pédagogie haut potentiel

Pétillances cognitives et musicales des enfants HP Les évocations d’un pianiste pédagogue

Dossier : DouanceMagazine N°762 Février 2021
Par Robert KADDOUCH

Par­ta­ger la musique avec de (très) jeunes enfants HP : un iti­né­raire en plu­sieurs évo­ca­tions pour décou­vrir la « belle intelligence ».

Cet article est la ver­sion longue de l’ar­ticle publié dans la ver­sion papier de La Jaune et la Rouge n° 762, février 2021, consa­cré à la Douance.

Je ne sais pas si je suis un adulte à haut poten­tiel (HP) et je ne tiens pas par­ti­cu­liè­re­ment à le savoir, même si Arielle ADDA, pion­nière, en France, de la détec­tion des HP, m’avait invi­té à pas­ser les tests de QI pour adhé­rer au MENSA (orga­ni­sa­tion dont les membres ont un QI éle­vé). Ce sont les parents de plu­sieurs élèves HP qui fré­quentent mes écoles de musique pari­siennes, place Vic­tor Hugo et place Per­eire, qui m’avaient deman­dé de me rap­pro­cher de cette psy­cho­logue pour qu’elle puisse affi­ner les tests de QI que leurs enfants avaient pas­sés dans son cabi­net. Cepen­dant deux anec­dotes m’ont ame­né à me poser des ques­tions sur mon éven­tuelle douance.

Pre­mière anec­dote : après une de mes confé­rences à Val­bonne auprès de dif­fé­rents res­pon­sables d’associations et ins­ti­tu­tions rece­vant des enfants HP (AFEP, ANPEIP), une neu­ro­psy­chiatre à qui je rela­tais mes cours auprès de jeunes enfants HP, remar­quant qu’ils m’agrippaient ten­dre­ment la jambe à la fin du cours pour m’exprimer leur atta­che­ment et leur affec­tion, s’exclama : « Mais les zèbres recon­naissent les zèbres ! » (Dans le jar­gon à la mode, des parents, des édu­ca­teurs et des HP, le « zèbre » est un HP.) Évi­dem­ment, cette remarque m’interpella ! « Suis-je un zèbre ? »

Vers la découverte de la belle intelligence

Deuxième anec­dote : alors que je ter­mi­nais pré­ci­pi­tam­ment une confé­rence qui avait duré plus de trois heures au labo­ra­toire Binet de psy­cho­lo­gie du déve­lop­pe­ment du pro­fes­seur Oli­vier Hou­dé à la Sor­bonne, plu­sieurs membres de son équipe de recherche (Gin­dev) avaient un train à prendre et il me fal­lait accé­lé­rer mon sujet, dont j’avais mal­adroi­te­ment géré la durée.

Après une vidéo dans laquelle je montre Théo­dore, un enfant de quatre ans et demi, HP, bafouillant de plai­sir en me deman­dant de trai­ter musi­ca­le­ment (par une com­po­si­tion musi­cale) chaque élé­ment du tableau pério­dique des élé­ments de Men­de­leïev qu’il connais­sait par cœur, je me mis à bégayer car je vou­lais tout dire en très peu de temps. Et la remarque fusa de la bouche d’Olivier Hou­dé : « Robert fait comme Théo­dore, son esprit va trop vite ! » En un éclair, je vis défi­ler tout ce que j’expliquais aux enfants a HP se mettre en paral­lèle avec ma propre expé­rience. Com­ment avais-je pu pas­ser à côté d’une consta­ta­tion aus­si évidente ?

Quoiqu’il en soit, et en toute humi­li­té, je joue et enre­gistre au pia­no avec des musi­ciens très exi­geants (Gary Pea­cok, Mar­tial Solal…), les phi­lo­sophes m’informent que mon concept péda­go­gique de Conduc­ti­bi­li­té, en droite ligne de la phi­lo­so­phie fran­çaise, de Maine de Biran à Berg­son ou Simon­don, pour­rait même expli­quer une énigme Berg­so­nienne qui est celle des « points brillants », les neu­ro-scien­ti­fiques voient dans ma démarche, la vali­da­tion de cer­taines de leurs hypo­thèses et récem­ment, un Pro­fes­seur en neu­ro­bio­lo­gie, à l’université d’Oxford, pense, à la lec­ture de mon ouvrage « Deux études de cas, pour une autre péda­go­gie », que mon tra­vail édu­ca­tif auprès des autistes met le doigt sur le fonc­tion­ne­ment des neu­rones pyra­mi­daux de la couche 5 du cer­veau (confé­rence « Lear­ning is Crea­ting », 14 février 2019, audi­to­rium Quad Gar­den, St John’s Col­lege, Oxford).

En conclu­sion de ce ques­tion­ne­ment, et même si je pense que le fait d’être HP me per­met­trait de mieux com­prendre, donc de mieux aider mes élèves HP, ma convic­tion est que je ne suis pas HP, mais je le suis « deve­nu » par mon dis­po­si­tif péda­go­gique, aigui­sé à force de dia­logues avec les bébés, qui m’a per­mis de créer des tech­niques per­met­tant de main­te­nir, de déve­lop­per et d’adapter aux plus grands et par­ti­cu­liè­re­ment aux enfants à HP, le modèle syner­gique des tout-petits.

Présentation du plan spiralaire « du coq à l’âne »

Après de longues hési­ta­tions, j’ai déci­dé de vous faire part de mon expé­rience avec mes élèves à haut poten­tiel, enfants, adultes ou seniors, sous forme de tableaux, de réflexions diverses et diver­si­fiées, d’épisodes, de flashes, d’images.

Cette pen­sée lisse (cf. évo­ca­tion 2, « le tou­cher du pilote »), intui­tive, carac­té­rise sou­vent les HP qui « voient » tout de suite, d’abord, et qui essaient d’expliquer dans un second temps, si, par cas, on le leur demande !

« L’explication-prétexte » (cf. évo­ca­tion 8, « l’explication-prétexte, comme les ailes du papillon ») est sou­vent, d’ailleurs, une tor­ture pour l’enfant à HP qui n’a aucune idée de la manière dont il s’y est pris pour par­ve­nir au bon résul­tat, cela le sou­cie peu, à vrai dire, puisqu’il voit et per­çoit le résul­tat comme une réa­li­té indis­cu­table Cet état de fait est une des rai­sons pour les­quelles les HP sont sou­vent incom­pris des pro­fes­seurs ou des col­lègues de tra­vail, car ils n’utilisent pas les longues stra­té­gies de rai­son­ne­ment clas­siques pour par­ve­nir à un résul­tat, celui-ci s’impose immé­dia­te­ment par un effet de syner­gie perceptivo-intellectuelle.

