Diane-Laure Algrin (2014), chercheuse en biologie cellulaire

Diane-Laure Algrin (2014), chercheuse en biologie cellulaire

Dossier : TrajectoiresMagazine N°759 Novembre 2020
Par Alix VERDET

Pas­sion­née très jeune par les sciences, Diane-Laure Algrin a choi­si la voie de la recherche en bio­lo­gie médi­cale. Loin d’être un obs­tacle, sa for­ma­tion d’ingénieure mul­ti­dis­ci­pli­naire se révèle un réel atout pour les équipes de recherche qui ont besoin de cher­cheurs à l’aise dans dif­fé­rents domaines.

D’où viens-tu ? Quel est ton parcours avant Polytechnique ?

Je suis de région pari­sienne, de Mon­trouge dans le 92. J’étais au lycée Notre-Dame-de-France en pre­mière et ter­mi­nale puis je suis entrée en pré­pa à Ginette, en PCSI puis en PC, et j’ai inté­gré l’X en 32. J’étais déjà atti­rée par le métier de cher­cheur et par le domaine de la bio­lo­gie médi­cale. Plus jeune, je vou­lais être méde­cin, puis astro­phy­si­cienne et, peu à peu, je me suis inté­res­sée à la bio­chi­mie médi­cale axée recherche. L’idée de faire gran­dir la connais­sance et la science me plai­sait, ain­si que l’aspect tech­no­lo­gique. En entrant en pré­pa, je visais plus la recherche qu’un par­cours d’ingénieur.

C’est assez original de savoir si tôt ce que l’on veut faire.

C’est vrai que même si mes pro­jets ont pu (et vont encore) évo­luer, je ne me suis jamais sen­tie per­due, de toute façon il y a tant de métiers pas­sion­nants ! J’ai la chance d’avoir une famille qui m’a per­mis de décou­vrir et aimer des domaines variés – scien­ti­fiques, lit­té­raires ou artis­tiques –, et des parents très ouverts aux centres d’intérêt que l’on sou­hai­tait déve­lop­per. D’où les par­cours variés et qui nous pas­sionnent cha­cune (musi­co­thé­ra­pie et ortho­pho­nie pour mes sœurs). 

De mon côté, étant petite, j’avais envie d’apprendre : j’ai vou­lu savoir lire très jeune, je posais beau­coup de ques­tions à mes parents, et mon entou­rage a rapi­de­ment encou­ra­gé cette curio­si­té scien­ti­fique, notam­ment mon père (Her­vé Algrin, pro­mo 1988) et ma grand-mère. La géné­ro­si­té humaine de ma mère m’a aus­si beau­coup mar­quée et m’a per­mis de prendre conscience du sens que je sou­hai­tais don­ner à mon métier. Le côté médi­cal est deve­nu rapi­de­ment impor­tant pour moi ; je vou­lais par­ti­ci­per au déve­lop­pe­ment de l’assistance publique direc­te­ment dans mon métier et pas seule­ment dans des acti­vi­tés asso­cia­tives annexes. De plus, la pas­sion des cher­cheurs pour leur métier m’intriguait, je m’y retrouvais.

Diane-Laure Algrin

Pourquoi as-tu choisi Polytechnique avec ce projet ?

J’avais pos­tu­lé à l’ENS, j’étais prise à Cachan et à Lyon. Mais étant reçue à l’X éga­le­ment, en dis­cu­tant avec d’autres, j’ai appris que la par­tie recherche y était en plein essor et que la for­ma­tion pour­rait mieux me conve­nir. En fin de compte, le par­cours d’ingénieur me cor­res­pon­dait très bien. Je n’ai pas un pro­fil de cher­cheur spé­cia­li­sé, et le côté mul­ti­dis­ci­pli­naire m’habitait depuis long­temps. Le côté mili­taire de l’École m’était en revanche tout à fait étran­ger car il n’y a pas de mili­taires dans ma famille, et je trou­vais éton­nant qu’on fasse un stage dans l’armée, plu­tôt qu’en entre­prise, alors que très peu d’entre nous devien­draient offi­ciers. Mais comme j’ai fait beau­coup de scou­tisme, ça m’allait très bien d’aller me « dérouiller les jambes » dans la boue. J’ai ensuite fait mon stage chez les marins-pom­piers de Mar­seille (au BMPM), l’occasion de décou­vrir des acteurs impor­tants du domaine médical !

Qu’est-ce que tu as aimé à l’X ?

