Les grandes tendances d’évolution des ports en France et dans le monde

Dossier : Les ports en FranceMagazine N°764 Avril 2021
Par Geoffroy CAUDE (74)

L’activité des ports fran­çais est lar­ge­ment impac­tée par les grandes évo­lu­tions mon­diales. Il faut les avoir en tête avant toute réflexion en la matière. L’AIPCN au sein de ses com­mis­sions mari­time et envi­ron­ne­men­tale pro­duit des tra­vaux qui reflètent les ten­dances à l’œuvre et on doit s’y repor­ter pour appro­fon­dir la question.

Inti­me­ment mêlés à l’histoire mari­time et au com­merce inter­na­tio­nal, les ports repré­sentent pour les prin­ci­paux d’entre eux des actifs stra­té­giques majeurs. Ce n’est donc pas le fruit du hasard si les pri­va­ti­sa­tions lan­cées dans les années 1990 se sont limi­tées aux ter­mi­naux por­tuaires à l’exception de celle du port du Pirée, impo­sée par les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales, qui per­met ain­si à l’armateur chi­nois Cos­co de béné­fi­cier d’une porte d’entrée pri­vi­lé­giée en Europe, ou que les États-Unis se soient oppo­sés en 2006 pour des rai­sons de sou­ve­rai­ne­té natio­nale au rachat des actifs por­tuaires de P and O aux États-Unis par Dubai Ports World.

Enfin, l’exemple le plus mar­quant sur le plan inter­na­tio­nal n’est-il pas celui de l’explosion des tra­fics des ports chi­nois pous­sés par la nou­velle poli­tique éco­no­mique d’ouverture du pays et de trans­for­ma­tion en ate­lier mon­dial ? Le port de Rot­ter­dam perd sa place de pre­mier port mon­dial en 2002 au pro­fit de Sin­ga­pour, dis­tan­cé ensuite par Shan­ghai en 2005. En France, l’affirmation en 2017 par le Pre­mier ministre concer­nant les trois portes d’accès mari­times por­tuaires (port gate­ways) majeures que sont Le Havre-Rouen, Mar­seille-Fos, ain­si que Dun­kerque, ne ren­voie-t-elle pas à cette même recon­nais­sance de leur carac­tère d’actifs stra­té­giques ? De plus l’effet d’entraînement des ports dans l’économie est consi­dé­rable : les trois gate­ways majeurs en France pèsent à eux seuls 13 mil­liards d’euros de valeur ajou­tée et 130 000 emplois.

Les modèles de développement et la gouvernance portuaire

Les ports euro­péens se sont déve­lop­pés his­to­ri­que­ment selon trois familles géo­gra­phiques : le port han­séa­tique où la ville-port com­merce presque par essence, le port latin avec une pré­émi­nence de la puis­sance publique, enfin le port anglo-saxon avec les trust ports indé­pen­dants de l’État et des col­lec­ti­vi­tés. La typo­lo­gie por­tuaire inter­na­tio­nale dis­tingue aus­si les fonc­tions du port avec le land­lord port ou port pro­prié­taire, le port outil ges­tion­naire d’outillage et le port pres­ta­taire de ser­vices, la ten­dance géné­rale issue des pri­va­ti­sa­tions de la fin des années 1980 allant vers le port pro­prié­taire amé­na­geur. Plus récem­ment, en 2010, Patrick Verhoe­ven, alors secré­taire géné­ral de l’ESPO, déve­loppe les notions de port conser­va­teur, faci­li­ta­teur et entrepreneur.

Le port entre­pre­neur est clai­re­ment la voie du port de Rot­ter­dam qui est deve­nu une entre­prise publique (70 % du capi­tal déte­nu par la muni­ci­pa­li­té et 30 % par l’État) avec une gou­ver­nance res­ser­rée (un conseil de sur­veillance doté de 5 à 7 admi­nis­tra­teurs du sec­teur pri­vé, nom­més par les deux action­naires publics) et un domaine por­tuaire pro­prié­té de la muni­ci­pa­li­té. D’ailleurs ce modèle se carac­té­rise par une pré­pon­dé­rance des recettes doma­niales sur celle des droits de port.

« L’évolution vers le port entrepreneur prévaut dans l’élaboration de la stratégie nationale portuaire française. »

Les consé­quences n’ont pas été neutres, puisque le port a été assu­jet­ti à l’impôt sur les socié­tés, ce qui par appli­ca­tion des règles de concur­rence euro­péennes a induit pro­gres­si­ve­ment l’assujettissement à l’IS des ports belges, fran­çais, ita­liens et espa­gnols. Pour ne pas être en reste, le port d’Anvers a aus­si adop­té ce sta­tut d’entreprise publique dont la muni­ci­pa­li­té détient la tota­li­té du capi­tal et, plus récem­ment en 2018, les ports fla­mand de Gand et néer­lan­dais de Ter­neu­zen ont fusion­né en une socié­té publique trans­fron­ta­lière North Sea Ports avec huit action­naires publics.