Je ne sau­rais trop rap­pe­ler les images et per­cep­tions sen­so­rielles diverses des grands cal­cu­la­teurs, des cher­cheurs, des scien­ti­fiques, tel le célèbre ascen­seur d’Einstein qui lui a mon­tré quelle voie prendre dans ses recherches. Je réser­ve­rai d’ailleurs, une évo­ca­tion à la synes­thé­sie, c’est à dire à la capa­ci­té de fusion­ner les dif­fé­rentes per­cep­tions : goû­ter les cou­leurs, voir les sons, des­si­ner des musiques, res­sen­tir la per­son­na­li­té des chiffres …

Volon­tai­re­ment donc, je pré­sen­te­rai sept évo­ca­tions en adop­tant une ordon­nance « du coq à l’âne », appa­rem­ment énig­ma­tique, qui deman­de­ra au lec­teur l’effort de recen­tra­tion néces­saire à la per­cep­tion de ce que j’admire tous les jours dans mes cours de musique, comme si je contem­plais un beau pay­sage : la « belle intelligence ».


REPÈRES

Robert Kad­douch est un pia­niste concer­tiste, péda­gogue, cher­cheur et écri­vain fran­çais. Il est le concep­teur de la « péda­go­gie Kad­douch » dont le concept de conduc­ti­bi­li­té a été pré­sen­té plu­sieurs fois à l’Université d’Oxford. Il a fon­dé en 2019 le Centre de recherche en péda­go­gie, musique et créa­tion (CRPMC).


Évocation 1 – La belle intelligence
Un psychanalyste en maternelle

La belle intel­li­gence, c’est, par exemple, Ulysse, 3 ans et demi, qui, en s’asseyant devant le pia­no pour com­men­cer son cours, me raconte sa jour­née de mater­nelle. Il m’explique que Jason, un élève de sa classe, pose des pro­blèmes à ses cama­rades et à la maî­tresse, ce qui est très embê­tant, dit-il ! Je lui réplique alors : « que faire, tu as une idée ? » Sa réponse fut stu­pé­fiante : « S’il fait des bêtises, c’est que quelque chose ne va pas, alors je parle avec lui pour qu’il me dise ce qui l’embête, je suis sûr qu’il ira mieux après et qu’il ne fera plus de bêtises ! » Ne venons-nous pas d’assister à l’ontogenèse de la psy­cha­na­lyse ? à la pal­pi­ta­tion d’une « belle et bonne intel­li­gence » ? Ulysse s’est révé­lé, après des tests de QI, être un enfant à très haut potentiel.

Évocation 2 – La « pensée lisse »
Le toucher du pilote

Pour l’enfant HP, en oppo­si­tion avec les pro­cé­dés d’apprentissage clas­siques, le tout pré­cède les par­ties. Com­prendre le méca­nisme d’accession à l’information repré­sente pour lui une acti­vi­té en soi, indé­pen­dante de l’utilisation ordi­naire et exclu­sive que l’on en fait habi­tuel­le­ment, comme moyen. En effet, le HP a le goût de l’explication, du rai­son­ne­ment qu’il appré­cie pour sa beau­té intrin­sèque et non uni­que­ment comme un pas­sage obli­gé vers la com­pré­hen­sion d’une idée. Ensei­gner à des HP demande d’avoir sai­si ce trait fon­da­men­tal de leur pensée.

Alors que je com­men­çais à explo­rer ce dis­po­si­tif avec mes élèves, j’eus l’occasion de l’expérimenter sur moi-même, lors du début de mon ins­truc­tion de pilote d’avion. Il s’agissait alors d’acquérir la tech­nique la plus sub­tile qui soit, celle de l’arrondi puis du tou­cher pour réa­li­ser la déli­cate opé­ra­tion qu’est l’atterrissage. Pour cela, plu­sieurs tours de piste étaient néces­saires, enchaî­nant décol­lage, vent tra­ver­sier, approche, finale et atter­ris­sage avec un nombre incal­cu­lable de réglages et pro­cé­dures enva­his­santes : réchauf­fage car­bu, un cran de volet, deux crans de volet, réduc­tion des gaz, pente, pour ter­mi­ner avec un tout petit mou­ve­ment du poi­gnet sur le manche, qui per­met à l’avion de refu­ser le sol et de décro­cher à la bonne hau­teur pour se poser. Des heures d’entraînement sont néces­saires pour acqué­rir la flui­di­té néces­saire à cette opé­ra­tion ! Alors il me vint une idée : si j’imaginais que je posais l’avion sur la piste comme je touche mon cla­vier pour pro­duire un son qui trans­po­se­rait et « engram­me­rait » les mêmes carac­té­ris­tiques phy­siques et per­cep­tives que l’arrondi, un son qui don­ne­rait au corps la même sen­sa­tion que l’arrondi : je devais pou­voir faire cela ?

“Le HP a le goût du raisonnement
qu’il apprécie pour sa beauté intrinsèque.”

Éton­nam­ment, toutes les pro­cé­dures tech­niques com­men­cèrent à s’aligner en cas­cade, tout deve­nait évident et je fis un atter­ris­sage qu’il m’aurait fal­lu des mois de tra­vail à affi­ner, sans ce pro­cé­dé. En fait, je venais de pui­ser dans mes per­cep­tions expertes de pia­niste la capa­ci­té à réa­li­ser l’arrondi. Et mon ins­truc­teur de s’exclamer : « Com­ment tu as fait ça ? » Je com­pris sou­dain que la pos­ture d’apprentissage était bonne, ce fut la nais­sance offi­cielle de la « pen­sée lisse ».

Évocation 3 – La note qui n’existait pas !
La magie de la reconnaissance

New York, 2015, dans les stu­dios d’enregistrement Ava­tar, près de Cen­tral Park. Je com­mence à enre­gis­trer avec le contre­bas­siste Gary Pea­cock, un musi­cien de légende dont j’écoute les enre­gis­tre­ments avec Miles Davis, Paul Bley, Bill Evans… depuis que j’ai 5 ans. Je savais que ces jour­nées d’enregistrement seraient d’une grande inten­si­té et j’étais convain­cu qu’avec un génie comme Gary, nous par­vien­drions à pro­duire de beaux albums. Mais ce que j’étais loin d’imaginer, c’est la prise de conscience que génè­re­rait cette ren­contre, chez le musi­cien et le péda­gogue que je suis. Je vais vous faire part de cette expérience.

Dans les pre­mières minutes de nos échanges impro­vi­sés, avec Gary Pea­cock, mes mains lais­sèrent appa­raître un son par­ti­cu­lier, joué à une cer­taine inten­si­té, une dyna­mique, un timbre, une har­mo­nie inso­lite. Ce son, je l’avais enten­du dans mes rêves pen­dant plu­sieurs années avant qu’il n’apparaisse dans mon jeu pia­nis­tique. À chaque fois que je jouais ce son, ma décep­tion était grande car les musi­ciens avec les­quels je me pro­dui­sais ne l’entendaient pas (sauf Mar­tial Solal). Un jour, je me mis même à pen­ser que mes rêves sonores étaient des fan­tasmes et qu’ils ne révé­laient abso­lu­ment pas de vraies idées musicales.