Ce qui m’a beau­coup plu, c’était la grande qua­li­té de nos cours, sur les­quels je me repose encore. Et j’appréciais beau­coup la vie de pro­mo­tion, la varié­té des binets qui per­met à cha­cun de déve­lop­per ses talents et de nous ras­sem­bler sur cer­taines pas­sions. J’étais cro­tale de ma sec­tion vol­ley, tré­so­rière de la com­mu­nau­té chré­tienne de l’X, j’ai fait de la voile dans le binet X course au large, je m’occupais de l’intendance du raid de l’X. J’ai même été actrice de la comé­die musi­cale de ma pro­mo, dans le binet X‑Broadway, ça fai­sait des années que je rêvais de faire ça. J’étais aus­si ravie de pou­voir conti­nuer à jouer du pia­no. Comme je fai­sais du scou­tisme en paral­lèle (j’étais chef­taine de com­pa­gnie), j’étais bien occupée.

Le pla­tâl est assez éloi­gné de Paris mais heu­reu­se­ment on y avait une vie très impor­tante, grâce à tous ces cadres pri­vi­lé­giés et aux évé­ne­ments de pro­mo, le tout coor­don­né par la Kès. J’avais la chance, en sor­tant de Ginette, d’avoir beau­coup d’amis dès le début, mais comme on est répar­tis en sec­tions spor­tives et en sec­tion à La Cour­tine, très vite on a l’opportunité de ren­con­trer d’autres per­sonnes. J’ai éga­le­ment appré­cié la place don­née au sport qui assai­nit un rythme étu­diant par­fois intense, et le sou­hait de ne lais­ser per­sonne sur le bord de la route, que j’ai res­sen­ti au sein de la com­mu­nau­té chré­tienne de l’X qui y prê­tait une atten­tion par­ti­cu­lière mais aus­si au sein de ma sec­tion spor­tive où l’on consti­tuait comme une petite famille.

Y a‑t-il quelque chose que tu as moins aimé ?

Je ne regrette aucun des choix que j’ai faits mais je pense que je n’ai peut-être pas assez déve­lop­pé les liens avec nos pro­fes­seurs avec qui j’ai repris contact dans le cadre de ma thèse, de confé­rences, etc. Dis­cu­ter avec eux apporte beau­coup, ils m’ont aiguillée sur ce que je pou­vais faire en 4A et pour la suite, ce dont je n’avais pas plei­ne­ment conscience à l’École. L’éloignement du pla­tâl n’est pas tou­jours pra­tique, mais pré­sente l’atout d’une vie de pro­mo dense et de vastes espaces verts.

À l’X as-tu été confortée dans ton désir de faire de la recherche ?

Quand je suis arri­vée à l’X, j’ai vrai­ment accueilli les ensei­gne­ments pro­po­sés sans me pro­je­ter, en res­tant ouverte et en me repo­sant la ques­tion de la voie de la recherche ou bien de la pos­si­bi­li­té d’être ingé­nieure. Les cours que j’ai choi­sis étaient liés à mes centres d’intérêt, avec un aspect mul­ti­dis­ci­pli­naire, ce qui est le grand avan­tage de l’X. J’ai choi­si beau­coup de cours de bio­lo­gie parce que je n’en n’avais pas du tout fait en pré­pa mais à l’interface avec d’autres dis­ci­plines, en gar­dant en tête le pro­jet de me spé­cia­li­ser en 4A.

À ce moment-là, j’ai envi­sa­gé de par­tir en mas­ter à l’étranger, à l’université McGill au Cana­da notam­ment. Après avoir dis­cu­té avec des anciens, j’ai trou­vé qu’il était plus per­ti­nent de faire une année de mas­ter 2 en France en vue de faire un stage de recherche dans le labo de recherche qui m’intéressait pour une éven­tuelle thèse.

« En tant qu’ingénieure,
j’avais un profil assez différent des normaliens
ou des filières universitaires. »

J’ai fait ma 4A à l’ENS en mas­ter 2 IMa­LiS (Inter­dis­ci­pli­na­ry Mas­ter in Life Sciences), un mas­ter axé recherche et méde­cine, sur le conseil de mes profs de bio. J’ai pris des cours de bio­lo­gie fon­da­men­tale et de bio­lo­gie appli­quée à des tech­niques que j’ai pu uti­li­ser par la suite comme la micro­sco­pie, qui com­plé­taient la for­ma­tion reçue à l’X. En fin de compte, j’ai réus­si à ras­sem­bler tous mes cours sur les six pre­miers mois de l’année pour pou­voir effec­tuer mes six mois de stage sur le reste de l’année dans le labo­ra­toire dans lequel je fais ma thèse. C’est un labo­ra­toire dont le pro­jet avait été dépo­sé à l’ENS par­mi les dizaines de pro­jets proposés.