L’évolution vers le port entre­pre­neur pré­vaut aus­si dans l’élaboration de la stra­té­gie natio­nale por­tuaire fran­çaise, car les évo­lu­tions éco­no­miques et les incer­ti­tudes accrues qui marquent l’économie actuelle, encore ren­for­cées par la pan­dé­mie virale, accen­tuent la concur­rence por­tuaire et obligent à gagner en esprit de déci­sion et en rapi­di­té d’exécution. Cela est par­ti­cu­liè­re­ment vrai du Brexit qui a don­né lieu à de mul­tiples démarches com­mer­ciales des ports nord-euro­péens vers l’Irlande et, plus récem­ment, à une intense réflexion sur la notion de ports francs depuis l’annonce faite par le Pre­mier ministre bri­tan­nique sur ce sujet.

Les cinq premiers ports mondiaux de 1999 à 2003 avec leur trafic exprimé en millions de tonnes

2003

2002

2001

2000

Sin­ga­pour

Sin­ga­pour

348 MT

335 MT

313 MT

326 MT

Rot­ter­dam

Pays-Bas

327 MT

321 MT

314 MT

320 MT

Shan­ghai

Répu­blique populaire
de Chine

316 MT

263 MT

221 MT

204 MT

Sud Loui­siane

États-Unis d’Amérique

217 MT

235 MT

230 MT

223 MT

Hong Kong

Répu­blique popu­laire de Chine

208 MT

193 MT

178 MT

175 MT


REPÈRES

Les ports mon­diaux ont très bien reflé­té le bas­cu­le­ment du centre de gra­vi­té des échanges des rives de l’Atlantique vers l’Asie. L’étude pro­duite par la Cnu­ced en 2020 sur les trans­ports mari­times mon­diaux montre que l’Asie repré­sente 62 % des ton­nages déchar­gés et 41 % des ton­nages char­gés dans le monde, prin­ci­pa­le­ment à cause des impor­ta­tions mas­sives de la Chine, de l’importance du tra­fic intra­con­ti­nen­tal asia­tique et de la crois­sance de la conte­neu­ri­sa­tion. Ain­si le port de Shan­ghai avec un tra­fic de 42 MEVP en 2018 et de 730 MT au total réa­li­se­rait 420 MT en conte­neurs, soit près de 60 % de son tra­fic pour autant que le ratio moyen de 10 T par EVP ait le même sens que pour les ports français. 

La conte­neu­ri­sa­tion et ses déve­lop­pe­ments consi­dé­rables depuis les années 1990, notam­ment avec la capa­ci­té crois­sante des navires qui en résulte, ont contri­bué à favo­ri­ser ces adap­ta­tions des ports aux évo­lu­tions du com­merce inter­na­tio­nal. On passe de porte-conte­neurs de 10 000 EVP à la fin des années 1990 à des emports de quelque 25 000 EVP aujourd’hui. (L’équivalent vingt pieds, ou EVP, est une uni­té approxi­ma­tive de mesure des ter­mi­naux et navires porte-conte­neurs fon­dée sur le volume d’un conte­neur de vingt pieds.) 


Commerce maritime international, par région, 2019
Com­merce mari­time inter­na­tio­nal, par région, 2019 (part du ton­nage total en pour­cen­tage)
source Cnu­ced, Review of mari­time trans­port 2020

Performance des places portuaires et évolutions technologiques

Si la conscience de l’importance des hin­ter­lands et de leur des­serte mas­si­fiée (mari­time, fer­ro­viaire ou flu­viale) est ancienne en France, elle reste un enjeu majeur, comme le rap­pelle Didier Léan­dri dans ce dos­sier à pro­pos de la des­serte flu­viale des ports, car les parts modales des modes mas­si­fiés se sont beau­coup éro­dées au fil des années.

En revanche, la prise de conscience de la logis­tique comme axe majeur de déve­lop­pe­ment éco­no­mique est plus récente : les tra­vaux menés pour éta­blir « France Logis­tique 2025 », puis ceux des pré­si­dents Daher et Hémar, ont conduit à la créa­tion récente de l’association France Logis­tique regrou­pant les pro­fes­sion­nels impli­qués dans la logis­tique et amor­cé la struc­tu­ra­tion de cette filière dans sa double com­po­sante indus­trielle et de distribution.