« Ce son, je l’avais entendu dans mes rêves pendant plusieurs années avant qu’il n’apparaisse dans mon jeu pianistique. »

Mais, sur­prise ! quand Gary enten­dit ce son, il le trai­ta immé­dia­te­ment comme un joyau qu’il s’empressa de ser­tir. Quelle fut alors mon émo­tion quand je sen­tis la pré­sence de mon son dans son jeu, Gary venait de me dire qu’il le recon­nais­sait, il venait de vali­der son exis­tence, accom­pa­gnant son mou­ve­ment musi­cal d’un sou­rire aux anges dont il détient le secret. Ce sou­rire vou­lait dire : « Cette note est par­ti­cu­lière, où l’as-tu trouvée ? »

D’ailleurs, dès que nos enta­mèrent une seconde prise de son, il vint près de moi et me ques­tion­na pour que je lui explique quel rap­port cette note entre­te­nait avec son accord sous-jacent et son contexte struc­tu­rel. Devant la lon­gueur de mes expli­ca­tions son regard atten­dris­sant me disait : « Quoi que tu m’expliques, j’ai enten­du, ta note est belle, c’est tout ! » Et de pour­suivre en lui disant : « Gary, this sound is a joke ! » Il me fit alors un beau smi­ley sur la par­ti­tion et nous par­tîmes d’un éclat de rire.

Main­te­nant ce son existe car il l’a enten­du. À par­tir de cet ins­tant, ce n’était plus un rêve, mais une réa­li­té, ma réa­li­té qui avait pu être la sienne avant de deve­nir notre réa­li­té. Il a per­mis à cette réa­li­té d’émerger, d’exis­ter, en la reconnaissant.

Cette expé­rience m’a per­mis de mieux com­prendre, chez les HP, la fra­gi­li­té née de l’émergence d’idées pour les­quelles ils n’ont par­fois ni les mots, ni les contextes, ni les inter­lo­cu­teurs qui leur per­met­traient de les expri­mer, de les expo­ser et de les faire exister.

Évocation 4 – La voiture de pompiers
Les « pétillances constructives »

L’enfant HP mani­feste ce que je nomme des « pétillances construc­tives » et que les édu­ca­teurs et les parents nomment sou­vent agi­ta­tion, excitation.

Voi­ci un exemple des « pétillances » que j’ai observées chez les très jeunes enfants qui se sont révé­lés HP, quelques années après. Ces « pétillances construc­tives » mani­festent, chez ces enfants, une capa­ci­té à gérer plu­sieurs flux de pensée à la fois lorsqu’ils se trouvent dans un état d’éveil total, et qui jusqu’ici auraient pu être interprétées comme de l’instabilité, ou, chez un adulte, pour de l’ébullition créative ou pseudo-créative.

Lors d’un de mes cours d’éveil musi­cal, je raconte une petite his­toire à un bébé de quinze mois au sujet d’un oiseau vivant dans la forêt, puis me munis d’un appeau, cet ins­tru­ment avec lequel, tra­di­tion­nel­le­ment, le chas­seur imite le cri des oiseaux et qui pro­duit ce son carac­té­ris­tique : « cou­cou, cou­cou ». Il est dès lors frap­pant de consta­ter que le bébé, instantanément, semble cher­cher quelque chose. Contrai­re­ment aux appa­rences, ce n’est pas l’oiseau qu’il cherche, l’enfant s’est déjà pla­cé au-delà des appa­rences. Il désigne en fait l’étagère pla­cée au-des­sus du pia­no, qui se trouve être gar­nie d’une cin­quan­taine de petites peluches et divers objets.

Il faut com­prendre que cette étagère fait par­tie d’un « milieu » où l’on va cher­cher, comme on le ferait dans une bibliothèque, le livre dont on a besoin au moment oppor­tun. Le bébé montre effec­ti­ve­ment quelque chose : il pointe une voi­ture de pom­piers qui peut, elle aus­si, émettre un son : « pin-pon, pin-pon ».

« L’interaction de deux éléments mobilise des ressources plus profondes que le simple fait d’identifier un oiseau au son de son chant. »

Que signi­fie cette scène ? Par­lons donc péda­go­gie, mais en insé­rant la réflexion péda­go­gique dans l’analyse des niveaux de pen­sée et d’éveil dont les enfants sont capables. Le com­por­te­ment de cet enfant dépasse lar­ge­ment le cadre des pro­duc­tions que peut engen­drer par lui-même le jeu des inter­ac­tions enfant-adulte. Il y a bien dans ce com­por­te­ment, un phénomène rela­tif à la concep­tua­li­sa­tion. L’enfant a bien enten­du l’oiseau, mais il n’y a pas que l’oiseau qui fait « cou-cou » (tierce majeure des­cen­dante, par exemple : si-sol) « La voi­ture de pom­piers le fait aus­si (pin-pon : tierce majeure des­cen­dante) – pense l’enfant – j’en ai vu une tout à l’heure, où est-elle… Ah ! elle est là ! »

L’interaction de deux éléments, que sont l’oiseau et la voi­ture de pom­pier, mobi­lise des res­sources plus pro­fondes que le simple fait d’identifier un oiseau au son de son chant, et afin que les bien­faits de cette mobi­li­sa­tion ne s’effacent pas, il faut que celle-ci soit ensuite l’objet d’un trai­te­ment pédagogique appro­prié. Nous pou­vons ima­gi­ner celui-ci sous la forme d’une his­toire que l’adulte offri­rait en réponse à l’enfant et qui pour­rait revêtir la tour­nure sui­vante : « Le petit oiseau sur la branche est tombé, il s’est cassé la patte, les pom­piers sont venus, …» ceci afin de retrou­ver le contexte initial.

Voi­là donc ce qui per­met de par­ler d’un pro­ces­sus proche de la concep­tua­li­sa­tion : les flux de pen­sée tendent à se ren­con­trer, à se com­bi­ner. Cela ne signi­fie pas que cette inté­gra­tion ne néces­site aucune aide : au contraire, sans inter­ven­tion péda­go­gique, les deux flux de pen­sée occu­pe­raient des posi­tions paral­lèles qui leur inter­di­raient de se rejoindre. L’enfant a la capa­ci­té́ de par­tir d’un point don­né, d’entamer le rai­son­ne­ment, mais il ne peut déve­lop­per seul l’aptitude à renouer les fils qui lui per­met­tront d’achever ce raisonnement.

Evocation 5 – Voyage en train
La pédagogie de l’improvisation musicale dans la gestion des flux de pensée

L’impact, pour les enfants à HP, de la péda­go­gie de l’improvisation musi­cale dans la ges­tion des flux de pen­sée… « comme, en train, le voya­geur suit des yeux deux fils élec­triques qui se croisent, s’évitent, s’embrassent dans leur danse voluptueuse. »

On constate chez les enfants HP, l’émergence de phénomènes simi­laires à la voi­ture de pom­piers, dans le domaine de l’improvisation. En effet si l’enseignant pro­pose à l’élève une for­mule mélodique ou ryth­mique, et que ce der­nier tente d’en déduire des varia­tions judi­cieuses, il ne pour­ra par­ve­nir seul à l’intégrer par la suite à l’idée musi­cale qui lui avait ser­vi de point de départ, il ne pour­ra pas en effet réunir ces deux courants.

Lui don­ner les moyens de pou­voir intégrer les deux idées musi­cales, c’est contri­buer au développement de son intel­li­gence, de sa capa­cité à relier les choses entre elles, de découvrir que toute chose peut être reliée à une autre. C’est ce que l’on peut appe­ler l’intelligence affec­tive (affec­tare en latin, veut dire relier)…

Recon­nais­sons que le niveau auquel en sont actuel­le­ment cer­tains bébés est véritablement impres­sion­nant et jus­ti­fie le fait que l’on peine à ima­gi­ner ce que cela pour­rait don­ner au niveau de l’adulte.

