amas NGC 6397

Le cimetière des étoiles disparues

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°764 Avril 2021
Par Robert RANQUET (72)
Par Gary MAMON
Par Éduardo VITRAL (2015)

Eduardo, quel a été ton parcours ?

E.V. : Je suis de double natio­na­li­té bré­si­lienne et ita­lienne. J’avais com­men­cé des études en ingé­nie­rie aéro­nau­tique au Bré­sil, quand j’ai eu l’opportunité de pré­sen­ter l’X comme élève étran­ger. Je me suis pré­sen­té au concours, et j’ai été reçu. J’ai inté­gré la pro­mo 2015. À l’École, j’ai com­men­cé par un stage très inten­sif pour maî­tri­ser le fran­çais. J’ai vite été séduit par la phy­sique et j’ai déci­dé de m’orienter vers la recherche. En 3A, j’ai sui­vi le par­cours pas­sion­nant « Des par­ti­cules aux étoiles » avec Fré­dé­ric Daigne, puis en 4A j’ai eu la chance de pou­voir faire un stage de quatre mois au téles­cope Cana­da-France-Hawaï. C’est un obser­va­toire cogé­ré par le CNRS, qui est implan­té près du som­met du Mau­na Kea à Hawaï, à plus de 4 000 m d’altitude. À mon retour en 2019, j’ai rejoint l’observatoire de Paris pour un stage avec Gary Mamon, qui se pour­suit main­te­nant en deuxième année de doc­to­rat. Gary, mon direc­teur de thèse, est un ancien du MIT et de Prin­ce­ton, qui a rejoint l’Institut d’astrophysique de Paris en 1993.

Parle-nous de cette découverte du « cimetière d’étoiles ».

E.V. : Tout cela part de la consta­ta­tion qu’il est dif­fi­cile d’observer une classe de trous noirs par­ti­cu­lière, celle des trous noirs « de masse inter­mé­diaire ». Autant les trous noirs super­mas­sifs, qui sont situés au centre des galaxies et dont la masse vaut plu­sieurs mil­lions de fois celle de notre Soleil, sont rela­ti­ve­ment faciles à mettre en évi­dence, tout comme les trous noirs stel­laires, autant les trous noirs inter­mé­diaires, dont la masse est inter­mé­diaire – comme leur nom l’indique – entre ces deux caté­go­ries extrêmes, sont peu obser­vables. Nous avons donc cher­ché à en obser­ver en étu­diant un amas glo­bu­laire par­ti­cu­lier, l’amas NGC 6397, qui se trouve l’un des plus proches de la Terre, à 7 800 années-lumière seule­ment (on peut le voir à l’œil nu dans de bonnes condi­tions d’observation). Pour­quoi s’intéresser à cet amas par­ti­cu­lier ? Les amas glo­bu­laires sont des amas d’étoiles conte­nant typi­que­ment une cen­taine de mil­liers d’étoiles dis­tri­buées dans une sphère dont la taille varie d’une ving­taine à quelques cen­taines d’années-lumière. Leur den­si­té est ain­si très éle­vée. La théo­rie montre que, dans ce type d’amas extrê­me­ment denses, les inter­ac­tions au centre de l’amas entre les étoiles doivent conduire à la for­ma­tion de trous noirs qui ont ten­dance à fusion­ner pour for­mer ces fameux trous noirs intermédiaires.

Les a‑t-on finalement observés ?

E.V. : C’est là qu’est inter­ve­nue la sur­prise. Nous avions deux sources de don­nées sur cet amas : celles du téles­cope Gaia de l’Agence spa­tiale euro­péenne, mais qui ne don­nait pas assez de don­nées sur les étoiles au centre de l’amas ; et celles de Hubble, qui au contraire donne beau­coup de don­nées sur le centre. Sur ces don­nées, j’ai d’abord appli­qué le code déve­lop­pé par Gary, qui per­met de tes­ter dif­fé­rents modèles de vitesses et d’orbites pour les étoiles. Nous avons tes­té dif­fé­rentes confi­gu­ra­tions poten­tielles, et nous avons conclu que la meilleure modé­li­sa­tion cor­res­pon­dait à une dis­tri­bu­tion des masses sans le trou noir ponc­tuel qu’on pou­vait s’attendre à trou­ver au centre, mais avec une masse invi­sible davan­tage répar­tie. Cette masse n’était pas ponc­tuelle comme elle aurait dû l’être en pré­sence d’un trou noir plus mas­sif : elle s’étendait sur une échelle de quelques pour­cents de la taille totale de l’amas.

Mais alors la question devient : qu’est-ce que c’est que cette masse invisible ?

E.V. : La plus grande par­tie de cette masse pour­rait être com­po­sée de petits trous noirs, for­més à la fin de vie des étoiles très mas­sives. Leur pré­sence au cœur de l’amas pose cepen­dant dif­fé­rents pro­blèmes. On sait que les corps les plus mas­sifs ont ten­dance à tom­ber plus rapi­de­ment vers le centre de l’amas : leur orbite dimi­nue pro­gres­si­ve­ment (il faut comp­ter plu­sieurs mil­lions d’années). Dans le pro­ces­sus, des trous noirs peuvent finir par fusion­ner. Ils émettent alors un très violent flash d’ondes gra­vi­ta­tion­nelles (l’équivalent en éner­gie de toute la lumière obser­vable dans l’univers en quelques mil­lièmes de seconde !), ce qui par réac­tion éjecte hors de l’amas le trou noir résul­tant de la fusion. Il reste donc du tra­vail pour com­prendre com­ment les étoiles mortes et les trous noirs inter­agissent au cœur de l’amas pour don­ner nais­sance à cette masse invi­sible rela­ti­ve­ment étendue.

Cette masse de trous noirs, vous l’avez décelée par le calcul. Mais peut-on l’observer directement ?

G.M. : C’est une bonne ques­tion ! Com­ment peut-on confir­mer par l’observation ce que nous avons mis en évi­dence par nos modé­li­sa­tions ? Il fau­drait tes­ter la sta­bi­li­té du sys­tème au moyen de simu­la­tions de l’évolution dyna­mique du sys­tème à N corps. D’ailleurs, il y a bien des choses qu’on ne com­prend pas encore à pro­pos de ces amas : on vou­drait com­prendre com­ment le sys­tème a pu évo­luer vers ce qu’il est aujourd’hui.

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