En tant qu’ingénieure, j’avais un pro­fil assez dif­fé­rent des nor­ma­liens ou des filières uni­ver­si­taires et la plu­part des sujets m’intéressaient assez peu. C’était très molé­cu­laire alors que je sou­hai­tais quelque chose de plus macro­sco­pique, dans lequel je me pro­jette pour trois ans de tra­vail de thèse, un sujet qui soit à l’interface de plu­sieurs domaines. C’était jus­te­ment le genre de sujets qui res­taient en plan. Comme j’étais la seule ingé­nieure dans la par­tie plus orien­tée bio­lo­gie cel­lu­laire du mas­ter, ce sujet m’a plu, ce qui m’a déci­dé à faire une thèse.

Diane-Laure Algrin et le Dr. Fanny Jaulin
Au labo durant ma thèse avec ma direc­trice de thèse et cheffe d’équipe, le Dr Fan­ny Jaulin.

Quel est donc ce fameux sujet de thèse ?

Je tra­vaille avec une équipe à l’Institut de can­cé­ro­lo­gie Gus­tave-Rous­sy sur la dis­sé­mi­na­tion du can­cer en par­ti­cu­lier dans le cas du can­cer colo­rec­tal. Pour ma part, je tra­vaille sur la migra­tion des cel­lules tumo­rales, sur leur manière de se dépla­cer à tra­vers les tis­sus des patients, sur ce qui leur donne ces carac­té­ris­tiques méta­sta­tiques. Plus pré­ci­sé­ment, dans le labo ils ont décou­vert il y a cinq ans la pré­sence chez des patients atteints de cer­tains types de can­cer colo­rec­tal que les inter­mé­diaires tumo­raux, c’est-à-dire les cel­lules qui quittent la tumeur pri­mi­tive et qui vont par­tir dans l’organisme pour for­mer des méta­stases, sont des groupes de cel­lules et non pas des cel­lules uniques. C’est une migra­tion col­lec­tive de cel­lules qui est liée à un mau­vais pro­nos­tic des patients.

Mon tra­vail est d’analyser la migra­tion de ces groupes de cel­lules car on a décou­vert qu’au vu de leur topo­lo­gie les pro­téines externes qui leur per­mettent nor­ma­le­ment d’adhérer à l’environnement, et donc de tirer sur les fibres qui sont autour des cel­lules dans notre orga­nisme, sont ici coin­cées à l’intérieur du groupe. Elles ne peuvent donc pas se trac­ter, et en sim­pli­fiant le sys­tème jusqu’à l’étudier dans des micro­ca­naux, on a décou­vert qu’elles sont même capables de migrer dans des condi­tions non adhé­rentes. Elles peuvent dont se dépla­cer dans notre orga­nisme d’une manière dif­fé­rente de tout ce qui est connu jusqu’à main­te­nant, ce qui mal­heu­reu­se­ment leur donne cer­tai­ne­ment plus d’opportunités pour disséminer.

Quel est l’enjeu de cette découverte ?

Il y a un aspect cli­nique qui consiste à com­prendre com­ment ces groupes de cel­lules font pour migrer, et une décou­verte dans la bio­lo­gie cel­lu­laire en géné­ral. Pour l’instant, on connaît trois types de migra­tion : soit des cel­lules uniques qui adhèrent ou qui n’adhèrent pas, donc qui se tractent en tirant ou qui se pro­pulsent par contrac­tion ; soit des groupes de cel­lules qui adhèrent à la matrice en tirant des­sus. Là on serait dans une confi­gu­ra­tion où ces cel­lules tumo­rales sont capables de se dépla­cer sans accro­cher à la matrice, sans se trac­ter mais plu­tôt en se propulsant.

C’est un phé­no­type qui appa­raît éga­le­ment comme pos­sible dans un tis­su sain, les cel­lules tumo­rales auraient donc pu (une fois de plus) détour­ner ce méca­nisme. Ça inté­resse donc toutes les branches de la bio­lo­gie qui tra­vaillent sur la migra­tion cel­lu­laire, qui est un phé­no­mène impor­tant en can­cé­ro­lo­gie mais aus­si dans le déve­lop­pe­ment embryon­naire, la dis­sé­mi­na­tion lym­pha­tique, la cica­tri­sa­tion, etc.

« Ce qui m’a plu,
c’est le côté santé-cancérologie
et la proximité avec l’hôpital. »

Ce qui m’a plu dans ce sujet-là, c’est le côté san­té-can­cé­ro­lo­gie, la proxi­mi­té avec l’hôpital qui nous per­met de tra­vailler direc­te­ment sur des échan­tillons de patients et ne pas avoir une recherche de labo­ra­toire éloi­gnée de la cli­nique, l’interaction avec les méde­cins. J’aime aus­si l’aspect concret car je fais beau­coup de micro­sco­pie : je visua­lise direc­te­ment la migra­tion des cel­lules par des films qui durent quelques heures, on peut expri­mer des pro­téines fluo­res­centes, ce qui donne un côté visuel que je cher­chais. Et c’est un sujet explo­ra­toire et de recherche pro­fonde parce qu’on ne sait pas com­ment ça fonc­tionne. On peut s’inspirer de ce qui existe chez la cel­lule unique qui migre dans des condi­tions non adhé­rentes, on peut s’inspirer du groupe de cel­lules qui migre dans des condi­tions adhé­rentes, on peut s’inspirer de la lit­té­ra­ture qui existe sur ces sujets, mais, pour autant, on ne sait pas com­ment ça marche.