Ce trai­te­ment ludique d’une plu­ra­lité de flux apparaît de nou­veau lorsque le tout jeune enfant, ou le bébé, joue une note incon­grue : « Et celle-là, me dit-il avec ses yeux, qu’est-ce que tu vas en faire ? » On peut aus­si par­ler ici de plu­sieurs « flux », cela signi­fie qu’au sein d’un même mou­ve­ment, les enfants sai­sissent qu’un élément est extérieur au contexte, et ils sai­sissent en même temps que cet élément-là pour­rait être ramené au contexte, certes ils n’ont pas la solu­tion, ils ne savent pas com­ment le faire, mais ils aime­raient pou­voir y par­ve­nir, et ils attendent pour cela une aide de leur ensei­gnant. Ce qui per­met au pédagogue une inter­ven­tion per­ti­nente, c’est de réa­li­ser qu’une inca­pa­ci­té par­tielle de l’enfant n’implique pas une inca­pa­cité génétique ou développementale – bien au contraire, on se situe alors dans des zones peuplées de pos­sibles, de possibilités immédiatement explorables.

Don­ner les moyens de pou­voir intégrer les deux idées musi­cales, c’est contri­buer au développement de leur intel­li­gence comme s’il y avait déjà un tri effec­tué entre, d’une part, ce qu’ils veulent et sentent à leur portée, et d’autre part, ce qu’ils ne veulent pas. Et dans ce « tri », nous pou­vons dis­tin­guer deux niveaux :

  • un niveau immédiat : ima­gi­nons que l’adulte parle d’un pois­son, que l’enfant désigne effec­ti­ve­ment un pois­son, et qu’ensuite en conti­nuant de par­ler de ce pois­son, l’enfant en vienne à désigner un oiseau. Com­ment le pédagogue peut-il réagir face à ce chan­ge­ment ? Et bien, par exemple, en intro­dui­sant l’histoire de Mer­lin, muni de sa baguette magique : après avoir été un pois­son, celui-ci s’est trans­formé en oiseau, l’on pour­rait désormais s’interroger sur quelle pour­rait être sa pro­chaine métamorphose ? De fil en aiguille, nous intégrons ici tous les pos­sibles par l’intervention d’une baguette magique qui est, de fait, un élément de médiation sans qu’il y ait transition.
  • un second niveau de signi­fi­ca­tions : ces dernières vont en effet s’articuler sur celles qui furent établies en pre­mier. Les enfants sont très ouverts à ce genre de système. C’est cet élément qui somme la pédagogie d’avancer, en abor­dant de front la ques­tion de savoir com­ment cela peut être traité et quelles sont les procédures sus­cep­tibles de contri­buer au développement de ces connexions synap­tiques vir­tuelles, qui font de l’enfant un être « prêt à tout », prêt à intégrer n’importe quel élément. A par­tir de l’un des signes repérés comme l’intermodalité (cf. évo­ca­tion 6, la synes­thé­sie), à savoir cette dis­po­si­tion du bébé à conce­voir des rap­ports abs­traits (cette capa­cité de reconnaître par la vue un objet qu’il aurait palpé les yeux fermés et dont il n’aurait par conséquent aucun sou­ve­nir visuel mais seule­ment le sou­ve­nir tac­tile de sa forme), on peut com­prendre que dans le cas de notre précédent exemple sur l’appeau et la voi­ture de pom­pier, l’enfant dépasse le pre­mier niveau d’association, puisque il y retrouve, par la vue, un objet ( la voi­ture de pom­pier) à par­tir d’un son (le chant d’oiseau émis par l’appeau). Il établi donc un rap­port entre la vue et le flux sonore sur la base d’un scénario, d’un jeu d’actions, où aspects visuels et sonores fonc­tionnent ensembles. Et l’arrière-plan que forment ces actions montre, au fond, que le moteur de tout cela est l’activité, la pro­duc­tion d’un lien, ou encore ce que l’on nomme création. Il existe ici une pro­duc­tion au sens strict, car au départ, les deux flux en présence diver­geaient nota­ble­ment : l’un était consti­tué par l’histoire de l’appeau, l’autre par la voi­ture de pompiers.

Et l’une des conclu­sions que l’on peut en tirer quant à la nature des dis­po­si­tions actuelles des tout jeunes enfants, c’est qu’un com­por­te­ment « divergent », en ce sens que l’on pour­rait y per­ce­voir comme une forme d’instabilité, de ten­dance à la dis­per­sion, témoigne en réalité d’une acti­vité intérieure vouée à la recherche et à la pro­duc­tion d’une situa­tion cohérente.

Le com­por­te­ment des bébés, face au pia­no, et à tout ce qui est accroché au des­sus, n’est pas le signe d’une sorte de ten­dance au « zap­ping » per­ma­nent, mais la preuve de la recherche per­ma­nente d’un sens à construire, reliant les pro­pos, les actes, les images que je sus­cite chez eux, et ce qui, dans le « milieu » matériel, peut cor­res­pondre à leur dyna­mique intérieure.

D’où l’importance de conce­voir ce « milieu » comme la source d’un poten­tiel de sur­prises calculées, ceci afin de per­mettre à l’enfant d’objectiver son envi­ron­ne­ment. La sur­prise n’est pas un acci­dent, mais un élément du milieu. D’où ces moments que l’on pour­rait qua­li­fier de « pédagogie du coq à l’âne » consis­tant par exemple à pas­ser d’une his­toire à une autre. La recherche de l’élément conduc­teur, qui se rat­tache à cette même recherche du sens, de la conver­gence, trace le che­mi­ne­ment de l’éveil de l’enfant.

Une fois encore, on se trouve ici face à un plai­sir qui rend intel­li­gent, au sens étymologique du terme (construire des liens, en latin inter-ligere). L’incohérent devient cohérent. Face à une his­toire incohérente, la cohérence pro­vient du fait que l’enfant s’approprie cette his­toire, tout ceci peut se réduire à la notion de tra­jec­toire. Il faut accep­ter, de la part de l’adulte res­pon­sable, une atti­tude de jon­glage per­ma­nent. Mais qu’il s’agisse de l’enseignant ou de l’un des parents, il est capi­tal de faire sen­tir son adhésion aux agis­se­ments de l’enfant.

La première réaction de l’enfant, dans ces situa­tions, est la mani­fes­ta­tion d’un étonnement qui per­met d’induire un éveil de sa part. Cet étonnement repose sur l’attrait que revêt pour lui l’apparition d’éléments qui semblent non cano­niques, non socia­le­ment recon­nus, tels que l’emploi volon­taire par l’adulte de termes inventés : « On va faire une rous­pet­te­rie ». Ain­si se développe pro­gres­si­ve­ment dans nos écoles, une sorte de conscience quant au fonc­tion­ne­ment du milieu.

