Hervé Kabla

Hervé Kabla (84), l’aptitude à admirer

Dossier : TrajectoiresMagazine N°761 Janvier 2021
Par Pierre LASZLO

Ce don des dieux, l’aptitude à admi­rer – que dis-je, l’admiration spon­ta­née – carac­té­rise Her­vé Kabla. Autre facette de cet homme atta­chant de 53 ans, sa judéi­té, fiè­re­ment assumée.

Les som­maires de La Jaune et la Rouge affichent depuis des années sa rubrique « Dix ques­tions à un X entre­pre­neur ». Ses lec­teurs ne le connaissent pas per­son­nel­le­ment, il s’efface der­rière son écri­ture – la vouant aux X dont il narre l’activité. Car il est un homme de loyau­té et d’appartenance fortes au groupe dont il est issu. Cela vaut pour sa judéi­té, cela vaut pour son atta­che­ment à l’École.

La Tunisie comme génome

Sa famille est ori­gi­naire du sud de la Tuni­sie, l’île de Djer­ba ; le nom « Kabla » signi­fie sage-femme. Ses grands-parents pater­nels venaient du souk des Djer­biens à Tunis et vivaient dans une misère pro­fonde. Le hasard les tira de là. Du côté mater­nel, Nabeul et aupa­ra­vant une branche livour­naise, celle du géné­ral Valen­si. La Tuni­sie fait par­tie de son génome, c’est ain­si que je m’explique sa dilec­tion pour Juan-les-Pins !

Ses parents, l’un et l’autre ensei­gnants, lui don­nèrent le goût d’apprendre et celui de la trans­mis­sion : après chaque cours, il res­sent « une plé­ni­tude rare ». Il fit ses études secon­daires de 1975 à 1982 à l’École Maï­mo­nide-Ram­bam, à Bou­logne-Billan­court, que son père Nahum, un pro­fes­seur de mathé­ma­tiques, diri­ge­ra peu après, de 1988 à 1995. Après deux ans de pré­pa, à Louis-le-Grand, il ­inté­gra l’X en 1984 – le plus jeune de sa pro­mo­tion et hyper­al­pha, en ­com­pa­gnie de Kos­kas et Kahn (« les trois K »). En pré­pa, Jean-Daniel Bloch (1951−2012) fut son pro­fes­seur de mathé­ma­tiques : « Un cours lim­pide, au texte clair, pré­cis, agencé. »

Sa sœur Isa­belle Kabla-Lan­glois le sui­vit à l’X trois ans plus tard. Elle sut « mieux négo­cier le virage de l’X : je me suis lais­sé vivre sur le Pla­tâl, elle a tra­vaillé et est sor­tie dans le corps de l’Insee. Ensuite, une car­rière de haut fonc­tion­naire, elle est en charge du ser­vice sta­tis­tique minis­té­riel du minis­tère de l’Enseignement supé­rieur. Mais elle s’investit aus­si dans des pro­jets édu­ca­tifs asso­cia­tifs inno­vants (l’école pri­maire EJM en 2009, plus récem­ment la créa­tion de la pré­pa scien­ti­fique Hadamard). »

Un héritage culturel et cultuel

Pour Her­vé Kabla, son appar­te­nance cultu­relle et reli­gieuse est de prime impor­tance. Il se réfère, avec une intense admi­ra­tion, à Yeshaya­hou Lei­bo­witz (1903−1994) : doc­teur en méde­cine, ­ensei­gnant uni­ver­si­taire à Jéru­sa­lem, aus­si ver­sé en sciences exactes qu’en sciences humaines et en phi­lo­so­phie ; maître à pen­ser en études hébraïques, qu’il s’agisse du Tal­mud ou de Maï­mo­nide ; et d’une grande indé­pen­dance d’esprit en poli­tique. Toutes pro­por­tions gar­dées, un mixte de Paul Ricœur, Jean Sta­ro­bins­ki et Ber­trand Russell !

Outre Lei­bo­witz, les goûts lit­té­raires de Kabla le voient pri­ser, à juste titre, Pri­mo Levi, Phi­lip Roth, Avra­ham Yeho­shua, ou encore Fré­dé­ric Beig­be­der et Daniel Pennac.

La déception dans un grand groupe

Car­rière : pas­sa près de dix-huit ans chez Das­sault Sys­tèmes, au déve­lop­pe­ment, au mar­ke­ting, à la vente. « Je voyais la révo­lu­tion du net s’opérer hors de l’entreprise et j’avais l’impression d’y ­assis­ter comme spec­ta­teur et non comme acteur. Un vrai bon­heur, ce congé créa­tion d’entreprise, une perle du droit social en France ! » Il en tire par­ti et crée plu­sieurs start-up.

« Je suis reve­nu chez ­Das­sault, qui avait besoin de moi pour inté­grer une start-up israé­lienne qui venait d’être rache­tée. L’intégration s’est mal pas­sée, la tech­no israé­lienne souple et effi­cace était en oppo­si­tion avec une tech­no interne qui ne don­nait pas grand-chose. J’ai défen­du les Israé­liens, j’en ai payé le prix qu’on paie dans pareil cas dans un grand groupe quand on ne ferme pas sa gueule : je me suis retrou­vé dans un pla­card doré, DSI des forces de vente. Cela a duré quatre années, très dures, où je suis pas­sé par une pro­fonde dépres­sion, le ­sen­ti­ment de gâcher ma vie, une sorte de “tout ça pour ça ?”, même si j’avais un salaire très hono­rable. Si c’était à refaire, je recom­men­ce­rais à peu près la même chose, mais en 2001 je ne retour­ne­rais pas chez Das­sault. J’y ai per­du six années de ma vie. »

Indépendant, pour expliquer et transmettre

Depuis 2008, Her­vé Kabla dirige Else & Bang, agence conseil en com­mu­ni­ca­tion, créée avec Debo­rah, épouse de Daniel Ela­louf (83) et Myriam Car­ville, sœur de David Picard (88).

Il est fervent d’écriture : son blog, inti­tu­lé Kablages ; une demi-­dou­zaine de livres, Les médias sociaux expli­qués à mon boss (2011), La com­mu­ni­ca­tion digi­tale expli­quée à mon boss (2013), Le social sel­ling expli­qué à mon boss (2015), Le digi­tal expli­qué à mon boss (2017), L’intelligence arti­fi­cielle expli­quée à mon boss (2018)…

Bref, il fait de l’enseignement à la manière contem­po­raine : ses parents, inquiets au départ de ne pas le voir les suivre, peuvent être fiers de lui. Quel gaillard !

Poster un commentaire