opérateurs 5G

Les opérateurs se mobilisent pour l’environnement

Dossier : Numérique et environnementMagazine N°754 Avril 2020
Par Francis CHARPENTIER (75)
Par Philippe TUZZOLINO
Par Jean-Manuel CANET

Orange a mis en place depuis dix ans un ambi­tieux pro­gramme de réduc­tion des émis­sions de CO2. Quels sont les résul­tats de cette poli­tique ? Quelles sont ses dif­fi­cul­tés ? Quelles sont ses perspectives ?

Les chercheurs de Telia et Ericsson réalisent depuis une dizaine d’années un gros travail pour estimer l’empreinte carbone du secteur numérique au niveau mondial. Comment continuer ce travail ? 

Ces tra­vaux sont pris en compte par les grands orga­nismes inter­na­tio­naux du sec­teur, l’Union inter­na­tio­nale des télé­com­mu­ni­ca­tions (UIT) et la GSM Asso­cia­tion (GSMA). C’est un cadre idéal pour péren­ni­ser l’effort. Le PDG d’Orange, Sté­phane Richard, pré­side la GSMA. Orange est corap­por­teur du groupe sur le chan­ge­ment cli­ma­tique de l’UIT‑T (Com­mis­sion d’études envi­ron­ne­ment chan­ge­ment cli­ma­tique et éco­no­mie cir­cu­laire), qui éta­blit une par­tie signi­fi­ca­tive des normes inter­na­tio­nales du sec­teur. Au sein de ces orga­nismes nous tra­vaillons en par­te­na­riat avec de nom­breux opé­ra­teurs et indus­triels, dont Telia et Erics­son. Dans ce cadre, un scé­na­rio a été défi­ni pour le sec­teur des TIC jusqu’en 2050, pour res­pec­ter un réchauf­fe­ment glo­bal moyen de 1,5 °C en 2100 par rap­port aux niveaux pré­in­dus­triels, avec la courbe de dimi­nu­tion des émis­sions à res­pec­ter, des points d’étape en 2025 et 2030, pour l’ensemble du sec­teur et pour les sous-sec­teurs (mobile, fixe, data­cen­ters). On a asso­cié à cette ini­tia­tive la Science Based Tar­gets ini­tia­tive (SBTi). Cela per­met­tra aux entre­prises du sec­teur du numé­rique de fixer des objec­tifs de réduc­tion des émis­sions en ligne avec les tra­jec­toires à 1,5 °C et d’en faire état dans leur repor­ting au Car­bon Dis­clo­sure Pro­ject (CDP). Les trans­ports, l’industrie, les ser­vices, les médias, les villes, l’ensemble de l’économie fonc­tionnent avec les outils du numé­rique. L’empreinte car­bone du numé­rique concerne tous les sec­teurs. La GSMA a pris l’engagement que le sec­teur serait net zéro car­bone en 2050. Pour le groupe Orange, nous pre­nons l’engagement de l’être dix ans plus tôt, en 2040. Nous sou­hai­tons que le numé­rique soit recon­nu comme une par­tie de la solu­tion, par exemple en agri­cul­ture ou pour la pré­ven­tion des risques grâce à la col­lecte et l’analyse rapide des don­nées envi­ron­ne­men­tales. Afin que cela fonc­tionne, chaque acteur du numé­rique doit faire des efforts pour réduire sa propre empreinte. L’ensemble de l’« usine numé­rique », dont font par­tie les opé­ra­teurs de réseau et de data­cen­ters et les équi­pe­men­tiers, doit faire des efforts.


REPÈRES

Orange France est depuis 2018 cer­ti­fié ISO 14001 et 50001 pour son enga­ge­ment envi­ron­ne­men­tal et éner­gé­tique. C’est aujourd’hui le pre­mier opé­ra­teur à avoir obte­nu une cer­ti­fi­ca­tion envi­ron­ne­men­tale glo­bale. Ses trois axes prin­ci­paux de maî­trise et de l’impact envi­ron­ne­men­tal sont : réduire le réchauf­fe­ment pla­né­taire (dimi­nu­tion des émis­sions de CO2) ; déve­lop­per la per­for­mance éner­gé­tique (maî­trise de la consom­ma­tion d’électricité) ; sys­té­ma­ti­ser les prin­cipes d’économie cir­cu­laire (éco­con­cep­tion, recy­clage, réparation). 