Avec les tout-petits notam­ment, nous avons recours par­fois aux « bachi­fouillettes », cette expres­sion ren­voyant au plai­sir d’inventer des mots qui signi­fient n’importe quoi. En effet, la création nous offre le droit de bra­ver, de trans­gres­ser l’interdit. Mais c’est aus­si afin de mieux les confron­ter aux lois sociales, car nous ne devons pas oublier le fait que la musique n’existe qu’à tra­vers des liens sociaux, sans quoi il ne pour­rait exis­ter aucune « éducation par la musique ». Au lieu de deman­der à un enfant de ne plus sucer son pouce afin qu’il puisse chan­ter, je lui dis qu’il pour­ra le faire pen­dant la chan­son du pouce.

Pour le jeune enfant à HP, la révélation de son pro­jet musi­cal passe donc par le mou­ve­ment dia­lec­tique de deux types d’éléments opposés : des éléments de diver­gence et des éléments de conver­gence ; des éléments d’individuation, et des éléments de socia­li­sa­tion. Une situa­tion d’apprentissage musi­cal doit être fondée sur la com­bi­nai­son de ces deux types de ten­sions, et c’est pour­quoi elle ne peut être fondée seule­ment sur des conte­nus tech­niques programmés.

Évocation 6 – La synesthésie
Quand le cerveau s’allume comme une lanterne

Tous les enfants sont natu­rel­le­ment synes­thètes, ils « entendent les odeurs » ou « goûtent les sons ». Cette capa­ci­té est liée au fait que leur car­to­gra­phie céré­brale n’a pas encore spé­cia­li­sé les dif­fé­rentes aires. J’ai remar­qué que les HP avaient gar­dé cette capa­ci­té à mobi­li­ser tout l’appareil sen­so­riel en le cou­plant avec leurs facul­tés cog­ni­tives et la mémoire. Les HP sont syner­giques, leur IRM fonc­tion­nel pour­rait mon­trer que leur cer­veau s’allume comme une lan­terne, dès qu’une pro­blé­ma­tique se pose, de la même manière que les bébés ou les tout-petits !… Ein­stein ne disait-il pas qu’il était res­té un bébé ?


Pré­ci­sons le terme de synes­thé­sie (du grec syn, « avec » (union), et aes­the­sis, « sen­sa­tion », union, fusion des sen­sa­tions) qui est la mise en cor­res­pon­dance de deux ou plu­sieurs moda­li­tés sen­so­rielles. Un exemple célèbre de synes­thé­sie est le cla­vier colo­ré de Scria­bine. Ce com­po­si­teur voyait une cou­leur pour chaque son, pour lui le do était tou­jours rouge et le jaune. Je pré­ci­se­rai que chaque synes­thète pos­sède sa repré­sen­ta­tion colo­rée : le do n’est pas rouge pour tout le monde. La synes­thé­sie est sous-ten­due par l’activation simul­ta­née de plu­sieurs aires céré­brales. Quand l’aire de la vision est acti­vée, cha­cun va inter­pré­ter cette sti­mu­la­tion selon sa culture, sachant que le rouge pour un Espa­gnol n’a pas la même conno­ta­tion que pour un Norvégien.


Dès que mes élèves ont com­pris que je pou­vais expri­mer beau­coup de choses par des sons, que je pou­vais musi­ca­li­ser, ils ont expri­mé ouver­te­ment leurs capa­ci­tés synes­thé­siques au point d’en­trer en cours et de me deman­der comme Nina, quatre ans : « Ton­ton Robert, tu me joues la tour Eif­fel ? » On peut alors pré­sup­po­ser l’impact de la sti­mu­la­tion synes­thé­sique, liée à la mobi­li­sa­tion de la plas­ti­ci­té céré­brale, sur le déve­lop­pe­ment cog­ni­tif et la créativité.

Le com­po­si­teur Györ­gy Lige­ti, esprit uni­ver­sel, mathé­ma­ti­cien, phy­si­cien, très pro­ba­ble­ment HP, et synes­thète sans le savoir, disait : « Les sons et les contextes musi­caux m’apportent conti­nuel­le­ment à l’esprit la sen­sa­tion de cou­leur, de consis­tance et de forme visible ou même pou­vant être goû­tée. Et d’autre part cou­leur, forme, qua­li­té maté­rielle ou même idées abs­traites sur­gissent invo­lon­tai­re­ment en moi comme des concep­tions musicales. »

On remarque, dans ces obser­va­tions, l’impact d’une délo­ca­li­sa­tion, d’un trans­fert de moda­li­té sen­so­rielle, sur le pro­ces­sus créa­tif. En écou­tant comme il goûte ou en regar­dant comme il écoute, Lige­ti a conscience de l’originalité de la pro­duc­tion qui en résulte. Une rai­son de plus de sen­si­bi­li­ser les enfants, les musi­ciens pro­fes­sion­nels à cette source d’élan créa­tif qu’est la synes­thé­sie. Pour les enfants HP, il ne s’agira sou­vent pas de sen­si­bi­li­sa­tion mais d’opérationnalisation ou d’instrumentalisation de la synesthésie.

La transesthésie (terme de la Pédagogie Kad­douch) est l’action que j’opère pour musi­ca­li­ser toute chose, pour tout trans­for­mer en musique, car chaque cou­leur, chaque saveur, chaque forme possède sa musique . Par la transesthésie, un pro­fes­seur sti­mule, chez son élève, la synesthésie. Ce sont mes élèves HP qui m’ont appris à oser le défi de la transesthésie.

Evocation 7 – Vincent, le cuisinier et son steak tartare
La souffrance des HP ignorés

Vincent a débu­té le pia­no à l’âge de 75 ans.

Quand il s’est ins­crit, accom­pa­gné de son épouse, il m’a pré­ci­sé qu’il avait sui­vi quelques cours avec un autre pro­fes­seur auprès duquel il ne par­ve­nait pas à obte­nir des expli­ca­tions sur cer­taines don­nées théo­riques jugées fondamentales.

Au cours de cet entre­tien, ses ques­tions étaient tel­le­ment déca­lées et impré­cises que l’élève qui le sui­vait, ayant enten­du mal­en­con­treu­se­ment quelques bribes de conver­sa­tion, se deman­da com­ment il me serait pos­sible de répondre à une pro­blé­ma­tique si confuse. Sa curio­si­té bien­veillante le rame­nait à son métier d’enseignant, et il ne voyait pas pour l’instant, quel dis­po­si­tif je pou­vais mettre en oeuvre pour aider ce brave homme. Son ins­tinct d’éducateur était pris au vif. Il était tel­le­ment intri­gué qu’il me deman­da alors de le tenir infor­mé de la réus­site ou de l’échec d’un tel enseignement.

Ce que n’avait peut-être pas sai­si ce curieux bien­veillant, c’est que mon approche consi­dère réel­le­ment et sin­cè­re­ment que tout élève, quel qu’il soit, et quel qu’il paraît, pos­sède un poten­tiel, et des richesses qui vont le por­ter et l’élever. Il pos­sède aus­si un désir d’accomplissement sur lequel ma méthode s’appuie pour éveiller ses potentiels.

Dès les pre­miers cours, ce qui me frap­pa, c’est la vitesse à laquelle ce vieil homme dénué de culture, sans goût artis­tique par­ti­cu­lier, et d’une appa­rente super­fi­cia­li­té, inté­grait mes expli­ca­tions tech­niques sur des phé­no­mènes méca­niques, neu­ro­phy­sio­lo­giques, har­mo­niques, acous­tiques ou musi­caux. Il faut dire que dans mon ensei­gne­ment, j’ai trans­for­mé la moindre infor­ma­tion en un pro­blème de logique afin d’impliquer la curio­si­té, la créa­ti­vi­té et les forces vives de mes élèves, et non seule­ment leur mémoire.

