Multiples utilisations du digital sur chantier.

« L’innovation et la créativité n’ont pas de limites »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°756 Juin 2020
Par Benoît LECRIOUX
Par Paul SANCEY

Les nou­velles tech­no­lo­gies et le digi­tal révo­lu­tionnent le monde du BTP et ouvrent de nou­velles pers­pec­tives. Benoît Lecrioux, Res­pon­sable BIM au sein de la Direc­tion Scien­ti­fique & Tech­nique et Paul San­cey, Direc­teur Inno­va­tion chez NGE, nous en disent plus.

Le monde de la construction, à l’instar des autres secteurs d’activité, vit aussi sa révolution numérique. Qu’en est-il ? Qu’avez-vous pu observer à ce niveau ? Quelles sont les tendances qui se démarquent ?

Cette révo­lu­tion a com­men­cé il y a une quin­zaine d’années avec le recours aux solu­tions logi­cielles pour archi­ver les docu­ments, faire les plan­nings et pilo­ter les pro­jets. Au cours des der­nières années, nous avons vécu une véri­table accé­lé­ra­tion du déploie­ment de ces outils digi­taux qui sont aujourd’hui lar­ge­ment uti­li­sés sur le ter­rain. D’ailleurs, les acteurs du sec­teur uti­lisent de plus en plus d’applications et de logi­ciels dif­fé­rents. Mais parce que le digi­tal est deve­nu une par­tie inté­grante de notre quo­ti­dien, leur adop­tion dans le cadre pro­fes­sion­nel se fait très natu­rel­le­ment. Cela se tra­duit éga­le­ment par une exi­gence plus forte des uti­li­sa­teurs. Au-delà de la dimen­sion ergo­no­mique, ils s’attendent à plus de sim­pli­ci­té, de per­for­mance et d’intelligibilité. Dans le monde du bâti­ment plus par­ti­cu­liè­re­ment, une des prin­ci­pales illus­tra­tions de cette évo­lu­tion est le Buil­ding Infor­ma­tion Mode­ling (BIM). Si son uti­li­sa­tion a ten­dance à se géné­ra­li­ser sur les chan­tiers, son adop­tion par les pro­fes­sion­nels du métier reste hété­ro­gène. Nous consta­tons que dans le bâti­ment, la démarche BIM apporte toute sa plus-value quand tous les acteurs sont impli­qués. En paral­lèle, sur les chan­tiers de tra­vaux publics, grâce d’une part au retour d’expérience du BIM dans le bâti­ment et d’autre part au plus faible nombre d’intervenants, le déploie­ment du digi­tal nous semble plus rapide. 

Aujourd’hui, comment intégrez-vous et appréhendez-vous l’innovation digitale dans vos métiers ? Quels sont les principaux enjeux auxquels vous êtes confrontés dans ce cadre ?

Dans un monde en per­pé­tuelle muta­tion où les choses évo­luent à très grande vitesse, l’utilisation des nou­veaux outils tech­no­lo­giques devient indis­pen­sable pour mon­ter en com­pé­ti­ti­vi­té. Le vrai chal­lenge concerne l’adoption de ces outils au sein de l’entreprise.

En effet, alors que le nombre de solu­tions et d’innovations pro­po­sées a consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té, l’enjeu est d’accompagner nos col­la­bo­ra­teurs dans leur appré­hen­sion et maîtrise.

Aujourd’hui, près de 10 % de nos col­la­bo­ra­teurs sont des pro­mo­teurs du digi­tal, 80 % sont des sui­veurs et le reste sont réti­cents à cette trans­for­ma­tion. Nous consi­dé­rons que quand on dépasse le seuil de 10 % de pro­mo­teurs d’une solu­tion digi­tale, les autres fini­ront par suivre le mou­ve­ment et on pour­ra in fine embar­quer tous les acteurs de l’entreprise dans le pro­jet de digi­ta­li­sa­tion. Dans cette popu­la­tion de pro­mo­teurs, il faut aus­si noter que les femmes sont sur­re­pré­sen­tées. Nous nous appuyons ain­si beau­coup sur cette popu­la­tion qui accepte plus faci­le­ment le chan­ge­ment et per­çoit plus rapi­de­ment l’intérêt du recours à ces solu­tions digi­tales. En paral­lèle, pour réus­sir sa tran­si­tion digi­tale, il faut se doter d’une double com­pé­tence à la fois en termes de déve­lop­pe­ment et en termes de construc­tion. Cela per­met de fil­trer les inno­va­tions les plus per­ti­nentes et appré­hen­der la dif­fi­cul­té que cela pour­rait entraî­ner sur les chan­tiers. Il faut aus­si que ces dis­po­si­tifs soient ergo­no­miques et qu’ils puissent appor­ter une réelle valeur ajou­tée sur le ter­rain. Quand nous iden­ti­fions un outil per­ti­nent, nous recen­trons nos res­sources et nos efforts sur cette solu­tion. C’est un pro­ces­sus long qui demande du temps et un inves­tis­se­ment finan­cier. En effet, il faut par­fois savoir chal­len­ger nos pro­ces­sus en interne pour que le pro­duit soit efficace.

Comment cela se traduit-il ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ou des cas d’usages ?