La consolidation de l’empreinte du secteur nécessite que chaque acteur réalise une bonne estimation de sa propre empreinte carbone. Quelle est la précision pour un opérateur comme Orange ? 

Les équi­pe­ments de nos réseaux sont de plus en plus sou­vent dotés de comp­teurs d’énergie. Nous mesu­rons la consom­ma­tion éner­gé­tique dans cha­cun des 27 pays où nous gérons un réseau. Nous agré­geons les don­nées pour chaque pays et pour l’ensemble du groupe. Nous fai­sons cer­ti­fier nos chiffres dans chaque pays par un cabi­net inter­na­tio­nal d’audit. Sur les scope 1 (émis­sions directes) et scope 2 (émis­sions liées à l’électricité), la marge d’erreur, rela­ti­ve­ment faible, est liée sur­tout à la marge d’erreur pos­sible sur les fac­teurs d’émission de l’AIE que nous uti­li­sons pour esti­mer les émis­sions. L’incertitude se trouve sur­tout au niveau du scope 3, qui est com­pli­qué à esti­mer, car on ne peut pas mesu­rer direc­te­ment toutes les contri­bu­tions (condi­tions de fabri­ca­tion des équi­pe­ments, trans­ports inter­na­tio­naux, camions, bateaux, avion, en amont, en aval, etc.). Nous tra­vaillons avec Car­bone 4 pour faire des estimations.

“Un SI doit être conçu
de manière énergétiquement efficace.”

Orange travaille activement sur son empreinte de 1,3 Mt CO2. Mais qu’en est-il du reste du secteur, dont l’empreinte est de l’ordre de mille fois plus (1 150 Mt CO2) ?

L’UIT et la GSMA sont les orga­ni­sa­tions clefs pour sen­si­bi­li­ser et entraî­ner le sec­teur. La GSMA incite l’ensemble de ses membres à suivre cette voie, à rap­por­ter au CDP et à prendre les objec­tifs SBTi 1,5 °C. Aujourd’hui, 50 % des membres rap­portent au CDP. La GSMA com­mu­nique par ailleurs sur l’importance pour l’industrie de recou­rir de plus en plus aux éner­gies renou­ve­lables (EnR). C’est aus­si un enjeu com­mer­cial des opé­ra­teurs par rap­port à leurs entre­prises clientes. Par exemple, les construc­teurs d’automobiles vont vendre moins de voi­tures et plus de ser­vices. Dans le futur nous pou­vons nous attendre à ce que cer­taines villes soient inter­dites aux véhi­cules ther­miques ; n’y seront admis que les véhi­cules élec­triques, à conduite humaine ou auto­nomes, à condi­tion que le bilan de l’ensemble tende vers le net zéro. Si un opé­ra­teur de télé­communications veut vendre ses ser­vices à un construc­teur de voi­tures auto­nomes, pour laquelle la 5G et les data­cen­ters seront néces­saires, le bilan CO2 doit tendre vers le net zéro. C’est un enjeu de com­pé­ti­ti­vi­té sur ces futurs appels d’offres. De son côté, le client final n’est pas for­cé­ment sen­si­bi­li­sé dans ses choix d’achat et peut choi­sir des offres d’opérateurs moins ver­tueux s’ils sont moins chers. Mais, pour le véhi­cule auto­nome, les offres de trans­port seront gérées par exemple par les construc­teurs, le client final n’aura pas for­cé­ment le choix. En ce qui concerne les entre­prises en géné­ral, une autre approche pro­met­teuse est d’améliorer l’efficacité éner­gé­tique des logi­ciels et des archi­tec­tures des sys­tèmes d’information. Car un SI doit être conçu de manière éner­gé­ti­que­ment effi­cace, dans le même esprit que pour un bâtiment.

Comment maîtriser les incertitudes futures sur l’impact du numérique, dans un contexte de demande très dynamique et d’évolution rapide de la technologie ? 

