Les réseaux sous-marins, épine dorsale du monde digital de demain

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°757 Septembre 2020
Par Paul GABLA (X83)
Par Olivier GAUTHERON (83)

Paul Gabla (83) et Oli­vier Gau­the­ron (83), res­pec­ti­ve­ment direc­teur com­mer­cial & mar­ke­ting et direc­teur tech­nique d’Alcatel Sub­ma­rine Net­works – lea­der mon­dial de la fabri­ca­tion et de la pose de câbles sous-marins – nous en disent plus sur ces réseaux de com­mu­ni­ca­tion, les pro­jets d’ingénierie com­plexe et les pers­pec­tives pour le monde digi­tal de demain.

Une capacité de transmission gigantesque au service de la révolution numérique

Les tous pre­miers câbles sous-marins de télé­com­mu­ni­ca­tions, ins­tal­lés au milieu du XIXe siècle, trans­met­taient des com­mu­ni­ca­tions télégraphiques.

Aujourd’hui, les réseaux sous-marins à fibre optique véhi­culent des don­nées numé­riques à très haut débit, depuis les simples échanges de cour­riels ou com­mu­ni­ca­tions télé­pho­niques, jusqu’à la vidéo très haute défi­ni­tion en strea­ming. Grâce aux évo­lu­tions tech­no­lo­giques réa­li­sées au cours des deux der­nières décen­nies, la capa­ci­té de trans­mis­sion d’un câble sous-marin moderne peut atteindre 300 Terabits/s soit 30 000 fois plus que le pre­mier câble trans­at­lan­tique à ampli­fi­ca­tion optique TAT12/13 déployé en 1996.

De fait aujourd’hui, très loin devant le satel­lite réser­vé aux solu­tions d’accès ou de dif­fu­sion télé­vi­suelle, plus de 99 % du tra­fic inter­con­ti­nen­tal, voix et don­nées confon­dues, est assu­ré par les quelques 400 câbles sous-marins déployés à tra­vers le monde. Cette supé­rio­ri­té tech­no­lo­gique des réseaux sous-marins à fibre optique a rapi­de­ment atti­ré l’attention des acteurs « Over The Top » (ou GAFAM) tels que Face­book, Google, Ama­zon ou Micro­soft à la recherche de grandes artères de com­mu­ni­ca­tions inter­na­tio­nales pour trans­por­ter de façon fiable les énormes flux de don­nées que génèrent leurs appli­ca­tions et leurs ser­veurs. D’un mar­ché his­to­ri­que­ment domi­né par les grands opé­ra­teurs télé­coms pour com­mer­cia­li­ser du trans­port de don­nées, le sec­teur des réseaux sous-marins est en pleine muta­tion, avec une par­ti­ci­pa­tion de plus en plus affir­mée des OTT au déve­lop­pe­ment des nou­veaux réseaux sous-marins. Les OTT vont même jusqu’à construire leurs propres sys­tèmes, dédiés à leur propre tra­fic. En effet, si la crois­sance inter­na­tio­nale du tra­fic IP conti­nue de croître à des taux plus qu’enviables (supé­rieur à 20 % par an), le déve­lop­pe­ment du tra­fic entre centres de don­nées (supé­rieur à 40 % par an) a défi­ni­ti­ve­ment pris le pas sur les échanges entre per­sonnes phy­siques. En effet, du fait de l’implantation conti­nen­tale des « méga data­cen­ters », la sécu­ri­sa­tion des don­nées exige des sto­ckages simul­ta­nés en dif­fé­rents endroits de la pla­nète et un trans­fert per­ma­nent de don­nées afin de mini­mi­ser le coût d’exploitation de ces data­cen­ters. Pour répondre aux besoins crois­sants de capa­ci­té, de connec­ti­vi­té, de flexi­bi­li­té et de dis­po­ni­bi­li­té, les routes sous-marines se mul­ti­plient afin d’offrir une rési­lience accrue.

Des grands projets d’ingénierie complexe

L’industrie de ces réseaux s’est struc­tu­rée autour de sys­té­miers inté­grés ver­ti­ca­le­ment qui pro­posent des solu­tions clés en main, incluant à la fois la concep­tion, la fabri­ca­tion, l’installation ter­restre et sous-marine ain­si que l’exploitation et la main­te­nance du sys­tème com­plet pen­dant la durée de vie du sys­tème, à savoir 25 ans.

La sec­tion immer­gée d’une liai­son sous-marine est consti­tuée des prin­ci­paux élé­ments suivants :

un câble pou­vant conte­nir jusqu’à 32 fibres optiques, des répé­teurs espa­cés d’une cen­taine de kilo­métres dans les­quels se trouvent les ampli­fi­ca­teurs optiques, et des uni­tés de bran­che­ment optique dans le cas d’un réseau à mul­tiples points de connexion. Le câble, à pro­pre­ment par­ler, est une struc­ture concen­trique com­po­sée, en par­tant du centre, d’un tube d’acier inoxy­dable de 3 mm de dia­mètre conte­nant les fibres optiques, d’une voûte consti­tuée d’une tor­sade de fils d’acier, d’un conduc­teur cuivre fai­ble­ment résis­tif (1 ohm/km) per­met­tant d’alimenter les répé­teurs depuis les sta­tions d’atterrage par cou­rant conti­nu (1 A) et enfin d’un enro­bage de poly­éthy­lène des­ti­né à assu­rer l’isolation élec­trique entre le conduc­teur et l’eau de mer. Le dia­mètre total du câble ain­si consti­tué est de 17 mm. Dans le cas où il est néces­saire de pro­té­ger le câble contre des agres­sions externes, notam­ment en eaux peu pro­fondes (moins de 2 000 m), on ajoute une (ou deux) couche(s) d’armure pro­tec­trice com­po­sée de torons d’aciers de 3 mm de dia­mètre, maintenue(s) par un com­po­site de gou­dron et de fibres poly­pro­py­lène : on parle alors de câble simple (ou double) armure.

