Jérôme Bastianelli (90)

Jérôme Bastianelli (90), à la recherche des bonnes clés

Dossier : TrajectoiresMagazine N°764 Avril 2021
Par Pierre LASZLO

L’originalité du par­cours de Jérôme Bas­tia­nel­li tient-elle davan­tage à la volon­té ou aux contin­gences ? Quoi qu’il en soit, elle abou­tit à des posi­tions sociales, enviables non seule­ment parce qu’elles reflètent ses goûts – musique et musi­co­lo­gie, lec­ture de Proust, écri­tures, bour­lingue et arts pre­miers –, mais aus­si par l’influence durable qu’elles lui ont offert. 

Mathématiques, musique et littérature

Leur diver­si­té montre une richesse tant intel­lec­tuelle que cultu­relle. À pré­sent à la tête du musée du Quai Bran­ly, il est fils unique de pro­fes­seurs de mathé­ma­tiques. Ils furent des parents modèles : « D’abord parce qu’ils m’ont fait aimer les mathé­ma­tiques, et que cet amour a, en quelque sorte, déci­dé d’un large pan de ma vie.

D’autre part, mes parents conce­vaient l’éducation de leur fils comme un tra­vail de ser­ru­rier : ils avaient en main un trous­seau énorme et devaient trou­ver la clé qui ouvri­rait la porte. Je veux dire par là que, durant mon enfance, ils m’ont fait faire de la nata­tion, de l’escrime, de la danse clas­sique, du patin à glace… et du vio­lon. Les pre­mières dis­ci­plines ne m’ont pas véri­ta­ble­ment réus­si (ce n’étaient pas les bonnes clés), mais la musique fut toute de suite une grande passion. »

Autre pas­sion, la lec­ture : « Mes grands-parents mater­nels qui habi­taient vers ­Chan­tilly par­taient chaque année deux mois dans le Midi, à Roque­brune-Cap-Mar­tin. De là, ils m’envoyaient des petits livres (de la Biblio­thèque rose) avec le tam­pon de la librai­rie de la ville. Des his­toires de pirates et d’explorateurs, notamment. »

L’École et ses binets

Comme ils habi­taient le ving­tième arron­dis­se­ment, ses études secon­daires se firent au lycée Hélène-Bou­cher, de 1981 à 1987. Puis, ce fut la pré­pa au lycée Condor­cet, de 1987 à 1990. 

Ayant inté­gré l’X, Jérôme Bas­tia­nel­li fit son ser­vice natio­nal dans le train des équi­pages (armée de terre), d’abord à Tours pour l’École supé­rieure des offi­ciers de réserve puis au 8e Régi­ment de com­man­de­ment et de sou­tien, dans la cita­delle d’Amiens (régi­ment dis­sous, la cita­delle est deve­nue une uni­ver­si­té, on y a de très belles vues sur la cathé­drale). « Il ne m’en reste que les bons sou­ve­nirs, j’ai oublié qu’on me refai­sait (presque immé­dia­te­ment) faire le test de Cooper si je n’arrivais pas à par­cou­rir 2 800 m en 12 minutes, et bien évi­dem­ment, j’avais encore moins de chance d’y arri­ver à la deuxième occur­rence. » À l’École, Jérôme Bas­tia­nel­li choi­sit le golf comme sport, « parce que je n’aime pas cou­rir. Je n’en avais jamais fait avant. J’étais meilleur pour les longs coups, avec des bois, qu’avec le putter. »

Lec­ture et musique comme pas­sions, d’où les binets fré­quen­tés, le binet livres qui per­met­tait aux élèves d’acheter des livres neufs au tarif biblio­thèque, donc avec une impor­tante réduc­tion, et la Dis­khalle clas­sique, qui prê­tait des CD. « Une ou deux fois par an, nous allions à la Fnac Bas­tille en voi­ture, faire les « appros » et ache­tions pour huit ou dix mille francs de nou­veaux enre­gis­tre­ments. C’était ver­ti­gi­neux, pour le mélo­mane que j’étais. »

Quelques voyages

Après l’École, ce fut l’École natio­nale de l’aviation civile, son bre­vet de pilote ; et son affec­ta­tion en 1995 au minis­tère des Trans­ports, à la tête du dépar­te­ment tech­nique du bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécu­ri­té de l’Aviation civile. Il y ren­contre sa future épouse Hélène ; ils ont trois enfants. Je subo­dore qu’ils ont tous le goût des voyages, que ses parents, encore eux, lui ont trans­mis : « Je suis par­ti six semaines en Boli­vie, n’ayant en poche qu’un billet aller-retour sans savoir ce que j’allais y trou­ver. J’ai pas mal voya­gé en bus, puis je me suis fait des amis et nous avons tra­ver­sé dans un petit 4×4 des pano­ra­mas superbes, le désert de sel d’Uyuni, l’Altiplano andin et, à l’est, la jungle où nous avons mar­ché quelques jours. »

Décidément… la musique !

« En tant que vio­lo­niste, mon meilleur sou­ve­nir ce fut une Fête de la Musique, à la fin des années 1980 : avec trois amis du conser­va­toire du XXe arron­dis­se­ment, nous étions allés sous les arcades de la place des Vosges, de nuit, jouer des extraits des pre­miers qua­tuors de Mozart (sublime début du K. 80 !) ; on était heu­reux, la nuit était douce, l’avenir nous appartenait. » 

L’écriture musi­cale le pas­sionne, l’harmonie et le contre­point en par­ti­cu­lier, pour les­quels il a une dilec­tion. Ce qui le condui­ra à col­la­bo­rer comme cri­tique musi­cal au maga­zine Dia­pa­son, à par­ti­ci­per aux dic­tion­naires Tout Mozart, Tout Bach et Tout Ver­di pour la col­lec­tion Bou­quins, et à publier dif­fé­rents essais bio­gra­phiques sur Fede­ri­co Mom­pou (Payot, tout juste réédi­té), Felix Men­dels­sohn ou encore Pio­tr Ilitch Tchaï­kovs­ki (Actes Sud). 

Et Proust (il pré­side l’Association des amis de Mar­cel Proust et publia chez Gras­set en 2019 La vraie vie de Vin­teuil) : « Ma pas­sion prous­tienne naquit, à l’occasion du bac­ca­lau­réat de fran­çais, en 1986. Il fal­lait com­men­ter un superbe extrait d’Alber­tine dis­pa­rue (celui qui com­mence par : « Que le jour est lent à mou­rir par ces soirs déme­su­rés de l’été ! »).

Une belle exis­tence, un homme accompli ! 

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