En ce qui concerne l’efficacité éner­gé­tique des data­cen­ters, il faut conti­nuer de réduire l’impact de la cli­ma­ti­sa­tion, par des tech­niques comme la ven­ti­la­tion natu­relle, et de déve­lop­per la vir­tua­li­sa­tion des ser­veurs, qui amé­liore l’efficacité éner­gé­tique des trai­te­ments numé­riques dans le cloud. Pour l’énergie élec­trique, il faut réduire l’électricité pro­ve­nant des éner­gies fos­siles et déve­lop­per celle pro­ve­nant des EnR et d’autres sources peu car­bo­nées. Il faut une sur­veillance conti­nue des consom­ma­tions éner­gé­tiques pour iden­ti­fier et cor­ri­ger rapi­de­ment les consom­ma­tions anor­males, en uti­li­sant si besoin l’IA et les objets connec­tés. Il faut aus­si sen­si­bi­li­ser les clients par­ti­cu­liers, via des cam­pagnes, pour inci­ter à la fru­ga­li­té numé­rique, les inci­ter à éteindre leurs boxes et leurs télé­phones quand ils n’en ont pas besoin. Pour chaque ser­vice, une notice de fru­ga­li­té asso­ciée est souhaitable. 

Qu’en est-il de la consommation énergétique de la 5G ? 

Il faut abso­lu­ment maî­tri­ser l’impact éner­gé­tique et l’impact car­bone de la 5G. L’UIT tra­vaille sur stan­dards pour encou­ra­ger une meilleure effi­ca­ci­té éner­gé­tique. L’efficacité éner­gé­tique rame­née au débit trans­por­té sera meilleure en 5G qu’en 4G, elle-même meilleure qu’en 3G, mais il y a une incer­ti­tude sur le bilan glo­bal à venir en rai­son de la quan­ti­té de don­nées trans­por­tées, atten­due en hausse. Nous ne nous atten­dons pas à une crois­sance éner­gé­tique exces­sive ; nous avons un plan d’action pour conte­nir les émis­sions asso­ciées, notam­ment par uti­li­sa­tion du mode veille en absence de tra­fic, qui n’existait pas dans la 4G. Les sites sont plus nom­breux que pour la 4G mais, lorsque cela sera pos­sible, le groupe cher­che­ra à les mutua­li­ser. Nous allons aus­si déve­lop­per le recours à de l’électricité renou­ve­lable addi­tion­nelle. Nous avons depuis dix ans une bonne expé­rience des EnR avec le déploie­ment de 2 800 sites solaires dans les réseaux mobiles des pays afri­cains et l’expérience récente de la mise en œuvre de trois fermes solaires en Jor­da­nie. Par ailleurs, nous pen­sons que la 5G devrait per­mettre de déve­lop­per des impacts indi­rects posi­tifs, en per­met­tant de réduire la consom­ma­tion éner­gé­tique dans d’autres secteurs.

“La 5G devrait permettre de développer
des impacts indirects positifs. ”

Comment faire pour que le potentiel des impacts indirects positifs se concrétise à grande échelle ? 

On trouve GeSI (Glo­bal e‑Sustainability Ini­tia­tive) pro­ba­ble­ment trop opti­miste dans ses scé­na­rios Smart 2020 et Smar­ter 2030, qui chiffrent ce poten­tiel. Le poten­tiel reste sub­stan­tiel mais, pour qu’il se réa­lise, et notam­ment pour conte­nir les effets rebond, chaque acteur de l’« usine numé­rique » doit faire un effort pour réduire son empreinte (scope 1 et 2), de façon à ce que l’ensemble du sys­tème tende vers le net zéro. C’est dans cet esprit que nous tra­vaillons avec des entre­prises par­te­naires au sein de la Net Zero Ini­tia­tive, sur une comp­ta­bi­li­té triple, des émis­sions CO2 réduites, des émis­sions évi­tées et des séquestrations. 

Que pensez-vous de la carte carbone, typiquement un outil rendu possible par le numérique ? 

