Fort du Chabreton pris par le lieutenant Miguet

L’exploit du lieutenant André Miguet (X1931) : la destruction du Chaberton

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°763 Mars 2021
Par Jacques-André LESNARD

La Jaune et la Rouge d’octobre der­nier (n° 758 rubrique His­to­rix) a rap­pe­lé aux lec­teurs la mémoire du géné­ral René Olry (X1900), seul com­man­dant d’armée défen­si­ve­ment vain­queur en 1940. Dans cette pers­pec­tive, il n’est pas sans inté­rêt de rap­pe­ler un fait d’armes par­ti­cu­lier sous sa direc­tion, auquel il n’est pro­ba­ble­ment pas étran­ger dans la concep­tion et qui est aus­si le fait d’un cama­rade : le lieu­te­nant André Miguet.

A prio­ri le plus haut d’Europe sinon du monde d’où son sur­nom, le fort du mont Cha­ber­ton, à la fron­tière fran­co-ita­lienne, consti­tuait depuis les pre­mières années du XXe siècle un des sujets d’orgueil de l’armée ita­lienne. Le choix de l’Italie de s’engager en mai 1915 aux côtés des Alliés entraî­na le démon­tage de ses canons, expé­diés sur le front aus­tro-ita­lien. Mus­so­li­ni déci­da dans les années 30 de réar­mer le fort, à l’identique, puis inté­gra celui-ci dans le IVe corps d’armée ita­lien, avec une gar­ni­son de 340 hommes. Quelques pièces de DCA avaient été mon­tées en sus pour parer une éven­tuelle attaque aérienne. 

Le rôle du lieutenant d’artillerie d’active André Miguet (X1931)

Ouver­ture effec­tive des hos­ti­li­tés ter­restres sur le front, après la décla­ra­tion de guerre par Mus­so­li­ni le 10 juin au soir : le fort du Cha­ber­ton com­men­ça à canon­ner le matin du 20 juin 1940, neu­tra­li­sant le fort de l’Olive et inquié­tant ain­si l’armée des Alpes fran­çaises com­man­dée par le géné­ral René Olry (X1900). Repre­nant une étude d’expert remon­tant à 1934, il avait fait dis­po­ser à Brian­çon une bat­te­rie – la 6e du 154e RAP (régi­ment d’artillerie de posi­tion) – armée de mor­tiers de 280 mm sur pla­te­forme Schnei­der modèle 1914. Et choi­si son chef, le lieu­te­nant d’artillerie d’active André Miguet (X1931) : celui-ci avait répar­ti deux mor­tiers à l’Eyrette et deux au Poët-Morand, sis hors de la vue de l’ennemi ita­lien car en contre­pente du fort de l’Infernet (2 377 m), sur des replats au sud-ouest, aux cotes res­pec­tives de 2 143 et 1 929 mètres. Le Cha­ber­ton était bien à por­tée de ces mor­tiers lourds, à 9–10 km, mais 900–1 200 mètres plus haut, via une tra­jec­toire courbe mon­tant à 5 000 mètres, d’où envi­ron une minute entre le départ et l’arrivée du coup. Il n’y avait pas de tables de cal­cul d’artillerie pour des alti­tudes supé­rieures à 1 000 mètres, mal­gré le tra­vail mathé­ma­tique de quelques offi­ciers début juin pour en four­nir par extra­po­la­tion à tous les res­pon­sables d’artillerie de mon­tagne de l’armée des Alpes. L’observation visuelle était donc indis­pen­sable pour régler un tir ain­si tota­le­ment inédit, tant depuis les contre­forts occi­den­taux de l’Infernet où avait pris posi­tion le lieu­te­nant André Miguet que depuis les posi­tions plus avan­cées. Ces der­nières four­nis­saient des indi­ca­tions plus pré­cises a prio­ri, du fort du Janus sis à 2 530 m, au-des­sus de Mont­ge­nèvre, pla­cé devant l’Infernet et en regar­dant vers le Chaberton.

Sous la brume, les mortiers

Le 21 juin matin, la brume se dis­sipe pro­vi­soi­re­ment à 10 heures, per­met­tant trois tirs courts des­dits mor­tiers avant que le fort ne soit à nou­veau enve­lop­pé par les nuages jusqu’à une éclair­cie, à par­tir de 15 h 30. Elle per­met de reprendre le tir et d’approcher la cible sans que les Ita­liens puissent ripos­ter. Ceux-ci bom­bardent en revanche vigou­reu­se­ment le « fort des têtes », qui est très proche de la ville de Brian­çon mais qui est heu­reu­se­ment inoc­cu­pé. À 17 h 15, après les obser­va­tions recueillies en pro­ve­nance du Janus et rec­ti­fi­ca­tions des élé­ments de tir, un pre­mier coup au but depuis le Poët-Morand démo­lit la tou­relle T1, sui­vi de dégâts aux T3, 4 et 5, déclen­chant des incen­dies et mena­çant les soutes à muni­tions. Le com­bat se pour­suit, ce qui entraîne en soi­rée la mise hors de com­bat par les Fran­çais des T2 puis T6, cau­sant au total neuf morts et une cin­quan­taine de bles­sés dans les rangs ita­liens par 57 « coups au but » des mor­tiers sur une cen­taine de tirs, un ratio remar­quable. Les tou­relles 7 et 8 du Cha­ber­ton, res­tées intactes, tirèrent sans grand effet les jours sui­vants, mais après une sus­pen­sion de 24 heures pour per­mettre l’évacuation des blessés.

