Focus sur le monde des paiements en France

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°762 Février 2021
Par Julien LASALLE

Julien Lasalle, chef du ser­vice de la sur­veillance des moyens de paie­ment scrip­tu­raux de la Banque de France et secré­taire de l’Observatoire de la Sécu­ri­té des Moyens de Paie­ment (OSMP), nous en dit plus sur les dif­fé­rentes évo­lu­tions des paie­ments en France et les sujets prio­ri­taires qui vont le mobi­li­ser en 2021.

Quelles sont les grandes tendances qui ont fait évoluer les modes de paiement en France au cours des dernières années ?

On a ten­dance à oublier qu’au début des années 2000, le chèque était encore le moyen de paie­ment scrip­tu­ral (hors espèces) le plus uti­li­sé par les Fran­çais. En quelques années, il a cédé sa place à la carte, avant d’être dépas­sé par le pré­lè­ve­ment et le virement.

Dans les années 2010, le monde des paie­ments a évo­lué sous l’impulsion du e‑commerce qui a connu un déve­lop­pe­ment signi­fi­ca­tif, entraî­nant dans son sillage une forte pro­gres­sion des paie­ments par carte sur inter­net, qui repré­sentent aujourd’hui envi­ron 20 % des paie­ments par carte. Plus récem­ment, nous assis­tons depuis 2015, à une explo­sion du sans contact, un mode de paie­ment qui est venu concur­ren­cer les espèces à son lan­ce­ment, sur les petits mon­tants jusqu’à 20 euros. Un pla­fond qui a été por­té à 30 euros en 2017.

En paral­lèle, le vire­ment et le pré­lè­ve­ment, moder­ni­sés au début des années 2010 par le pas­sage au stan­dard euro­péen SEPA, ont connu une crois­sance modé­rée mais conti­nue au cours des deux der­nières décen­nies, alors que le déclin du chèque s’est accé­lé­ré, pas­sant d’une baisse de 6 % par an au début des années 2010 à 10 % sur les deux der­nières années.

La crise de la Covid-19 a également fait évoluer les habitudes de paiement des Français. Qu’en est-il ? S’agit-il d’évolutions pérennes selon vous ?

Le 1er confi­ne­ment (de mars à mai 2020) a pris de court toute l’économie, entraî­nant un effon­dre­ment des flux sur tous les ins­tru­ments de paie­ment, y com­pris pour le e‑commerce même si ce der­nier seg­ment a été pro­por­tion­nel­le­ment moins affecté.

Avec le décon­fi­ne­ment et le redé­mar­rage des com­merces de proxi­mi­té, on a obser­vé une reprise d’un rythme de crois­sance presque équi­valent à celui d’avant la crise pour tout ce qui est de la carte, du vire­ment et du pré­lè­ve­ment. Cepen­dant, deux modes de paie­ment sont res­tés dura­ble­ment affec­tés : les retraits et les chèques qui ont eu une baisse record de ‑60 % pen­dant le confi­ne­ment et qui res­tent aujourd’hui très en retrait : jusqu’à ‑20 % par rap­port à leur niveau d’avant-crise. Ces deux modes de paie­ment ont été délais­sés du fait de la crise, avant tout pour des pré­oc­cu­pa­tions sani­taires dans la mesure où ils néces­sitent un contact phy­sique, ce qui a inci­té les uti­li­sa­teurs à bas­cu­ler vers d’autres moyens de paie­ment dématérialisés.