Il y a de toutes pre­mières expé­riences, par exemple une banque coréenne offre une carte ban­caire qui cal­cule l’empreinte car­bone de tous les achats de ses clients. De même, en Suède, une chaîne de super­mar­chés pro­pose une carte de fidé­li­té qui comp­ta­bi­lise les émis­sions car­bone des achats des clients. C’est dif­fi­cile d’offrir une vision glo­bale de l’empreinte car il fau­drait agré­ger l’ensemble des don­nées col­lec­tées. Mais ça per­met de sen­si­bi­li­ser les consommateurs. 

Quelle est l’évolution comparée des émissions carbone de vos activités dans les pays en développement et dans les pays développés ? 

Dans un pays comme la Pologne, où le mix car­bo­né est une contrainte de départ, maî­tri­ser les émis­sions est un défi. Dans la région AMO (Afrique et Moyen-Orient) où nous opé­rons, les EnR devraient être plus faciles à déployer, les objec­tifs de réduc­tion de car­bone devraient être plus faciles à atteindre. La contri­bu­tion des EnR est très signi­fi­ca­tive pour la réduc­tion de nos émissions.

Fair phone

Quel est l’impact des services numériques sur la croissance économique des pays en voie de développement ? 

Les entre­prises qui misent sur le numé­rique s’y déve­loppent plus vite que les autres. Par ailleurs, le big data peut appor­ter un outil inté­res­sant pour la pla­ni­fi­ca­tion des infra­struc­tures. Par exemple, en Côte d’Ivoire, l’analyse par les tech­niques big data des don­nées mobiles a mon­tré quels étaient les prin­ci­paux dépla­ce­ments de per­sonnes dans le pays et de four­nir des élé­ments ren­dant pos­sible une adap­ta­tion les déci­sions de planification.

Quelle est la résilience des réseaux et des services en cas de crise ? 

Cela dépend de la légis­la­tion de cha­cun des pays où nous opé­rons. On prend en compte les exi­gences natio­nales. Les data­cen­ters sont sécu­ri­sés pour que la pro­ba­bi­li­té de cou­pure soit très faible, notam­ment pour les clients stra­té­giques. Il y a un enga­ge­ment envers tous les clients de réta­blir Inter­net, dans des délais courts, qui dépendent des contrats. En cas d’inondation, on envoie des petits cen­traux télé­com sur remorques.

Quelles sont les actions sur le plan de la réparabilité, la réutilisation, le recyclage ? 

L’approche est celle de l’écoconception. Nous tra­vaillons avec les construc­teurs pour allon­ger la durée de vie des équi­pe­ments four­nis à nos clients, pour faci­li­ter leur désas­sem­blage et leur recy­clage en fin de vie. Par exemple, pour la gamme des smart­phones, nous pro­po­sons le Fair­phone 3 à nos clients, un télé­phone conçu de manière à en faci­li­ter la répa­ra­bi­li­té et l’évolution tech­nique, et cela abou­tit à un dou­ble­ment de la durée d’utilisation moyenne. Les autres construc­teurs de ter­mi­naux com­mencent à suivre cet exemple. Quant à nos box Inter­net, elles sont réuti­li­sées jusqu’à cinq fois, ce qui est consi­dé­rable sur un parc de 30 mil­lions de boxes déployées.


Rentabilité de l’effort d’investissement

Les éco­no­mies d’énergie obte­nues jus­ti­fient les inves­tis­se­ments d’équipement consen­tis. Ces inves­tis­se­ments sont ren­tables du point de vue éco­no­mique et finan­cier. Le pro­gramme mis en œuvre a per­mis d’économiser un mil­liard d’euros en dix ans. Et ce dans un contexte de forte crois­sance des acti­vi­tés. Car Orange a gagné plus de 100 mil­lions de clients depuis 2006 et on constate une explo­sion des usages depuis 2008. Sans ce pro­gramme, les émis­sions auraient explo­sé. Avec lui l’entreprise est arri­vée à conte­nir la hausse des émis­sions. Elle est stable en consom­ma­tion d’énergie et les émis­sions de CO2 ont bais­sé de 3,5 % depuis 2016.


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