Nous avons ini­tié le BIM en 2013 pour flui­di­fier les échanges et syn­chro­ni­ser les dif­fé­rents usages. Il apporte une meilleure coor­di­na­tion, un échange plus facile, et per­met aux pro­fes­sion­nels de visua­li­ser les maquettes sur des pla­te­formes cloud et donc d’accroître l’accessibilité des infor­ma­tions au plus grand nombre. En paral­lèle, les outils du mar­ché ne répondent pas tou­jours à toutes nos attentes. Nous sommes donc ame­nés à les opti­mi­ser avec des appli­ca­tions com­plé­men­taires que nous déve­lop­pons en interne à tra­vers la pro­gram­ma­tion visuelle (low-code). Pour ce faire, nous capi­ta­li­sons sur des solu­tions, comme Micro­soft Powe­rApps, qui per­mettent de réa­li­ser les déve­lop­pe­ments néces­saires en une jour­née et de répondre à des besoins spé­ci­fiques très rapi­de­ment. Par exemple, pour le redé­mar­rage des chan­tiers dans le contexte excep­tion­nel du Covid-19, nous avons mis au point une appli­ca­tion afin de prio­ri­ser les pro­jets à relan­cer selon l’accessibilité aux dif­fé­rents acteurs : four­nis­seurs, sous-trai­tants, exploi­tants… Autre illus­tra­tion : pour digi­ta­li­ser les for­mu­laires et les comptes ren­dus, nous uti­li­sons la pla­te­forme Kizeo. L’objectif est de déma­té­ria­li­ser ces rap­ports d’une façon rapide et sécu­ri­sée. Cette numé­ri­sa­tion des docu­ments génère un volume impor­tant de don­nées que nous pou­vons ana­ly­ser et valo­ri­ser pour en tirer le meilleur profit.

Conception 3D et contrôle de positionnement des écailles en BFUP conçues par Rudy RICCIOTTI à Cannes.
Concep­tion 3D et contrôle de posi­tion­ne­ment des écailles en BFUP conçues par Rudy RICCIOTTI à Cannes.

Quels sont les sujets qui vous mobilisent dans ce contexte ? Les perspectives que le digital peut ouvrir ?

Nous nous foca­li­sons actuel­le­ment sur le déploie­ment de l’intelligence arti­fi­cielle. Par exemple, l’IA est actuel­le­ment uti­li­sée pour amé­lio­rer le tri des déchets du Grand Paris Express avec un appren­tis­sage auto­ma­tique des mesures faites par spec­tro­mé­trie de fluo­res­cence des rayons X. Nous explo­re­rons de nou­velles pistes autour de l’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle avec l’école de pro­gram­ma­tion de Mar­seille « La Pla­te­forme » dont NGE est par­te­naire. De belles pers­pec­tives de déve­lop­pe­ment sont à l’horizon !

Nous col­la­bo­rons aus­si avec des start-ups qui ont la capa­ci­té de coder rapi­de­ment les appli­ca­tions pour détec­ter les défaillances, iden­ti­fier le niveau de sécu­ri­té, faire le sui­vi et les prédictions…

Nous sommes aus­si mobi­li­sés sur tout ce qui a trait à la smart city. 

Concrè­te­ment, NGE étu­die les oppor­tu­ni­tés et teste en interne les types de cap­teurs que nous pou­vons pro­po­ser aux col­lec­ti­vi­tés et aux mai­ries. Nous sou­hai­tons par­ti­ci­per à la construc­tion de la ville de demain qui sera plus digi­tale, plus verte et plus har­mo­nieuse. Pour cela, il faut vrai­ment cas­ser les sté­réo­types et ins­tau­rer de nou­velles bonnes pra­tiques et la culture du numé­rique. L’innovation et la créa­ti­vi­té n’ont pas de limites et il faut explo­rer minu­tieu­se­ment chaque piste d’amélioration.

Quel est l’impact du numérique sur la relation client et votre proposition de valeur ?

Grâce au digi­tal, nous sommes plus réac­tifs vis-à-vis de nos clients qui sont de plus en plus deman­deurs. Ils peuvent ain­si visua­li­ser le pro­jet en 3D et mieux com­prendre les pro­po­si­tions de valeur et les variantes que nous pou­vons leur offrir. Nous misons, d’ailleurs, beau­coup sur la réa­li­té aug­men­tée pour super­po­ser une maquette 3D vir­tuelle à la réa­li­té. Le jumeau numé­rique apporte non seule­ment un meilleur sui­vi du pro­jet, mais il per­met aus­si d’optimiser l’exploitation et la main­te­nance du bâti­ment et des ouvrages.

Sur un plan plus opé­ra­tion­nel, la modé­li­sa­tion 3D apporte une meilleure cohé­rence entre les dif­fé­rents plans du projet. 

L’avantage est aus­si de pou­voir réuti­li­ser les infor­ma­tions intro­duites dans ces maquettes pour faire du cal­cul et anti­ci­per les éven­tuelles pro­blé­ma­tiques en amont de la construc­tion. Cou­plée à la détec­tion visuelle, la détec­tion auto­ma­tique per­met de gagner en performance.

Le mot de la fin ?

Le monde du BTP se digi­ta­lise à très grande vitesse et sera beau­coup plus numé­ri­sé demain. Pour accom­pa­gner cette pro­fonde muta­tion, la for­ma­tion des col­la­bo­ra­teurs est l’enjeu primordial. 

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