Ces nou­velles habi­tudes ont per­du­ré après le décon­fi­ne­ment, avec deux usages qui se sont confortés :

  • le sans contact, notam­ment avec l’augmentation du pla­fond de paie­ment à 50 euros depuis le 11 mai der­nier, soit le jour du décon­fi­ne­ment. Déjà en forte crois­sance ces der­nières années, la part de ce mode de paie­ment a encore aug­men­té : par rap­port à 2019 et pen­dant toute la période entre les deux confi­ne­ments, les flux de paie­ment sans contact ont plus que dou­blé en mon­tant, et ont pro­gres­sé de plus de 50 % en nombre d’opérations ;
  • les flux de e‑commerce se sont aus­si main­te­nus à un niveau éle­vé, y com­pris en dehors des périodes de confi­ne­ment, avec une hausse des paie­ments en ligne qui a sou­vent dépas­sé les 20 % par rap­port à 2019. Cette résis­tance sou­ligne la capa­ci­té d’adaptation du mar­ché, avec de nom­breux com­mer­çants de proxi­mi­té qui ont su se conver­tir au e‑commerce, en déve­lop­pant des ser­vices de livrai­son ou de « click & collect ».

La cybersécurité est un sujet permanent dans le domaine des paiements. Comment l’appréhendez-vous ?

Leur digi­ta­li­sa­tion crois­sante, accen­tuée par la crise sani­taire, a ren­du les paie­ments plus sen­sibles aux risques de cybe­rat­taques et un peu moins sen­sibles aux risques de type vol ou perte. Cette dimen­sion est d’ailleurs très bien appré­hen­dée par la 2e direc­tive euro­péenne sur les ser­vices de paie­ment, qui a per­mis de défi­nir un cer­tain nombre d’exigences qui doivent per­mettre aux moyens de paie­ment élec­tro­niques d’être plus résis­tants à la fraude. 

En tant qu’autorité de régu­la­tion des paie­ments, nous consi­dé­rons qu’il y a 4 grands piliers qui per­mettent d’assurer la sécu­ri­té des paie­ments : l’authentification forte du payeur ; l’obligation de vigi­lance et la capa­ci­té des acteurs de la chaîne des paie­ments d’identifier les tran­sac­tions à risque ; la sécu­ri­té phy­sique et logique des trai­te­ments chez les pro­fes­sion­nels des paie­ments ; la vigi­lance des uti­li­sa­teurs quant à la conser­va­tion et l’usage de leurs moyens de paie­ment. C’est à tra­vers ces 4 piliers que nous appré­hen­dons le risque de sécu­ri­té au sens large sur les paie­ments, y com­pris pour les aspects cyber. Et il nous appar­tient de nous assu­rer auprès des acteurs de mar­ché que des efforts sont faits sur ces 4 aspects pour assu­rer dans la durée un haut niveau de confiance dans les moyens de paiement.

Où en est la France aujourd’hui par rapport à l’entrée en vigueur de la nouvelle directive européenne DSP2 ?

Notre objec­tif c’est que la France atteigne un très haut niveau de confor­mi­té à cette direc­tive dès le pre­mier tri­mestre 2021. Et là, notre prio­ri­té est d’être capable de gérer l’authentification forte du por­teur. Pour les consom­ma­teurs fran­çais, il s’agit de rem­pla­cer le tra­di­tion­nel code à usage unique trans­mis par SMS pour vali­der le paie­ment par une authen­ti­fi­ca­tion forte arti­cu­lée autour de deux fac­teurs. Dif­fé­rentes options existent, par exemple :

  • mettre en place une authen­ti­fi­ca­tion via l’application mobile ban­caire : la banque s’assure que le payeur est bien son client, car il est bien en pos­ses­sion du télé­phone enre­gis­tré et il a la capa­ci­té de déver­rouiller le paie­ment à par­tir de ce même téléphone ; 
  • com­bi­ner le code SMS et un code per­son­nel confi­den­tiel (par exemple le code d’accès à la banque en ligne), en ajou­tant un deuxième champ de sai­sie sur la page 3D-Secure. Cette solu­tion est moins fluide pour le consom­ma­teur, mais moins exi­geante en termes d’équipement, ce qui per­met de cou­vrir des clients non équi­pés d’un smart­phone récent.