Par exemple, j’avais expli­qué à Vincent, le méca­nisme de construc­tion des gammes Majeures (tétra­cordes) comme une fonc­tion linéaire, alors qu’il n’avait pas sui­vi ce type de cours au col­lège, l’ayant quit­té très tôt, m’a t‑il dit.

La semaine qui avait sui­vi mon cours, ce brave Mon­sieur était reve­nu avec les tétra­cordes remis au propre, mais aus­si des exten­sions à cette leçon et des ques­tions qui mon­traient une assi­mi­la­tion par­faite de toutes les données.

Après cela, je lui ai pro­po­sé des pro­jets de créa­tion musi­cale uti­li­sant autant le sys­tème de la série dodé­ca­pho­nique (Arnold Shoen­berg, XXe siècle) que la modu­la­tion tonale (arti­cu­la­tions d’accords uti­li­sés jusqu’à Debus­sy). Je me suis vite aper­çu que cet homme « buvait » la connais­sance comme s’il en avait tou­jours manqué !

Pour Noël, la pre­mière année d’étude, il m’offrit un tableau qu’il avait réa­li­sé lui-même avec beau­coup de goût et avec un savoir-faire acquis en autodidacte.

Un jour qu’il avait déchif­fré et joué pour la pre­mière fois un Blues, nous tra­vaillâmes l’interprétation, et la ques­tion fon­da­men­tale du son se posa. Alors que jusque là, dans Haydn ou Mozart, sa concep­tion du son était en adé­qua­tion avec le style, le blues posait la ques­tion de savoir qu’est ce qu’était un « beau son » ? Y a t‑il un beau son, indé­pen­dam­ment du style ? Tout son ne peut-il deve­nir beau à par­tie du moment ou il est juste, oppor­tun ? Est-ce qu’un son de « mau­vaise qua­li­té » dans un cas peut faire rayon­ner une oeuvre par son oppor­tu­ni­té, dans un autre cas ? Poser cette pro­blé­ma­tique à Vincent après quelques leçons de pia­no me paru sou­dain extra­or­di­naire, d’autant plus qu’il en était curieux et passionné !

Je m’interdis, dans ma concep­tion péda­go­gique, de don­ner quel­conque modèle de solu­tion à l’élève tant que je n’ai pas l’assurance qu’il ait bien consti­tué la matrice psy­cho­lo­gique lui per­met­tant de s’impliquer, de se syn­to­ni­ser avec l’acte de solution.

Le moyen d’aider Vincent, à ce stade-là, à résoudre la pro­blé­ma­tique de concep­tion d’un son juste, c’est à dire adap­té au style Blues, fut d’abord de lui faire sai­sir que le contexte socio-cultu­rel et la pos­ture Mozar­tienne étaient com­plè­te­ment dif­fé­rents de ceux d’un chan­teur de Blues. En effet, Blues n’est pas ancré sur les mêmes leviers expres­sifs, bien qu’il reste une expres­sion pro­fon­dé­ment authen­tique à l’instar des musiques de consom­ma­tion qu’il a générées.

A ce stade-là, mon action consti­tue ce que je nomme un « mur », cela consiste à empê­cher Vincent de repro­duire un son Mozar­tien sans mettre en cause, bien évi­dem­ment, la valeur de ce son quand il est contex­tua­li­sé. Ensuite, dans cette situa­tion-pro­blème inédite, il est impor­tant que le maître, à défaut d’une solu­tion type, offre des élé­ments de réus­site, c’est le « Mime ».

Le Mime, quant à lui, pro­jète un espace de réus­site sans impo­ser de for­mat, sachant que, pour que cet espace puisse être actif, il doit entrer en réso­nance avec les goûts et sen­si­bi­li­té pro­fonds de l’élève (son « évo­dique », dans ma terminologie).

Les obser­va­tions faites sur le com­por­te­ment glo­bal de l’élève, à savoir : sa démarche, son élo­cu­tion, le choix de ses mots, sa manière de s’asseoir au pia­no et d’engager des approches à l’information (lec­ture, impro­vi­sa­tion, inter­pré­ta­tion), l’utilisation de stra­té­gies de réso­lu­tion d’un pro­blème, ses mou­ve­ment pré­mo­teurs, comme des « filets d’air, des micro contrac­tions qui pré­cèdent l’action », vont main­te­nant m’être d’une grande uti­li­té pour envi­sa­ger un hori­zon de réussite.

Je réa­lise en un quart de seconde, ce vaste tour d’horizon et lance la méta­phore, le « nuage cog­ni­tif » : « Mais Vincent, le son du Blues, c’est comme un steak tar­tare, ne pen­sez-vous pas ? »… sans mot dire, Vincent me lance un petit regard mali­cieux et se jette sur le cla­vier, sur son Blues, et réa­lise enfin ce son rocailleux, roque, irré­gu­lier, inache­vé, typique de ce style d’expression. Un sou­rire de satis­fac­tion s’en suit, puis sou­dain cette remarque : « Com­ment saviez-vous que j’étais cui­si­nier ? », « Je ne le savais pas ! » répondis-je.

C’est alors que ce vieil homme émer­veillé de sa réus­site et conscient subi­te­ment de ses capa­ci­tés et de l’ouverture du champ des pos­sibles, me confie : « Robert, savez-vous que je me suis tou­jours fait du mal, je me suis saboté !

– Pour­quoi me dites-vous cela ?

– Je vou­lais être poète et musi­cien, mais à l’époque, per­sonne n’a vou­lu m’entendre !
Silence puis­sant
… alors j’ai tout fait pour échouer ce que l’on m’a deman­dé de réus­sir, l’internat s’en est sui­vi comme une sanc­tion, avec les bri­mades et les échecs répé­tés, le ren­voi, et la vie pro­fes­sion­nelle comme com­mis cuisinier !

– C’est un beau métier, non ?

– Oui, mais ce n’est pas celui que j’aurais vou­lu faire, alors j’ai uti­li­sé toute mon intel­li­gence à avan­cer mal­gré tout, pour ma famille. »

Vincent connait bien mes ouvrages et il me pose alors des ques­tions indi­rectes à pro­pos des enfants à haut poten­tiel (mon école pari­sienne leur a réser­vé une classe par­ti­cu­lière), évo­quant le com­por­te­ment de son petit fils, et son ins­crip­tion dans une école spé­cia­li­sée pour les enfants précoces.

Je lui relate alors des élé­ments de mon expé­rience et déve­loppe le cas de Théo­dore expo­sé dans l’ouvrage qu’il a lu.

Cet homme vient de se recon­naître haut poten­tiel. Il vient de don­ner un nom à ses souf­frances et c’est la méta­phore de son métier qui a déclen­ché une réus­site assez sou­daine et puis­sante pour qu’elle génère l’euphorie néces­saire à la clairvoyance.

