A la découverte de l'étymologie de l'automobile à bord du fardier de Cognot

Étymologie :
À propos de l’automobile

Dossier : AutomobileMagazine N°765 Mai 2021
Par Pierre AVENAS (X65)

L’élément auto- étant grec, et -mobile étant latin, le mot auto­mo­bile est hybride… Ce pro­pos n’est pas une allu­sion à l’automobile hybride, mais il pose une ques­tion : pour­quoi un tel mot pour dési­gner un moyen de loco­mo­tion, mot d’origine entiè­re­ment latine, de même que loco­mo­tive, appa­ru bien avant auto­mo­bile ?

La locomotive vient en premier

En latin post­clas­sique du début du XVIe siècle, loco­mo­ti­vus signi­fie « apte à chan­ger de place », de locus « lieu », loco « du lieu » et movere « (se) mou­voir ». Dès 1583 est attes­tée en phi­lo­so­phie l’expression facul­té loco­mo­tive, qu’ont les ani­maux et pas les plantes. Puis en 1690, on parle en phy­sio­lo­gie de facul­té loco­mo­trice et de l’appa­reil loco­mo­teur, où moteur vient aus­si de movere « (se) mou­voir ». Ain­si appa­rais­sait le pré­fixe loco-, incon­nu en latin classique.

L’adjectif loco­mo­tif s’est appli­qué en par­ti­cu­lier au fameux far­dier à vapeur de Cugnot, mis en ser­vice (pous­si­ve­ment) en 1771. À ce moment-là est appa­ru aus­si le mot loco­mo­tion. C’était en effet le pre­mier moyen de loco­mo­tion ter­restre pure­ment méca­nique (« auto­mo­bile » avant la lettre). Long­temps après, en 1804, le pre­mier engin à vapeur trac­teur de wagons est appa­ru en Angle­terre et les gens des che­mins de fer l’ont appe­lé machine loco­mo­tive, expres­sion attes­tée en fran­çais en 1825, rem­pla­cée ensuite, tan­tôt par machine, tan­tôt par loco­mo­tive, ou fami­liè­re­ment par loco. Il y eut aus­si l’engin loco­mo­teur, ou la loco­mo­trice, ou encore le loco­trac­teur pour les manœuvres dans les gares. D’autre part, dans le machi­nisme agri­cole, on employait l’adjectif loco­mo­bile, pour une moto­ri­sa­tion dépla­çable de lieu en lieu.

De tout ce voca­bu­laire, le nom de la loco­mo­tive est res­té en plein usage et a même pris le sens figu­ré d’un élé­ment moteur dans un groupe, d’un meneur d’équipe, mais le pré­fixe loco- s’emploie moins. On parle plus de mobi­li­té aujourd’hui que de loco­mo­tion, de motrice que de loco­mo­trice, et loco­mo­bile est sor­ti d’usage, au pro­fit de mobile, tout sim­ple­ment (y com­pris pour un téléphone).

L’Obéissante d’Amédée Bollée
L’Obéissante d’Amédée Bollée.

De la loco(motive) à l’auto(mobile)

En effet, le pré­fixe loco- a été concur­ren­cé par auto-, même dans les che­mins de fer avec les adjec­tifs auto­trac­té et auto­mo­teur, d’où une auto­mo­trice (ou auto­rail quand elle est die­sel), puis sur­tout avec l’adjectif auto­mo­bile, attes­té en 1866. Ain­si L’Obéis­sante d’Amédée Bol­lée en 1873 fut la pre­mière voi­ture auto­mo­bile, expres­sion rem­pla­cée, à l’instar de machine loco­mo­tive, tan­tôt par voi­ture, tan­tôt par auto­mo­bile, ou fami­liè­re­ment par auto.

Le pré­fixe grec auto- exprime l’aptitude à se mou­voir de soi-même, sans trac­tion ani­male (comme pour une voi­ture hippomobile).

