Pont aérien mis en place par GEODIS pour le transport exceptionnel de millions de masques entre la Chine et la France.

La logistique, secteur clé pour assurer la relance économique

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°756 Juin 2020
Par Marie-Christine LOMBARD

La logis­tique, maillon indis­pen­sable de l’économie dans le monde, s’est plus que jamais mobi­li­sée pour assu­rer la sur­vie du pays en période de crise. Entre­tien avec Marie-Chris­tine Lom­bard, Pré­si­dente du direc­toire de Geodis.

Pourquoi la logistique est-elle plus stratégique que jamais ?

La logis­tique est une acti­vi­té indis­pen­sable à toutes les autres. Au cœur des échanges inter­na­tio­naux, elle est non seule­ment un obser­va­toire unique des trans­for­ma­tions de la vie éco­no­mique, mais éga­le­ment la colonne ver­té­brale d’un éco­sys­tème éco­no­mique pla­né­taire. C’est ce qu’a mis en lumière la crise du Covid-19, par son ampleur et la gra­vi­té de ses conséquences. 

Au coeur du bou­le­ver­se­ment actuel, la logis­tique se révèle plus que jamais indis­pen­sable à la conti­nui­té des sec­teurs vitaux et à l’acheminement des res­sources essen­tielles. Demain, l’excellence logis­tique sera un des leviers de rési­lience et de recons­truc­tion de nos éco­no­mies et de nos sociétés.

En période de confinement, Geodis s’est retrouvé au cœur de la gestion de l’approvisionnement de la France en matériel médical. En quoi a consisté votre action ?

Le 30 mars der­nier, un Anto­nov 124, l’un des plus gros avions du monde, s’est posé sur l’aéroport de Vatry dans la Marne. Il était par­ti quelques heures plus tôt de l’aéroport de Shenz­hen, en Chine, trans­por­tant 8,5 mil­lions de masques. Ce pre­mier atter­ris­sage a mar­qué le début d’un pont aérien pré­vu sur plu­sieurs semaines, avec des dizaines de rota­tions. C’est grâce à cette prouesse logis­tique que les per­son­nels de san­té ont pu rece­voir par­tout en France des équi­pe­ments indis­pen­sables pour pro­té­ger leur vie et conti­nuer à sau­ver les nôtres, comme des masques et des respirateurs. 

Au-delà de l’approvisionnement des personnels médicaux, Geodis a dû jouer un rôle clé pour d’autres secteurs ?

Tout à fait. Cette opé­ra­tion excep­tion­nelle n’est qu’une petite par­tie du tra­vail remar­quable accom­pli chaque jour par les équipes de Geo­dis. Alors que le confi­ne­ment avait mis en hiber­na­tion une grande par­tie de l’activité éco­no­mique, jamais les chaînes d’approvisionnement n’ont été rom­pues, jamais la pénu­rie n’a sévi, qu’il s’agisse de den­rées ali­men­taires, de médi­ca­ments ou de maté­riel. La deuxième ligne a tenu bon. Et pour­tant ce métier reste dans l’ombre. Vital et mal aimé, voi­là le para­doxe du sec­teur logistique.

Et en interne, comment avez-vous assuré la continuité des opérations pour faire face aux nombreuses contraintes induites par la crise sanitaire ?

Très tôt, nous avons mis en place une stra­té­gie anti-Covid au sein du Groupe. Dès jan­vier, la direc­tion de Geo­dis pour la région Asie-Paci­fique m’a aler­tée. Nous avons alors obser­vé les faits et agi en consé­quence. Nous avons immé­dia­te­ment ache­té des masques pour nos sala­riés, afin de les pro­té­ger, et mis en place des mesures de dis­tan­cia­tion phy­sique et de télé­tra­vail. Nous avons beau­coup appris de la Chine et de l’Asie, grâce à notre implan­ta­tion dans cette région. Dans un sens, cela nous a per­mis de main­te­nir 85 % des col­la­bo­ra­teurs sur le ter­rain, ce qui s’est révé­lé vital pour l’entreprise, mais aus­si et sur­tout pour la lutte natio­nale contre le Covid-19.

Que diriez-vous à un ingénieur qui s’intéresserait à une carrière dans la logistique ? 

Contrai­re­ment aux idées reçues, la logis­tique est un métier high tech ! Pour fia­bi­li­ser et opti­mi­ser les opé­ra­tions dans un contexte où les exi­gences de res­pect des délais de livrai­son et de tra­ça­bi­li­té en temps réel des mar­chan­dises se font de plus en plus pres­santes, nous fai­sons appel chez Geo­dis à des savoir-faire sophis­ti­qués qui impliquent beau­coup de tech­no­lo­gie dans nos sys­tèmes d’information ou la ges­tion des actifs physiques.

