Dominique Casajus © Laurent Simon

Dominique Casajus (69) les Touaregs comme passion

Dossier : TrajectoiresMagazine N°757 Septembre 2020
Par Pierre LASZLO

Trait dis­tinc­tif, l’aptitude à s’émerveiller. D’une ren­contre pro­vi­den­tielle – terme qu’il affec­tionne –, qu’il s’agisse d’une per­sonne, d’un livre, voire d’une langue inconnue.

Une jeunesse rapatriée

Comme bien d’autres, sa famille – de petits agri­cul­teurs de la région de Sétif – quit­ta l’Algérie en 1962 et se réins­tal­la dans le Midi. DC fit ses études secon­daires à Mar­seille et à Pau, en sec­tion A’ (latin-grec-maths). Cette réin­ser­tion lui lais­sa tant la nos­tal­gie de l’Algérie qu’un goût pro­non­cé pour les langues et la lit­té­ra­ture. Il reste pas­sion­né­ment épris de nos grands clas­siques, Ron­sard, Ner­val, Apol­li­naire, par­mi les poètes.

De 1967 à 1969, DC fut en pré­pa à Pierre-de-Fer­mat, à Tou­louse. C’est là qu’il vécut Mai 1968 : « Je suis res­té dans ma pré­pa, inté­res­sé par ce qui se pas­sait, et aus­si vague­ment inquiet : pour moi qui, comme aurait dit Bour­dieu, étais un oblat de l’enseignement supé­rieur, cette mise en ques­tion de l’école – du fait sco­laire – avait quelque chose d’angoissant… » À l’École, comme nombre de ses cama­rades, il adu­la Laurent Schwartz. Mais il se détour­na d’une car­rière de mathé­ma­ti­cien, pré­oc­cu­pé par une pro­bable éclipse de talent, la tren­taine venue.

Le choix de l’humain

Où irait-il ? La période post-soixante-hui­tarde le vit dans la pote­rie. L’illumination lui vînt durant l’été 1975 : l’ethnologie serait sa voie. Sa lec­ture des Struc­tures élé­men­taires de la paren­té, le maître-livre de Claude Lévi-Strauss, l’éblouit ; de plus, « c’était de l’algèbre ». Il s’inscrivit en DEA (Diplôme d’études appro­fon­dies) d’ethnologie à l’université Paris-VII. Fut déter­mi­nante pour lui la loca­li­sa­tion de cette spé­cia­li­té dans un long cou­loir où Laurent Schwartz avait aus­si un bureau !

“Faire avancer les connaissances
sur la création de beauté par les humains.”

Retour au Maghreb

Mais où accom­plir un tra­vail de ter­rain ? Retour­ner au Magh­reb, où l’avait déjà conduit son mémoire de fin de sco­la­ri­té à l’X, pour lequel il séjour­na dans une ferme auto­gé­rée algé­rienne. Sa ­sen­si­bi­li­té de gauche, l’oppression dont les Kabyles souf­fraient en Algé­rie de la part du régime, le tour­nèrent vers les Ber­bères. Le bou­clage de la Kaby­lie ne lui lais­sait d’autre choix qu’aller vers les Toua­regs, dans l’extrême sud du pays. C’est ain­si qu’il allait deve­nir le grand spé­cia­liste mon­dial des Toua­regs, de leur socié­té, de leur culture et peut-être sur­tout de leur littérature.

Il épou­sa en 1996 Sophie Archam­bault de Beaune, archéo­logue pré­his­to­rienne, spé­cia­liste du Paléo­li­thique supé­rieur, œuvrant à élu­ci­der les débuts de la cog­ni­tion humaine via les outils et les gestes tech­niques. Elle conçoit son métier comme une science ­his­to­rique et l’enseigne à l’université Lyon-III. Ils ont deux fils, Emma­nuel, socio­logue, et Gabriel, secré­taire de rédaction.

Anthropologue de la beauté

Casa­jus est des grands anthro­po­logues de notre temps. Il n’a eu de cesse, depuis son pre­mier tra­vail de ter­rain en 1976 auprès des Toua­regs du Niger, d’élargir sa vision, comme en des cercles concen­triques : au peuple toua­reg en son ensemble ; à la langue toua­règue, en son atta­chante sub­ti­li­té ; aux poé­sies en cette langue ; à la trans­mis­sion orale, ce qui le rame­na à sa fas­ci­na­tion ­d’adolescent pour le grec ancien et les textes homériques.

Il lais­sa de côté les hon­neurs qui auraient aisé­ment pu lui être décer­nés, une chaire pres­ti­gieuse ou l’élection à une aca­dé­mie, telle que la toute pre­mière de notre pays. Il pré­fé­ra pour­suivre son tra­vail de scien­ti­fique, en sciences humaines, faire avan­cer les connais­sances sur la vie des gens et, sur­tout, sur la créa­tion de beau­té par les humains.

Qui plus est, ce lit­té­raire invé­té­ré, ce lin­guiste accom­pli, s’exprime en une langue constam­ment élé­gante, aux belles périodes, digne des pro­sa­teurs du dix-hui­tième siècle qu’il affec­tionne, comme Mon­tes­quieu ; ou encore, pour citer des auteurs plus tar­difs qu’il aime aus­si, Cha­teau­briand, Toc­que­ville et Proust.

Quel superbe destin !


Ouvrages de Dominique Casajus

La tente dans la soli­tude. La socié­té et les morts chez les Toua­regs Kel Fer­wan. Cam­bridge, Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Paris, Mai­son des Sciences de l’Homme, 1987.

Alba­ka (Mous­sa) et Casa­jus (D.), Poé­sies et chants toua­regs de l’Ayr : tan­dis qu’ils dorment tous, je dis mon chant d’amour, Édi­tions Awal‑L’Harmattan, 1992.

Hen­ri Duvey­rier. Un saint-simo­nien au désert, Paris, Ibis Press, 2007.

Charles de Fou­cauld, moine et savant, CNRS Édi­tions, Paris, 2009.

L’Aède et le trou­ba­dour. Essai sur la tra­di­tion orale, CNRS Édi­tions, Paris, 2012.

L’alphabet toua­reg. His­toire d’un vieil alpha­bet afri­cain, CNRS Édi­tions, Paris, 2015 (voir la recen­sion).

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