De la fabrication additive en joaillerie

De la fabrication additive en joaillerie

Dossier : La fabrication additiveMagazine N°756 Juin 2020
Par Lorenz BÄUMER
Par Joël ROSENBERG (84)

L’impression 3D trouve une appli­ca­tion ori­gi­nale dans cer­tains domaines inat­ten­dus, dont la joaille­rie n’est pas l’exemple le moins illus­tra­tif… ni le moins agréable à observer.

Boucles d'oreilles crées en fabrication additive

En tant que créa­teur de joaille­rie, je me dois d’imaginer des choses qui n’ont jamais été faites aupa­ra­vant en m’inspirant des inno­va­tions techno­logiques de notre temps. La fabri­ca­tion addi­tive per­met de créer des volumes et des bijoux dans des maté­riaux très variés pour un coût et des délais imbat­tables : résine pour la vali­da­tion des volumes, or et titane pour le poids et la mise en cou­leur. Et cela avec une fabri­ca­tion sans moule, par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante pour mes créa­tions uniques.


REPÈRES

Joaillier indé­pen­dant de la place Ven­dôme, Lorenz Bäu­mer est un ancien élève de l’École cen­trale de Paris (pro­mo­tion 1988) et il a fon­dé sa propre mai­son en 1992. Pré­cur­seur dans l’utilisation de dif­fé­rentes tech­niques et de nou­veaux maté­riaux, il vise à inven­ter la joaille­rie du XXIe siècle. Il a été direc­teur artis­tique de la Joaille­rie Cha­nel de 1988 à 2008 et de celle de Louis Vuit­ton de 2008 à 2016. En 2010, il a été choi­si par la Prin­cesse Char­lène Witt­stock et le Prince Albert II de Mona­co pour réa­li­ser le bijou de leur mariage : le dia­dème Écume de diamants.


La fabrication additive pour la création de bijou

Les sciences de l’ingénieur au service de l’art

Les sciences de l’ingénieur ont tou­jours été une ins­pi­ra­tion dans mon uni­vers, aux côtés d’une part artis­tique impor­tante. La résis­tance des maté­riaux, les flux de pro­duc­tion et les lois de l’optique pour la taille des pierres pré­cieuses s’invitent régu­liè­re­ment chez moi. C’est ain­si que j’ai com­men­cé à uti­li­ser il y a une quin­zaine d’années le des­sin 3D à l’ordinateur, puis la fabri­ca­tion addi­tive pour opti­mi­ser mon pro­ces­sus de créa­tion et de fabri­ca­tion. Quel va être le poids d’un bijou ? Quelles sont les zones de fai­blesse ? Quelle quan­ti­té d’or sera néces­saire en fonc­tion du bud­get ? Com­ment va tom­ber cette paire de boucles d’oreilles ? Autant de ques­tions aux­quelles ces nou­veaux outils per­mettent de répondre en éco­no­mi­sant un temps et un argent pré­cieux. J’ai donc été l’un des pre­miers à uti­li­ser cette tech­no­lo­gie place Ven­dôme, en fai­sant coha­bi­ter le savoir-faire ances­tral et la tech­no­lo­gie de pointe. Voi­ci quelques exemples de créa­tion qui n’auraient pas vu le jour sans la fabri­ca­tion additive.

Ma ligne Reflet a vu le jour lorsqu’il n’était pas pos­sible de fondre de l’or en rai­son de sa très haute tem­pé­ra­ture de fusion, alors que c’était pos­sible pour le titane. Pour cette pre­mière réa­li­sa­tion je me suis rap­pro­ché des usines qui fabri­quaient les pièces en titane pour l’aéronautique, afin de les inté­grer ensuite dans mes bijoux. Les ano­di­sa­tions donnent au titane des reflets mul­ti­co­lores incroyables qui se retrouvent à tra­vers les reflets mys­té­rieux sur les parois en or, polies comme des miroirs. La fabri­ca­tion addi­tive per­met éga­le­ment de réa­li­ser à l’unité et à moindre coût tous les galbes néces­saires pour se marier aux dif­fé­rents tours de doigts.

J’ai créé la bague Atlan­tis pour mettre en valeur le des­sin du bijou avec les dif­fé­rents aspects de sur­face résul­tant de la fabri­ca­tion addi­tive. Les sur­faces acces­sibles au poli sont brillantes et les tranches sont mates. Cela met en valeur la struc­ture de ma créa­tion. Une sphère inter­chan­geable vient se loger au milieu de la bague.

“Parler
à un nouveau sens dans
la perception du bijou, l’odorat.”

Le plaisir de l’odorat avec celui de la vue

Mon cabi­net de curio­si­tés avec ses Sca­ra­bées est un autre exemple d’utilisation de formes inno­vantes au ser­vice de la créa­tion. Il contient la « matière olfac­tive » sous les élytres, qui peuvent s’écarter à la demande grâce à un méca­nisme secret. Cette matière est comme une éponge métal­lique, une matière faite de vide pour absor­ber par capil­la­ri­té le par­fum et le res­ti­tuer à la demande. Nous nous sommes ins­pi­rés des recherches faites en méde­cine pour les pro­thèses en titane pour les os. Ces der­nières sont poreuses pour que les cel­lules des os puissent les colo­ni­ser et les soli­da­ri­ser avec le corps humain. Après la vue et le tou­cher, cette tech­no­lo­gie m’a per­mis de par­ler à un nou­veau sens dans la per­cep­tion du bijou : l’odorat.

Pro­pos recueillis par Joël Rosen­berg (84)

La bague Atlantis met en valeur le dessin du bijou avec les différents aspects de surface résultant de la fabrication additive.

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