Sa remarque concer­nant l’utilisation de son poten­tiel intel­lec­tuel à des fins d’auto des­truc­tion m’avait inter­pe­lé car ce com­por­te­ment est typique des hauts potentiels.

Il s’est recon­nu dans le cas de Théo­dore, ses yeux com­mencent à rou­gir et une pro­fonde détente s’en suit. Ses mains s’animent sou­dain pour se pro­je­ter vers l’objet de sa réus­site, et le Blues rayonne de ses éclats.

Évocation 8 – L’explication-prétexte
Comme des ailes de papillon

Alors que j’expliquais à un de mes élèves de douze ans le prin­cipe phy­sique des har­mo­niques sonores tel que Pytha­gore l’avait décou­vert, il m’avoue ado­rer les maths et la phy­sique et se met à me racon­ter ses pré­oc­cu­pa­tions sco­laires. Cet enfant répon­dait tou­jours juste aux ques­tions du pro­fes­seur de maths, mais sans appli­quer la pro­cé­dure recom­man­dée pour par­ve­nir au résul­tat. Aux remarques déso­bli­geantes du pro­fes­seur, l’élève lui avait res­pec­tueu­se­ment répli­qué que, si son résul­tat était juste dix fois de suite, c’était qu’il savait quand même résoudre le pro­blème. Après convo­ca­tion des parents pour inso­lence et mul­tiples remarques humi­liantes, ce jeune gar­çon vit ses notes bais­ser en même temps qu’il per­dait sa confiance en lui. Ce nou­veau suc­cès en maths-musique vint alors lui rap­pe­ler qu’il ado­rait cette discipline.

Au risque de me mêler de ce qui ne me regar­dait pas, je conseillai aux parents de contac­ter un mathé­ma­ti­cien de ma connais­sance, qui m’aidait à pré­pa­rer mes cours d’acoustique, afin qu’il essaie de faire prendre conscience à cet enfant des pro­cé­dures cog­ni­tives qu’il uti­li­sait sans le savoir, pour par­ve­nir spon­ta­né­ment au résul­tat. Après quelques cours pen­dant les­quels ce mathé­ma­ti­cien aida l’élève à loca­li­ser ses res­sources, la confiance revint, les notes remon­tèrent et le jeune gar­çon accep­ta de se plier à l’algorithme de rai­son­ne­ment qu’on lui impo­sait, ne crai­gnant plus que celui-ci ne l’emprisonne dans une seule et unique manière de faire. Cet élève était main­te­nant capable de résoudre un pro­blème dans la norme et de dire ensuite : « Mais on peut aus­si faire comme cela ! … »

“Les HP ont gardé cette capacité
à mobiliser tout l’appareil sensoriel
en le couplant avec leurs facultés cognitives et la mémoire.

Les HP ont des res­sources inouïes, mais le contexte social génère chez eux des ten­sions qui les empêchent de les mobi­li­ser. Ces che­mins sont chez eux natu­rels, mais leur voie d’accès est à l’image des ailes des papillons : il ne faut pas y tou­cher ou, plu­tôt, il faut savoir quand et com­ment il est pos­sible d’y toucher.

Un cham­pion de golf me dit un jour : « dès ma troi­sième expé­rience de golf, j’avais géné­ré le swing comme pas deux ! Devant mon agi­li­té et ma douance spor­tive, un pro­fes­seur me pro­po­sa de m’enseigner le golf. Je per­dis alors mon swing et il me fal­lut plu­sieurs mois pour retrou­ver ce que je savais déjà faire ! » Conscien­ti­ser un che­min neu­ro­nal est un défi édu­ca­tif. Pour cela, j’adopte la Péda­go­gie du Silence, soit, exa­mi­ner ce qu’il ne faut pas dire pour per­mettre à l’élève de libé­rer des res­sources. Apprendre à conscien­ti­ser et à ins­tru­men­ta­li­ser ses res­sources est un enjeu édu­ca­tif très subtil.

Évocation 9 et conclusion naïve
Le cadeau de Sasha – « Les bébés sont ce qu’ils font et ils font ce qu’ils sont »

Rares sont les pro­fes­seurs qui ont l’occasion la chance, devrais-je dire d’approcher réel­le­ment l’univers des bébés. Être ensemble avec eux impose d’être comme eux, car il n’y a pas d’échange : il y a par­tage. Le bébé n’émet pas un signe pour com­mu­ni­quer, il laisse une trace de sa pré­sence. En cela, j’ai nom­mé la com­mu­ni­ca­tion avec les bébés, la Pré­sence. La des­crip­tion de cette pos­ture a fait l’objet d’un ouvrage (note ci-des­sous), l’explication dépas­se­rait lar­ge­ment le cadre de cet article.

À l’occasion de son cin­quième anni­ver­saire, Sasha va choi­sir, avec sa maman, son cadeau dans un maga­sin de jouets qui se trouve non loin de mon école de pia­no. Une fois son cadeau choi­si, Sasha sou­haite m’acheter un jouet. Sa maman lui explique alors que je suis un adulte et que je ne joue plus avec les jouets, mais l’enfant n’est pas d’accord, rétor­quant que, au vu de la cin­quan­taine de jouets qui par­sèment la salle de classe, il est peu pro­bable que je ne les aime pas. Et puis il per­siste à dire qu’il sait que je joue entre les cours, un nou­veau jouet me per­met­tra donc de varier mes acti­vi­tés ludiques !

Com­ment Sasha peut-il pen­ser que je suis un enfant ? Com­ment peut-il ima­gi­ner que, si j’ai des jouets, c’est pour m’amuser et les par­ta­ger avec les copains dont il fait partie ?

Pro­ba­ble­ment parce que j’échange avec lui comme avec tous mes élèves qui fré­quentent mes cours depuis qu’ils sont bébés (8 mois pour les plus jeunes), grâce à la pos­ture de com­mu­ni­ca­tion de « Pré­sence », mécon­nue par « les grands ».

Si Sasha, comme d’autres enfants, a pu pen­ser que j’étais comme eux, un petit, alors qu’il voit per­ti­nem­ment ma taille et ma barbe, c’est que, mal­gré tout, il croit que je pense comme lui. Je connais, évi­dem­ment, plus de choses que lui, mais ma manière de les trai­ter n’est pas dif­fé­rente de la sienne, peut-être ? Est-ce que la curio­si­té, l’enthousiasme naïf et l’esprit de décou­verte sont les carac­té­ris­tiques per­ti­nentes qui encou­ragent les tout-petits à recon­naître leurs frères ?

Voi­là qui conforte ma démarche péda­go­gique en ce sens qu’il semble que je réus­sisse à déve­lop­per la pos­ture de Pré­sence pour com­mu­ni­quer avec eux. Cela expli­que­rait le fait que, tout au long de ces années de recherche péda­go­gique, j’ai per­çu que mon esprit gran­dis­sait en même temps que celui des enfants que je for­mais. Les hauts poten­tiels ne sont-ils pas des « grands » qui ont su gar­der la syner­gie de décou­verte des bébés ?

Mer­ci, les enfants, de m’apprendre tout cela !