La robo­ti­sa­tion des entre­pôts, seule à même de répondre aux défis de pro­duc­ti­vi­té du e‑commerce, fait appel aux der­nières géné­ra­tions de sen­seurs et à l’intelligence arti­fi­cielle. C’est éga­le­ment celle-ci que Geo­dis mobi­lise dans le trai­te­ment du Big Data, les masses colos­sales de don­nées géné­rées par les flux de com­mandes et d’ordres de trans­port, afin d’améliorer les algo­rithmes de pré­vi­sion et l’optimisation des tour­nées. Pour suivre la loca­li­sa­tion, l’état et le sta­tut des mar­chan­dises, com­mu­ni­quer en temps réel avec ses clients et ses par­te­naires, Geo­dis déve­loppe des infra­struc­tures d’échanges de don­nées du plus haut stan­dard et mobi­lise les res­sources de l’internet des objets dans tous les pro­to­coles de télé­com­mu­ni­ca­tion. La recon­nais­sance et le trai­te­ment des images sont déjà uti­li­sés en situa­tion opé­ra­tion­nelle, et Geo­dis est asso­cié à des recherches encore pros­pec­tives sur le véhi­cule autonome. 

L’innovation tech­no­lo­gique est éga­le­ment enga­gée pour l’amélioration de la sécu­ri­té et des condi­tions de tra­vail tout comme pour la réduc­tion de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale du trans­port, avec la dimi­nu­tion des consom­ma­tions éner­gé­tiques et le déve­lop­pe­ment de car­bu­rants alternatifs.

Quel est le poids du secteur logistique aujourd’hui ?

La logis­tique est un sec­teur dyna­mique et robuste. Avant la crise, il repré­sen­tait au niveau glo­bal près de 5 600 mil­liards d’euros avec une crois­sance conti­nue supé­rieure à celle du PIB mon­dial. Si la crise aura bien sûr un impact sur le sec­teur, on peut res­ter confiant quant à sa capa­ci­té d’adaptation et sa résilience. 

En quoi la logistique peut-elle contribuer à la reconstruction économique, notamment en France ?

Adap­ter l’économie fran­çaise à la nou­velle donne mon­diale, c’est déris­quer sa sup­ply chain en dimi­nuant sa dépen­dance à une pro­duc­tion éloi­gnée des mar­chés de consommation. 

Aujourd’hui, 90 % de la péni­cil­line ven­due dans le monde est pro­duite en Chine. Si les flux inter­con­ti­nen­taux étaient pré­pon­dé­rants depuis plus de vingt ans, on assiste cepen­dant depuis quelques années à une relo­ca­li­sa­tion par­tielle de la pro­duc­tion près des lieux de consom­ma­tion. Gageons que la prise de conscience actuelle quant à notre trop grande dépen­dance au made in Chi­na conso­lide ce mouvement. 

Comment l’optimisation des flux peut-elle accompagner le ré-équilibrage de nos échanges commerciaux ?

L’enjeu est de ren­for­cer la sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique de notre pays tout en res­tant au coeur des échanges. Nous devrions assis­ter dans les pro­chaines années à des mou­ve­ments de relo­ca­li­sa­tion mais éga­le­ment de mise en place de stocks de proxi­mi­té stra­té­giques. Il existe une volon­té de tirer les leçons de notre fra­gi­li­té dans cer­tains domaines clés : les chaînes d’approvisionnement inter­na­tio­nales à flux ten­dus, sans stock et sans redon­dance, nous rendent trop vul­né­rables. La sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique est une idée d’avenir et la logis­tique peut en être un des moteurs.

Sans logistique, pas de souveraineté économique ? 

La poli­tique indus­trielle des pays – ou des conti­nents si on prend l’Europe par exemple – devra aller de pair avec une stra­té­gie logis­tique natio­nale pour la sou­te­nir et la pro­té­ger, tout en veillant à la prise en compte de l’impact envi­ron­ne­men­tal. Cela pas­se­ra d’abord par le pro­lon­ge­ment de notre action en temps de crise, en per­met­tant la relance des échanges com­mer­ciaux et l’animation des flux néces­saires à la recons­truc­tion de nos éco­no­mies. Cela pas­se­ra éga­le­ment par l’intégration des défis envi­ron­ne­men­taux – comme la réduc­tion de 30% de nos émis­sions de CO2 d’ici 2030 – et la capa­ci­té pour chaque acteur de la chaîne logis­tique de réduire son impact éner­gé­tique et donc d’investir dans de nou­veaux actifs ou d’améliorer les exis­tants. Enfin, pour jouer plei­ne­ment leur rôle aujourd’hui, les acteurs de la logis­tique doivent garan­tir les condi­tions de sécu­ri­té les plus strictes pour leurs employés. Il faut veiller à ce que la pres­sion concur­ren­tielle ne se tra­duise pas par une inci­ta­tion au moins-disant. On dit que la san­té n’a pas de prix mais elle a un coût et il convien­dra que le régu­la­teur s’assure que cet inves­tis­se­ment indis­pen­sable est consen­ti au bon niveau par tous les acteurs du sec­teur et que le prix de la logis­tique ne soit pas une variable d’ajustement en cette période éco­no­mique difficile. 

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