La concep­tion de la liai­son implique de trou­ver les meilleurs com­pro­mis de route et d’ensouillage (enfouis­se­ment du câble sous le fond de la mer avec une char­rue et un soc jusque 4 mètres, par­fois dans des sols gelés) en fonc­tion des contraintes bathy­mé­triques et des menaces sous-marines (sis­miques, cha­lu­tage, ancrage…) tout en gar­dant le meilleur ratio vitesse/contraintes de pose par le navire câblier. Le tout est recet­té sur la base d’une per­for­mance optique de bout en bout : capa­ci­té, latence, traitement/reconnaissance du signal trans­mis… Les sys­té­miers doivent alors maî­tri­ser plu­sieurs dizaines de corps de métiers dif­fé­rents, depuis l’ingénierie sys­tème jusqu’aux com­pé­tences élec­tro­niques, optiques, méca­niques, ther­miques, élec­triques, fia­bi­li­té, en pas­sant par l’ingénierie marine ou la conduite de grands pro­jets d’infrastructures.

La maî­trise de ce très grand éven­tail de com­pé­tences a don­né lieu à une concen­tra­tion autour de trois grands acteurs : Alca­tel Sub­ma­rine Net­works (Europe), Sub­com (USA) et NEC (Japon) dis­po­sant de moyens indus­triels consé­quents et de flottes de navires néces­saires à la pose ain­si qu’à la main­te­nance des sys­tèmes déployés. En cas de cou­pure, il faut loca­li­ser et répa­rer le câble à des pro­fon­deurs pou­vant aller jusque 8 000 mètres.

Des infrastructures rendant possibles les applications temps-réel de demain

La per­for­mance tech­no­lo­gique des sys­tèmes à fibre optique aug­mente de façon conti­nue afin de ser­vir des appli­ca­tions de plus en plus gour­mandes en bande pas­sante : réseaux mobiles 4G/5G, strea­ming vidéo ultra-haute défi­ni­tion (8 K), objets connec­tés / com­mu­ni­ca­tion machine-to-machine, tran­sac­tions finan­cières à haute fréquence.

La ten­dance devrait conti­nuer à s’accélérer : de nou­velles appli­ca­tions temps-réel, comme la réa­li­té vir­tuelle, la réa­li­té aug­men­tée ou encore les véhi­cules auto­nomes, exi­ge­ront des futurs réseaux inter­na­tio­naux un bond impor­tant en matière de capa­ci­té et de réduc­tion des temps de latence. Par exemple, les appli­ca­tions de réa­li­té vir­tuelle et de réa­li­té aug­men­tée exigent une bande pas­sante 25 fois plus éle­vée que le strea­ming vidéo en HD, ain­si qu’un temps de latence réduit à moins de 0,1 ms afin d’offrir flui­di­té et réa­lisme. D’autres appli­ca­tions dyna­miques tendent à cou­vrir des besoins socié­taux appor­tant aux ter­ri­toires les plus iso­lés les bien­faits du e‑learning inter­ac­tif, de la télé­mé­de­cine ou de la tra­duc­tion simul­ta­née auto­ma­ti­sée. Le volume de don­nées trans­por­té devrait ain­si être mul­ti­plié par plus de 50 dans les 5 pro­chaines années tout en amé­lio­rant le niveau de sécu­ri­sa­tion (redon­dance et chif­frage des don­nées) et de rési­lience des réseaux.

Après plus d’un siècle et demi, il est pour le moins fas­ci­nant que l’industrie des câbles sous-marins à fibres optiques, à la croi­sée des indus­tries méca­niques, navales, élec­tro­niques et optiques, soit tou­jours au cœur des évo­lu­tions tech­no­lo­giques les plus avan­cées. Les réseaux sous-marins ont su pré­emp­ter des tech­no­lo­gies d’avant-garde, tout en pré­ser­vant leur ADN d’infrastructures à très haute fiabilité.

Car la bonne marche du monde entier en dépend, comme on a pu le consta­ter au cours de la crise mon­diale des der­niers mois : l’utilisation des réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions a explo­sé, pour per­mettre aux entre­prises de conti­nuer à fonc­tion­ner grâce au télé­tra­vail, et aux par­ti­cu­liers de ne pas perdre le lien avec leurs proches grâce aux outils de com­mu­ni­ca­tion et de pré­sence virtuelle.


Pour en savoir plus

Site Inter­net d’Al­ca­tel Sub­ma­rine Network

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