Dans le vent solaire

Dossier : Vie du PlatâlMagazine N°754 Avril 2020Par Matthieu BERTHOMIER

Le Labo­ra­toire de Phy­sique des Plas­mas (LPP) est le prin­ci­pal labo­ra­toire fran­çais dans le domaine des plas­mas, avec aujourd’hui plus d’une cen­taine de per­sonnes, répar­ties entre Palai­seau et Jus­sieu. Mat­thieu Ber­tho­mier y est res­pon­sable d’une contri­bu­tion essen­tielle à la mis­sion Solar Orbi­ter.

Je suis issu de l’Université Pierre-et-Marie-Curie et j’ai fait ma thèse au Centre d’étude des envi­ron­ne­ments ter­restres et pla­né­taires (CETP) : c’était un labo­ra­toire du CNRS issu de l’ancien Cnet de France-Télé­com qui était au départ cen­tré sur les pro­blèmes de pro­pa­ga­tion d’ondes dans l’ionosphère ter­restre, puis s’est éten­du pro­gres­si­ve­ment à la magné­to­sphère et enfin à l’espace extra­pla­né­taire. Les équipes du CETP tra­vaillant sur ces plas­mas spa­tiaux et celles du Labo­ra­toire de Phy­sique et Tech­no­lo­gie des Plas­mas de l’X ont for­mé en 2009 le LPP sous tutelle prin­ci­pale de l’X, avec une implan­ta­tion à l’École et à Sorbonne-Université. 

Champ magnétique et plasmas

Le champ magné­tique joue un rôle fon­da­men­tal dans l’étude des plas­mas en astro­phy­sique. Il était déjà au cœur de ma thèse en 2000, qui por­tait sur les phé­no­mènes d’accélération de par­ti­cules le long du champ magné­tique ter­restre à l’origine des aurores boréales. Au départ, j’étais plu­tôt phy­si­cien théo­ri­cien, m’intéressant aux phé­no­mènes non linéaires dans les inter­ac­tions entre ondes et par­ti­cules dans les plas­mas magné­ti­sés. Mais lors de mon post-doc à Ber­ke­ley, j’ai été en contact avec des spé­cia­listes de l’instrumentation spa­tiale. Et j’ai donc pour­sui­vi dans ce domaine à mon retour en France, avec Jean-Jacques Ber­the­lier (60), qui était res­pon­sable des spec­tro­mètres plas­mas pour les sondes spa­tiales au CETP.

Le vent solaire 

Le pro­jet Solar Orbi­ter consiste à aller obser­ver le soleil au plus près pour com­prendre le méca­nisme d’émergence de son champ magné­tique et du vent solaire. L’émergence de ce champ s’accompagne de l’émission de par­ti­cules éner­gé­tiques et pro­voque des érup­tions de matière sous forme de gaz ioni­sé. Ce plas­ma chaud que le soleil envoie à grande dis­tance dans l’espace est appe­lé vent solaire. Ce vent est extrê­me­ment variable puisque sa vitesse peut varier de 300 à plus de 1 000 km/s. Pour com­prendre l’émergence du champ magné­tique et l’origine du vent solaire, le satel­lite Solar Orbi­ter emporte deux types d’instruments : des téles­copes pour obser­ver en détail la sur­face solaire ; et des ins­tru­ments de mesure in situ des par­ti­cules (élec­trons, pro­tons et ions lourds) et des champs électromagnétiques.

Au plus près du Soleil

Pour atteindre ces objec­tifs, il y a deux condi­tions à rem­plir. La pre­mière est que le satel­lite soit mis en co-rota­tion, au moins par­tielle, avec le Soleil. Il existe en effet une dif­fé­rence de vitesses de rota­tion à la sur­face du Soleil, qui n’est pas un corps solide. Le Soleil tour­nant plus rapi­de­ment dans le plan de l’écliptique, si le satel­lite reste pla­cé dans ce plan, il n’est pas assez rapide pour obser­ver dura­ble­ment une zone don­née du Soleil. Il faut donc sor­tir du plan de l’écliptique et venir se pla­cer à une lati­tude plus éle­vée, typi­que­ment vers 30–35° de latitude.

La deuxième condi­tion est de s’approcher suf­fi­sam­ment du Soleil pour obser­ver un vent solaire « ori­gi­nel » encore peu per­tur­bé par des effets de pro­pa­ga­tion : à son péri­hé­lie, Solar Orbi­ter sera ain­si à envi­ron 42 mil­lions de kilo­mètres du Soleil (moins d’un tiers de la dis­tance Terre-Soleil). Cela pose évi­dem­ment des pro­blèmes de tenue à des condi­tions extrêmes de tem­pé­ra­ture et d’exposition aux par­ti­cules solaires. À noter que la mis­sion Par­ker Solar Probe de la NASA à laquelle le LPP est aus­si asso­cié s’approchera encore plus près de la sur­face du Soleil, à un peu plus de 6 mil­lions de kilomètres.