En quoi est-ce un sujet multidisciplinaire ?

Nous sommes ame­nés à nous poser des ques­tions à la fois bio­lo­giques mais aus­si phy­siques, car il faut bien exer­cer des forces sur les parois. Pour étu­dier cette migra­tion, on uti­lise des sys­tèmes de micro­ca­naux dimen­sion­nés de la taille des cel­lules (30 µm par 60 µm). Il y a donc toute une pro­blé­ma­tique phy­si­co­mé­ca­nique à étu­dier en paral­lèle des pro­blé­ma­tiques bio­lo­giques. Je ne peux pas me poser toutes les ques­tions, il faut sélectionner.

C’est pour­quoi je tra­vaille avec plu­sieurs équipes de l’Ins­ti­tut Curie notam­ment, dans les­quelles j’ai retrou­vé un de mes pro­fes­seurs de l’X dans la par­tie modé­li­sa­tion, un de mes amis poly­tech­ni­ciens en thèse dans un labo de l’Institut Curie qui fait de l’optogénétique (acti­va­tion des cel­lules par la lumière) ; et la troi­sième équipe avec laquelle je tra­vaille est diri­gée par un X qui est deve­nu cher­cheur à Curie. C’est amu­sant de voir qu’il y a beau­coup d’X dans la recherche, notam­ment en biologie.

Qu’est-ce qui te plaît dans ta thèse ?

Il y a la pas­sion scien­ti­fique et le côté exci­tant d’apprendre en per­ma­nence, les congrès inter­na­tio­naux et les col­la­bo­ra­tions sti­mu­lantes, la chance et la com­plexi­té de mener son pro­jet de bout en bout tech­ni­que­ment et intel­lec­tuel­le­ment ; et donc les périodes plus dif­fi­ciles où rien ne fonc­tionne, l’expérience enri­chis­sante de l’enseignement, le tra­vail d’équipe que l’on vit de manière très intense. Il faut bien choi­sir son équipe en plus du sujet parce qu’on va pas­ser du temps au labo ensemble et l’entraide a une place impor­tante. Tout ça pour appor­ter sa petite pierre aux grands édi­fices de la science et de la médecine !

Après ta thèse, que vois-tu comme perspectives professionnelles ?

Là, je ne pour­rais pas répondre pré­ci­sé­ment, avant tout parce que beau­coup de choses m’intéressent. Je pense que c’est impor­tant de savoir ce qui compte pour soi, ce que l’on sou­haite faire scien­ti­fi­que­ment, humai­ne­ment sans se fer­mer sur un par­cours pré­dé­fi­ni. Ma thèse, je l’ai faite parce que je trou­vais que c’était une expé­rience pro­fes­sion­nelle inté­res­sante, et non dans une pers­pec­tive de car­rière par­ti­cu­lière. Bien sûr, je sais aus­si que, si je conti­nue dans la bio­lo­gie, c’est un atout d’avoir fait une thèse.

Pour la suite, je crois que j’aimerais prendre un peu de dis­tance vis-à-vis de la paillasse. Même si le sujet m’intéresse beau­coup, je serais contente de décou­vrir autre chose. M’étant mariée l’année der­nière, mon mari (Bap­tiste Pagès 2014) et moi avons le pro­jet de par­tir à l’étranger. Mais à mon retour, j’aimerais tra­vailler sur des pro­jets d’innovation dans le domaine médi­cal, peut-être direc­te­ment à l’hôpital car c’est une struc­ture très riche, com­plexe et inté­res­sante, un monde com­plet, à la fois poli­tique et humain. Et c’est un ser­vice public, ce qui est impor­tant pour moi, une manière de ser­vir mon pays, notion dont j’ai pris conscience à l’X.

Si quelqu’un a une cer­taine expé­rience et des conseils pour m’orienter dans le domaine de la san­té, côté ges­tion de l’hôpital, inno­va­tion ou dans un cadre plus asso­cia­tif, je serai ravie d’en dis­cu­ter pour pré­ci­ser mon pro­jet. Je me pose aus­si la ques­tion d’être plus proche des pro­blé­ma­tiques de gens qui ont des mala­dies rares ou des handicaps.


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