Aujourd’hui, les banques sont char­gées d’équiper les por­teurs en leur pro­po­sant, et à terme en impo­sant, ces nou­velles solu­tions. Actuel­le­ment le taux d’équipement est supé­rieur à 50 %. Début 2020, il n’était que de 15 %. Ce mou­ve­ment devrait s’intensifier au cours du pre­mier tri­mestre 2021.

En paral­lèle, les com­mer­çants sont désor­mais tenus d’utiliser un canal per­met­tant l’authentification du payeur par sa banque. Tech­ni­que­ment, cela sup­pose de recou­rir de façon qua­si-sys­té­ma­tique à un pro­to­cole de type 3D-Secure, per­met­tant d’associer les dif­fé­rents domaines par­ti­ci­pant au paie­ment. Et pour obli­ger les com­mer­çants qui res­te­raient réti­cents à se mettre en confor­mi­té, nous avons mis en place un dis­po­si­tif qui force les tran­sac­tions à deve­nir conformes à la DSP2 : depuis octobre 2020, au-delà de 2 000 euros, une tran­sac­tion qui n’a pas fait l’objet d’une demande d’authentification doit être reje­tée par la banque. Ce seuil a été abais­sé à 1 000 euros le 5 jan­vier 2021, et le sera ensuite à 500 euros le 15 février.

Quels sont les chantiers qui vont vous occuper en 2021 ?

À court terme, la pre­mière prio­ri­té est de fina­li­ser la migra­tion DSP2 au pre­mier semestre 2021, confor­mé­ment aux attentes de la règle­men­ta­tion et des auto­ri­tés européennes.

Puis, sur l’évolution des paie­ments au sens large, on a deux grandes prio­ri­tés qui impliquent le mar­ché fran­çais et le mar­ché euro­péen à plus long terme :

  • sou­te­nir le pro­jet EPI (Euro­pean Pay­ments Ini­tia­tive) lan­cé à l’été 2020 par un consor­tium de banques issues de 5 pays euro­péens dif­fé­rents concer­nant la mise en place de solu­tions de paie­ment euro­péennes qui vise à offrir un stan­dard de paie­ment paneu­ro­péen solide et à même de consti­tuer une alter­na­tive à l’hégémonie des réseaux de carte inter­na­tio­naux sur les paie­ments du quo­ti­dien. Ce pro­jet per­met ain­si de répondre à des enjeux de sou­ve­rai­ne­té, d’indépendance et d’autonomie euro­péennes. En tant qu’autorité publique, notre rôle est d’encourager, de faci­li­ter et de fédé­rer le mar­ché autour de cette ini­tia­tive privée ;
  • explo­rer davan­tage le concept de mon­naie numé­rique de banque cen­trale. Il y a eu beau­coup de com­mu­ni­ca­tion sur ce sujet de la part de la banque cen­trale euro­péenne, qui a d’ores et déjà lan­cé une consul­ta­tion publique et des expé­ri­men­ta­tions. L’idée est de cer­ner la vraie uti­li­té d’offrir une nou­velle forme de mon­naie émise par les banques cen­trales – à l’instar des billets – qui vien­drait com­plé­ter les formes de mon­naie exis­tantes tout en consti­tuant une réponse à l’émergence des cryp­to-actifs et sta­ble­coins voués à une fonc­tion de paie­ment por­tés par des acteurs pri­vés (tels que Face­book avec Libra/Diem) ou des puis­sances étran­gères (tel que le e‑yuan chi­nois) ; mais il s’agit aus­si d’analyser les risques induits (sur la poli­tique moné­taire et la sta­bi­li­té finan­cière en par­ti­cu­lier) et donc d’identifier les mesures per­met­tant de les diminuer.

C’est une approche encore très explo­ra­toire à ce stade : c’est un champ com­plè­te­ment inédit qu’il fau­dra défri­cher et sur lequel l’interaction avec les dif­fé­rents acteurs du mar­ché est une néces­si­té absolue. 

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