Quelle est l’origine du champ ?

La mis­sion Solar Orbi­ter abor­de­ra quatre grandes ques­tions scien­ti­fiques. La pre­mière porte sur l’origine du champ magné­tique, qui reste mys­té­rieuse. On sait que les pho­tons créés dans le cœur par les réac­tions de fusion mettent des mil­liers d’années pour tra­ver­ser la zone radia­tive qui l’entoure. L’énergie finit par s’échapper au niveau de la zone convec­tive, pas très loin de la sur­face : cette zone est le lieu de mou­ve­ments de plas­mas, qui génèrent par « effet dyna­mo » le champ magné­tique. Ce der­nier s’échappe de la sur­face, par exemple au niveau des tâches solaires. En obser­vant le Soleil depuis les hautes lati­tudes, Solar Orbi­ter va acqué­rir des infor­ma­tions sur le magné­tisme solaire qui font actuel­le­ment défaut aux modèles de dyna­mo solaire.

“On ne comprend toujours pas la variabilité du vent solaire.”

Champ magnétique et éruptions solaires

Ensuite, le champ émerge de manière chao­tique et assez impré­vi­sible lors des érup­tions solaires. Dans cer­tains cas, ces érup­tions s’accompagnent d’importantes éjec­tions de matière. Le vent solaire est alors par­ti­cu­liè­re­ment dense et son impact sur l’environnement ter­restre en est décu­plé. En com­pri­mant for­te­ment la magné­to­sphère qui pro­tège la Terre, ces éjec­tions coro­nales de masse pro­voquent des orages magné­tiques. Ces orages ont pu aller par le pas­sé jusqu’à détruire des réseaux de dis­tri­bu­tion d’électricité. Régu­liè­re­ment, ils per­turbent les com­mu­ni­ca­tions des sys­tèmes de type GPS ou Gali­leo, avec des impli­ca­tions aus­si bien sur les appli­ca­tions mili­taires (gui­dage de mis­siles…) que civiles. Solar Orbi­ter va nous aider à com­prendre la nais­sance et l’évolution dans l’espace inter­pla­né­taire des éjec­tions coro­nales de masse et à savoir iden­ti­fier celles qui auront un impact sur notre environnement.

Lors des érup­tions solaires, il y a aus­si une forte pro­duc­tion de par­ti­cules éner­gé­tiques (dont des élec­trons de plu­sieurs MeV), qui pénètrent assez loin dans l’atmosphère ter­restre, ce qui est nocif pour les per­son­nels navi­guant fré­quem­ment sou­mis à ces phé­no­mènes, mais aus­si ce qui pré­sente des risques pour les satel­lites. Aus­si bien pour l’aviation civile que pour sau­ve­gar­der des moyens spa­tiaux dont notre socié­té dépend de plus en plus, il est essen­tiel de pou­voir pro­té­ger les per­sonnes et les satel­lites vis-à-vis de ces évè­ne­ments en com­pre­nant quand, où et com­ment sont pro­duites ces particules.

Pourquoi le vent solaire varie-t-il tant ?

Enfin, et c’est pro­pre­ment mon domaine de recherche, il y a le vent solaire lui-même. L’existence de ce vent, pos­tu­lée en 1958 par Eugene Par­ker, a été confir­mée dès le début de l’ère spa­tiale. Mais on ne com­prend tou­jours pas sa varia­bi­li­té, avec des accé­lé­ra­tions qui peuvent aller jusqu’à plus de 1 000 km/s. Solar Orbi­ter aide­ra à com­prendre ce phé­no­mène et à le relier à la varia­tion du champ magné­tique obser­vé à la sur­face du Soleil.

Ma contri­bu­tion per­son­nelle à cette mis­sion réside dans la concep­tion du sys­tème de détec­tion du spec­tro­mètre d’électrons. Ce sys­tème intègre un cir­cuit élec­tro­nique dur­ci aux radia­tions unique en son genre, qui a aus­si été uti­li­sé par la NASA pour la sonde Par­ker Solar Probe. Le LPP a aus­si conçu l’analyseur de bord des mesures élec­tro­ma­gné­tiques faites par l’instrument RPW (radio and plas­ma waves). Cet ana­ly­seur per­met de réduire signi­fi­ca­ti­ve­ment la quan­ti­té de don­nées à trans­mettre vers la Terre. RPW est le seul ins­tru­ment à res­pon­sa­bi­li­té fran­çaise. Il a été déve­lop­pé sous la direc­tion du Cnes et de l’observatoire de Paris-Meu­don. Pour le LPP et ses tutelles, cela a repré­sen­té dix ans de tra­vail et un bud­get d’environ 10 M€.

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