Les consé­quences en sont la recherche de flui­di­té à la fois des opé­ra­tions de for­ma­li­tés aux fron­tières et des opé­ra­tions phy­siques sur les ports, ce qui ne peut s’opérer sans une amé­lio­ra­tion des pro­ces­sus numé­riques asso­ciés. Les deux pres­ta­taires d’informatique por­tuaire com­munautaire que sont Soget au Havre et MGI à Mar­seille viennent d’ailleurs de s’associer pour créer le GIE France PCS. Les inno­va­tions tech­no­lo­giques sont éga­le­ment au ren­dez-vous et leur intro­duc­tion requiert de s’adapter au rythme d’évolution des métiers por­tuaires cor­res­pon­dants pour contri­buer à la per­for­mance des pas­sages portuaires.

Débit mondial estimé des ports à conteneurs par région, 2019
Débit mon­dial esti­mé des ports à conte­neurs par région, 2019 (part du total des EVP en pour­cen­tage)
source Cnu­ced, Review of mari­time trans­port 2020

Les trois grands enjeux d’évolution globaux

Pre­mier enjeu, celui de la tran­si­tion éner­gé­tique et éco­lo­gique qui déborde du sec­teur por­tuaire et touche le ship­ping comme l’illustre Jean-Marc Lacave dans ce dos­sier, et qui a don­né lieu en 2019 à la créa­tion de la coa­li­tion T2EM (tran­si­tion éco­lo­gique et éner­gé­tique du sec­teur mari­time) grâce au Clus­ter mari­time fran­çais et à l’Ademe. La dimi­nu­tion pro­gres­sive des sources d’énergie car­bo­née et le déve­lop­pe­ment des éner­gies marines renou­ve­lables sont essen­tiels pour les ports fran­çais comme en témoigne l’Observatoire des éner­gies de la mer.

La tran­si­tion éco­lo­gique est déjà lar­ge­ment enga­gée tant dans la concep­tion por­tuaire avec la phi­lo­so­phie « Œuvrer avec la nature » de l’AIPCN que pour leur exploi­ta­tion avec les plans d’aménagement et de déve­lop­pe­ment durable, avec la recon­nais­sance par l’ESPO à tra­vers le label Eco­ports ou avec l’application des prin­cipes de l’économie cir­cu­laire avec les indus­triels por­tuaires. Elle néces­site aus­si une sim­pli­fi­ca­tion des pro­cé­dures envi­ron­ne­men­tales pour res­ter dans un cadre com­pé­ti­tif satis­fai­sant par rap­port aux autres pays européens.

“La Chine tisse progressivement sa toile.”

Second enjeu, celui des routes de la soie : ini­tia­tive de la Chine, qui tisse pro­gres­si­ve­ment sa toile pour sécu­ri­ser ses appro­vi­sion­ne­ments dans le reste de l’Asie, en Europe ou en Afrique, par les voies ter­restres ou mari­times, elle conduit à des prises de contrôle des ter­mi­naux des ports, qu’Olaf Merk du FIT estime autour de 10 % aujourd’hui en Europe avec des pers­pec­tives de 25 à 50 %, voire d’espaces fon­ciers. L’UE vient d’en prendre conscience en inflé­chis­sant sa stra­té­gie vis-à-vis de la Chine en mars 2019, puis en adop­tant un pro­ces­sus de fil­trage des inves­tis­se­ments directs étran­gers dans l’UE.

Troi­sième enjeu, celui de l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique et de la rési­lience aux évé­ne­ments extrêmes : à la suite du Clean Air Act des États-Unis et de son appli­ca­tion à la Cali­for­nie, les grands ports mon­diaux ont mis en place avec l’IAPH (Inter­na­tio­nal Asso­cia­tion of Ports and Har­bors), la World Ports Cli­mate Ini­tia­tive, puis, plus récem­ment, le World Ports Sus­tai­na­bi­li­ty Pro­gram, dont la com­po­sante, délé­guée à l’AIPCN, est celle de la rési­lience aux évé­ne­ments extrêmes prin­ci­pa­le­ment d’origine cli­ma­tique (tem­pêtes, sur­cotes, houles, etc.).

L’effet de la Covid

Bien enten­du, la pan­dé­mie a dure­ment affec­té l’activité des ports, consé­quence directe de la baisse des échanges mon­diaux : moindre que pour les trans­ports aériens, majeure pour les croi­sières et pour les tra­fics de pas­sa­gers en fer­ry. La Cnu­ced pro­jette une baisse de 4,1 % du com­merce inter­na­tio­nal et une crois­sance du tra­fic conte­neu­ri­sé mon­dial de 2 % contre 5,1 % en 2019. Mais cette pan­dé­mie a par­ti­cu­liè­re­ment tou­ché les ports fran­çais qui ont vu décroître leurs tra­fics en 2020, si bien qu’un plan de relance tou­chant à la fois aux inves­tis­se­ments mari­times et à ceux des voies fer­rées et flu­viales a été lan­cé pour trou­ver une dyna­mique de rebond.

Poster un commentaire