge.com/covid-19-une-modelisation-simple-utilisant-excel-accessible-aux-non-mathematiciens-et-pleine-denseignements/ (octobre 2020)

https://www.lajauneetlarouge.com/modeles-mathematiques-depidemies-les-plus-elabores-pourquoi-leurs-previsions-initiales-sont-elles-souvent-excessivement-pessimistes/ (octobre 2020)

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