Pou­vait-on évi­ter un mot hybride ? Pas en gar­dant mobile car, curieu­se­ment, le pré­fixe grec auto- n’a pas d’équivalent dans la langue latine, qui a seule­ment emprun­té un petit nombre de mots grecs pré­fixés avec auto-, dont ceux deve­nus auto­ma­tique ou auto­nome. Ou alors il aurait fal­lu tra­duire mobile en grec, kinê­tos… et d’ailleurs dans sa Phy­sique, Aris­tote emploie auto­ki­nê­tos « qui se meut de lui-même », d’où vient un terme spé­cia­li­sé en phy­sio­lo­gie ou psy­cho­lo­gie, l’auto­ci­né­tisme, fort loin du monde automobile.

Épilogue

On admet donc le nom hybride de l’auto­mo­bile, tout de même plus sou­vent nom­mée voi­ture dans le lan­gage cou­rant. Cepen­dant, l’automobile actuelle, même à boîte auto­ma­tique, n’est pas mobile abso­lu­ment d’elle-même puisqu’elle doit être pilo­tée. À la limite, c’est la voi­ture auto­nome qui méri­te­rait vrai­ment de s’appeler auto­mo­bile.

4 Commentaires

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J.-Y. Gres­serrépondre
12 mai 2021 à 16 h 53 min

Mot hybride en fran­çais mais pas dans d’autre langue. Ce qui m’é­tonne le plus c’est qu’au contraire de « bus » (pour auto­bus), qua­si­ment uni­ver­sel, il n’y a pas de mot uni­ver­sel : en anglais car vient de char (qui vient du gau­lois), en grec moderne on dit αυτοκίνητο (afto­ki­ni­to), en chi­nois 汽車 (en gros auto-char) etc.

AVENAS Pierrerépondre
18 mai 2021 à 19 h 19 min
– En réponse à: J.-Y. Gresser

Oui d’ac­cord. Bus vient en fait de omni­bus « pour tous » employé un peu par­tout. Sinon, les noms de la voi­ture sont en effet très variés. Le mot voi­ture lui-même, est un dou­blet de véhi­cule, les deux mots venant du latin vehere « trans­por­ter », d’où vient aus­si d’une manière com­pli­quée l’al­le­mand Wagen. Et oui, l’an­glais car vient du latin car­rus, du gau­lois. Tout cela sans rap­port avec l’es­pa­gnol coche ! Et ce qui est amu­sant aus­si, ce sont les usages dif­fé­rents : car en anglais et en fran­çais, wagon en fran­çais, coach en anglais, etc. Le grec moderne : cf. Aris­tote ! Et vu le chinois !

AVENAS Pierrerépondre
10 juin 2021 à 15 h 46 min

Notre cama­rade Pierre MOUTTON, de la 53, m’a fait part d’une remarque très inté­res­sante : le fait que le mot « auto­mo­bile » n’a pas tou­jours été fémi­nin comme aujourd’­hui. En effet, dans un Petit Larousse de 1933 par exemple, le mot est pré­sen­té comme mas­cu­lin ou fémi­nin. En fait, ce mot a d’a­bord été un adjec­tif, et l’ex­pres­sion « voi­ture auto­mo­bile » inci­tait à dire une auto­mo­bile, mais un « véhi­cule auto­mo­bile » pou­vait aus­si être un auto­mo­bile. D’ailleurs, le mot mobile lui-même est mas­cu­lin. L’u­sage du mot auto­mo­bile, asso­cié celui qui est domi­nant, de « une voi­ture », a fina­le­ment pri­vi­lé­gié celui de « une auto­mo­bile », deve­nu défi­ni­tif par exemple dans le Petit Larousse 1959.
Mer­ci à Pierre MOUTTON d’a­voir appor­té ce com­plé­ment à l’his­toire du mot automobile.

Etienne PIRONrépondre
10 juillet 2021 à 9 h 29 min

Deux petites remarques :
– Le titre n’est pas vrai­ment cor­rect ; ce n’est pas la loco­mo­tive qui est arri­vée en pre­mier mais le mot « locomotive ».
– On a jadis uti­li­sé aus­si le mot « loco­mo­bile » pour défi­nir des engins se dépla­çant sur les routes.

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