Entreprises : quelle organisation après la Covid-19 ?

Entreprises : quelle organisation après la Covid-19 ?

Dossier : Covid-19Magazine N°758 Octobre 2020
Par Hervé KABLA (84)

L’épidémie de Covid-19 a pro­fon­dé­ment bou­le­ver­sé le fonc­tion­ne­ment des entre­prises. Gestes bar­rières, masques de pro­tec­tion, télé­tra­vail ne sont que les signes appa­rents d’une trans­for­ma­tion qui va bien au-delà et risque de modi­fier de manière durable le fonc­tion­ne­ment des socié­tés. L’auteur, titu­laire de notre appré­ciée rubrique « 10 ques­tions à un entre­pre­neur », ana­lyse ces chan­ge­ments afin de mieux nous pré­pa­rer aux évo­lu­tions que l’on voit déjà poindre.

L’es­sor du numé­rique durant ces vingt der­nières années s’est éta­bli sur le fon­de­ment d’une oppo­si­tion constante entre réel et vir­tuel. Si l’on voyait assez bien les ver­tus de la déma­té­ria­li­sa­tion dans des contextes bien spé­ci­fiques, on avait encore du mal, dans cer­tains milieux, à com­prendre l’intérêt d’un uni­vers tota­le­ment digi­tal allant des réseaux sociaux à la visio­con­fé­rence en pas­sant par le e‑learning. Les par­ti­sans de chaque camp s’opposaient encore de manière sté­rile il y a à peine quelques mois. La ­Covid-19 est venu mettre tout le monde d’accord. La trans­for­ma­tion numé­rique de cer­taines entre­prises doit pro­ba­ble­ment beau­coup plus à l’absence de vac­cin qu’à l’activité des cabi­nets de conseil spé­cia­li­sés dans ce domaine… 

Pri­vées d’échanges phy­siques, les entre­prises qui avaient la pos­si­bi­li­té de pour­suivre leur acti­vi­té en télé­tra­vail ont dû bas­cu­ler sur des modes de fonc­tion­ne­ment 100 % numé­rique. Encore fal­lait-il avoir anti­ci­pé les chan­ge­ments néces­saires, pour que cela fonc­tionne : bas­cu­ler dans le cloud, uti­li­ser des outils col­la­bo­ra­tifs et en par­ti­cu­lier la visio­con­fé­rence, adop­ter les modes de mana­ge­ment adap­tés, sou­te­nir les sala­riés appe­lés à télé­tra­vailler même lorsque cela n’était pas leur sou­hait. Cela ne s’est pas tou­jours fait sans dégâts et, au-delà des cas de Covid-19 recen­sés çà et là, on constate depuis quelques semaines une pro­gres­sion alar­mante des consul­ta­tions auprès de psychologues. 

Travailler, ce n’est pas aller au bureau

Pour une mul­ti­tude de sala­riés, cette décou­verte du télé­tra­vail à marche for­cée, dans un contexte non opti­mal, avec la famille à domi­cile, a pu conduire à une réflexion appro­fon­die sur le sens même du tra­vail. Est-ce une acti­vi­té que l’on ne peut mener que dans un cadre défi­ni, au sein de bureaux avec des col­lègues, dans un open space où l’on s’isole du bruit ambiant à l’aide d’un casque ? Ou bien peut-on tra­vailler de n’importe où, à par­tir du moment où l’on dis­pose des outils de com­mu­ni­ca­tion appro­priés ? La réponse n’est pas évi­dente et dépend à la fois de l’activité et des carac­té­ris­tiques psy­chiques des individus.

Les adeptes du free­lance, déjà habi­tués à tra­vailler à dis­tance, ont pu béné­fi­cier d’un cer­tain avan­tage sur leurs col­lèges sala­riés. Dans la tête des chefs d’entreprise, tou­te­fois, ces trois mois de télé­tra­vail ont for­cé­ment conduit à une réflexion plus pous­sée sur l’usage de bureaux. Et l’on a vu ces der­nières semaines de nom­breuses entre­prises remettre en cause leur stra­té­gie immo­bi­lière. Du pain bénit pour les agences, un peu moins pour les bailleurs, qui ont dû faire face à des retards de loyer et risquent de se retrou­ver, dans les mois à venir, avec d’importantes sur­faces disponibles.

Une nouvelle organisation du travail

La sor­tie de confi­ne­ment ne s’est pas opé­rée de la même manière pour toutes les entre­prises. Et l’obligation de tenir les sala­riés à dis­tance force cer­taines à revoir la logique de pré­sence de ceux-ci. Cer­taines ont choi­si de divi­ser les effec­tifs en deux groupes et de faire venir chaque groupe en alter­nance, d’une semaine à l’autre. D’autres ont opté pour une pré­sence réduite de deux à trois jours par semaine, en pour­sui­vant le télé­tra­vail le reste du temps. D’autres, plus rares mais encore plus radi­cales, ont opté pour une bas­cule com­plète. Le télé­tra­vail peut ain­si, à terme, deve­nir l’un des dadas pré­fé­rés des ama­teurs de réduc­tion de coûts.