Rue du lieutenant Miguet qui neutralisa le fort du Chabreton
Une rue porte le nom du Lieu­te­nant Miguet à Briançon.

Protéger Briançon

Le fort ne joua plus aucun rôle pen­dant la guerre et fut même aban­don­né, au moins en 1943. L’annuaire de l’AX donne le héros de ce fait d’armes à l’Insee après la Libé­ra­tion, puis il ne lui men­tionne plus d’emploi pro­fes­sion­nel. Lors des négo­cia­tions du trai­té de paix fran­co-ita­lien, le géné­ral de Gaulle, contre l’avis de son ministre des Affaires étran­gères Georges Bidault par­ti­san de la conci­lia­tion, se mon­tra intrai­table pour exi­ger l’incorporation au ter­ri­toire fran­çais du Cha­ber­ton afin d’éliminer toute menace future sur Brian­çon. Au-delà de l’objective éli­mi­na­tion du risque a dû peser dans la pen­sée du chef de la France libre le sou­ve­nir de l’exploit du lieu­te­nant André Miguet qui, s’il l’avait alors appris, lui aurait appor­té quelque récon­fort dans sa soli­tude lon­do­nienne des len­de­mains de son appel du 18 Juin. La rec­ti­fi­ca­tion de fron­tière outre la péné­plaine du col, le rio sec­co ou val­lon des Baïsses au pied occi­den­tal du Cha­ber­ton, englobe tout le haut de Cla­vière, hameau de la paroisse de Mont­ge­nèvre avant 1713, rap­pe­lons-le. Huit trous et demi du golf – de sta­tut pri­vé – de cette sta­tion deve­naient ain­si ter­ri­toire fran­çais, d’où une annexe spé­ci­fique du trai­té de paix du 10 février 1947 par laquelle les deux États impo­saient de ne pra­ti­quer stric­te­ment aucune dif­fé­rence entre Fran­çais et Ita­liens pour y jouer, adhé­rer et même gérer le golf et son club-house, pre­mière pierre offi­cielle – peut-on dire – d’un esprit d’entente et de coopé­ra­tion entre les deux nations après le conflit.


Repère : le fort du Chaberton 

La construc­tion du gigante delle nuvole, tra­duit en fran­çais plu­tôt par le cui­ras­sé des nuages, au som­met du mont Cha­ber­ton, à la fron­tière fran­co-ita­lienne au-des­sus du col du Mont­ge­nèvre, a été entre­prise par l’armée ita­lienne à par­tir de 1898, dans la logique de l’adhésion du royaume d’Italie à l’alliance des deux empires alle­mand et aus­tro-hon­grois, pour for­mer ain­si la Tri­plice, et dans l’axe d’une poli­tique anti-fran­çaise du chef de gou­ver­ne­ment Fran­ces­co Cris­pi, depuis ses décep­tions en Tuni­sie lors de la décen­nie ‑pré­cé­dente. Douze ans d’effort seront néces­saires, pour ouvrir une route mili­taire de près de 15 km depuis Fenils, ara­ser et apla­nir le som­met de six mètres, ain­si rame­né à… 3 131 mètres d’altitude, puis pour y édi­fier une ligne de huit tou­relles de maçon­ne­rie de 12 mètres de haut… pour dépas­ser le record de hau­teur de neige consta­tée au som­met. Dès 1906 y avaient été appor­tés des canons de marine de 149 mm de dia­mètre et de calibre -(lon­gueur du tube) 36, bien que l’appellation offi­cielle fût 14935 pour… « trom­per l’ennemi » : la por­tée théo­rique dépas­sait les 18 km, mais en pra­tique de confort pour le fonc­tion­ne­ment des tou­relles 16 km seule­ment, ce qui ‑per­met­tait quand même de com­plè­te­ment iso­ler Brian­çon de son aval. Des jupes blin­dées rela­ti­ve­ment légères et asser­vies au canon tour­naient à l’intérieur des tours en maçon­ne­rie, car il était sup­po­sé qu’aucun obus ne pou­vait les atteindre. Elles étaient des­ser­vies par sept hommes pour chaque pièce. Case­mates et soutes à muni­tions avaient été taillées dans le roc.


Lire aus­si : L’exploit du lieu­te­nant Miguet (31), quelques précisions

Commentaire

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PUJOrépondre
29 août 2023 à 10 h 24 min

Qu’est deve­nu le LT Miguet après la bataille de 1940 ? a‑t-il été hono­ré pour ce véri­table exploit mili­taire et scientifique ?

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