Témoignage d’un bébé HP, maintenant Dr en philosophie et en sciences cognitives

Je n’ai jamais été inté­res­sé par les savoirs sco­laires, même si je n’ai jamais ren­con­tré de dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières au cours de ma sco­la­ri­té. J’ap­pre­nais et je recra­chais sans réa­li­ser de grands efforts : bon élève dans cer­taines matières, moyen dans d’autres. Le sys­tème me pré­des­ti­nait à une car­rière d’en­sei­gnant ou d’in­gé­nieur. J’op­tais dès le col­lège pour le métier de pro­fes­seur de mathé­ma­tiques. Je n’a­vais jamais besoin effec­ti­ve­ment de tra­vailler cette matière et je sou­hai­tais avoir du temps de libre pour me consa­crer à des acti­vi­tés plus plai­santes. Bref, je conce­vais l’é­cole et le milieu pro­fes­sion­nel comme une sorte de gagne pain indis­pen­sable, mais dépour­vu d’in­té­rêt en soi. J’at­ten­dais que tout cela se ter­mine au plus vite et j’al­louais mes res­sources cog­ni­tives à des exer­cices plus créa­tifs et per­son­nels : créa­tion de musiques ou d’his­toires lors de par­ties de jeu de rôle.

Je ne mani­fes­tais aucun talent par­ti­cu­lier pour celles-ci. Je n’ai d’ailleurs jamais eu de talent par­ti­cu­lier pour la musique ou l’é­cri­ture. J’ai­mais les cours de Robert, mais je rechi­gnais à jouer la moindre par­ti­tion. J’a­vais l’im­pres­sion qu’on me don­nait un modèle à repro­duire. Je choi­sis­sais tou­jours le mor­ceau le plus facile et mon niveau pia­nis­tique pié­ti­nait. Une seule chose m’in­tri­guait : l’har­mo­nie. Robert nous deman­dait à chaque fois de retrou­ver les prin­ci­pales arti­cu­la­tions de l’oeuvre à déchif­frer. Il com­plé­tait ce tra­vail par des leçons com­plé­men­taires plus pous­sées qui ont de plus en plus rete­nu mon atten­tion. J’ai décou­vert pro­gres­si­ve­ment qu’un savoir pure­ment for­mel (sem­blable à un lan­gage mathé­ma­tique) pou­vait être au ser­vice d’une inten­tion : expri­mer tel ou tel sen­ti­ment, etc.

« J’ai perçu une analogie entre l’analyse littéraire en français et l’harmonie. »

L’im­por­tance d’une telle décou­verte m’est appa­rue durant ma pre­mière année de lycée. J’ai per­çu une ana­lo­gie entre l’a­na­lyse lit­té­raire en fran­çais et l’har­mo­nie. Grâce à celle-ci, je me suis pas­sion­né pour mes cours de lit­té­ra­ture. J’é­tais fas­ci­né par le style d’au­teurs comme Flau­bert ou Rous­seau. Je péné­trais pour la pre­mière fois le domaine de l’art. Plus tard, je pénè­tre­rais celui de la phi­lo­so­phie et des sciences.

La musique m’a ouvert en défi­ni­tive à la pro­fon­deur, c’est-à-dire à tout ce qui fait vivre n’im­porte quelle acti­vi­té sym­bo­lique. N’im­porte quel domaine (arti­sa­nat, etc.) est sus­cep­tible de m’é­mer­veiller, si la rela­tion entre la forme choi­sie et le fond me semble ori­gi­nale. Les savoirs sco­laires ne sont pas secs, mais vidés de leurs ori­gines. L’é­cole ne retient que l’empreinte lais­sée par le geste du créa­teur comme le dirait Berg­son. C’est pour­quoi les savoirs sco­laires appa­raissent le plus sou­vent comme une suite de règles dépour­vues de signi­fi­ca­tion. A quoi bon les rete­nir ? Sans Robert, j’au­rais peut-être conti­nué à cher­cher dans mon coin ce que je ne trou­vais dans aucune forme d’enseignement.

Grâce à Robert, j’ai repris goût à la connais­sance savante. Depuis, je ne cesse de me for­mer dans un contexte aca­dé­mique. J’en­seigne la phi­lo­so­phie ou la psy­cho­lo­gie à l’u­ni­ver­si­té comme une suite d’in­trigues. J’ex­plore avec avi­di­té tout ce qui me ques­tionne sur le moment. Je délaisse le reste. Je ne crains pas les contraintes, mais je ne les recherche guère et j’es­saie de les réduire au strict mini­mum. J’ai le sen­ti­ment de suivre des caps suc­ces­sifs, même si ceux-ci ne se révèlent le plus sou­vent qu’a­près coup. Je ne montre aucune pré­dis­po­si­tion (je suis sur­tout très tra­vailleur), mais je ne me perds jamais. Je n’ai plus besoin de m’ex­traire des savoirs aca­dé­miques pour être.



Bibliographie précise

Œuvres théoriques

  • Robert Kad­douch et Jean-Paul Ber­nié, Je vou­drais impro­vi­ser, Kad­douch & Music, 1996 (notice BnFnoFRBNF37069853).
  • Robert Kad­douch, Gran­dir en musique : Pour une péda­go­gie de la réus­site, Kad­douch & Music, 2006, 116 p.
  • Robert Kad­douch et Sébas­tien Mira­vète, Des mimes et des murs : Une nou­velle approche de l’en­fant par la créa­tion, Grup­pen, 3 sep­tembre 2012 (ISBN978–2919103058, notice BnFno FRBNF42793165).
  • Robert Kad­douch et Marion Noul­hiane, L’en­fant, la musique et la mémoire : Appren­tis­sage musi­cal et déve­lop­pe­ment céré­bral, De Boeck, 16 février 2015 (ISBN978–2353272464, notice BnFno FRBNF43726895).
  • Arnaud Fran­çois (dir.) et Sebas­tien Mira­vete (dir.), Le péda­gogue et le phi­lo­sophe : Robert Kad­douch et la conduc­ti­bi­li­té, L’har­mat­tan, coll. « Esthé­tiques », 2016, 114 p. (ISBN978–2343088556, notice BnFno FRBNF45003168), p. Le cas d’A­lice, texte de Robert Kad­douch, page 9 à page 46.
  • Robert Kad­douch et Jac­que­line Chal­let-Haas, Ensei­gner l’in­ter­pré­ta­tion musi­cale, Res­sou­ve­nances, 16 février 2017, 100 p. (ISBN978−2−84505−217−8, notice BnFno FRBNF45219562).
  • (en) Robert Kad­douch, A Peda­go­gy of Crea­tion : Tea­ching Stu­dents to Com­mu­ni­cate Through Music, Lexing­ton Books, Row­man & Lit­tle­field, 2019 (ISBN978–1498595254)

Articles scientifiques

  • Dif­ferent impacts on epi­so­dic memo­ry of child­hood medul­lo­blas­to­ma treat­ments28, Oxford aca­de­mic – Neu­ro onco­lo­gy, 30 mai 2016, Elo­die Doger de Spé­ville, Chris­telle Dufour, Cathe­rine Chi­ron, Vir­gi­nie Kief­fer, Audrey Lon­gaud, Jacques Gril, Domi­nique Vateau-Coua­net, Robert Kad­douch, Lucie Hertz-Pan­nier, Marion Noul­hiane (ISSN1522–8517)

Poster un commentaire