À terme, il fau­dra cepen­dant se poser la ques­tion des tra­vers réels du télé­tra­vail. Les dis­cus­sions autour de la machine à café, les ego, le jeu des ambi­tions, les dif­fé­rentes formes de riva­li­tés par­ti­cipent à la vie d’une entre­prise, ali­mentent le moteur de l’innovation et contri­buent au déve­lop­pe­ment de la créa­ti­vi­té d’une entre­prise. Qu’adviendra-t-il de ces entre­prises dont les sala­riés ne se ver­raient plus qu’une ou deux fois par an ?

“La transformation numérique des entreprises doit probablement plus
à l’absence de vaccin qu’à l’activité des cabinets de conseil.”

Et pour celles qui ne peuvent pas télétravailler ? 

De nom­breux sec­teurs, tou­te­fois, n’ont pas eu la chance de pou­voir mettre en place le télé­tra­vail. La dis­tri­bu­tion, l’alimentation, la construc­tion, l’industrie, le tou­risme ou la res­tau­ra­tion sont des sec­teurs où seules cer­taines fonc­tions d’administration ou de sou­tien ont pu béné­fi­cier du télé­tra­vail. Pour les autres métiers, cela dépend for­cé­ment de la demande. Dis­tri­bu­tion et ali­men­ta­tion s’en sont bien sor­ties, la demande res­tant à un niveau éle­vé : on a tou­jours besoin de se nour­rir, même en période de confi­ne­ment. La construc­tion et le bâti­ment ont pu béné­fi­cier de mesures d’aide, avec le chô­mage par­tiel, en atten­dant que l’activité reprenne à un rythme aus­si sou­te­nu qu’avant le confi­ne­ment. Dans la res­tau­ra­tion, là aus­si, les mesures d’aide, com­bi­nées avec une cer­taine adap­ta­bi­li­té, voire créa­ti­vi­té, pour bas­cu­ler vers la res­tau­ra­tion à dis­tance, ont pu pré­ser­ver cer­taines entreprises.

Mais il reste des sec­teurs, comme le tou­risme, l’automobile ou l’aéronautique, où le coup de frein sur la demande induit une baisse d’activité dras­tique, qui condui­ra iné­luc­ta­ble­ment à la fer­me­ture d’entreprises, dans une sorte d’effet domi­no assez angois­sante : la chute du tra­fic aérien pro­voque la dis­pa­ri­tion de com­pa­gnies aériennes, la chute des com­mandes d’avion, la mise à l’arrêt des lignes de pro­duc­tion, la fer­me­ture des sous-trai­tants. Et l’on voit mal ce qui pour­rait mettre un terme à cet enchaî­ne­ment dia­bo­lique, si ce n’est l’arrivée d’un vaccin.

Et du côté des start-up et des PME ? 

L’univers des start-up est loin d’être aus­si homo­gène qu’on le pense. Bien que tech­no­lo­giques, cer­taines sont for­te­ment dépen­dantes d’activités lar­ge­ment impac­tées par la Covid-19. Pour celles-là, mal­heu­reu­se­ment, le pro­nos­tic vital sera rapi­de­ment enga­gé. Pour d’autres, néan­moins, la crise sani­taire s’est révé­lée un accé­lé­ra­teur de crois­sance. Pour les socié­tés spé­cia­li­sées dans la mise en place de cloud d’entreprise, par exemple, les effets béné­fiques ont été immé­diats. Pour d’autres, il aura suf­fi d’une rapide adap­ta­tion aux nou­velles condi­tions de mar­ché, voire de la créa­tion de nou­veaux pro­duits dont on n’aurait pas ima­gi­né l’utilité trois ou quatre mois plus tôt. C’est en cela que les start-up béné­fi­cient d’un cer­tain avan­tage : plus agiles (en théo­rie) et contraintes de s’adapter en per­ma­nence, elles ont eu, pour beau­coup, plus de faci­li­tés à bas­cu­ler en mode crise sani­taire que les lourds vais­seaux d’autres sec­teurs industriels.

Une crise telle que celle de la Covid-19 est aus­si l’occasion de voir s’épanouir les véri­tables lea­ders de demain, ceux capables de s’adapter, de construire de nou­veaux modèles éco­no­miques, de réduire les coûts inutiles sans enta­mer leur capa­ci­té d’investissement sur l’innovation et l’adaptation aux nou­veaux besoins du mar­ché. N’oublions pas que des entre­prises comme Google, Face­book ou Uber ont par­fai­te­ment su se déve­lop­per mal­gré les crises tra­ver­sées alors que ces entre­prises n’avaient que deux ou trois années d’existence. Sans oublier que de tels suc­cès sont excep­tion­nels et que der­rière chaque Google se cachent des mil­liers d’entreprises qui n’ont pas eu le même succès…

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