Méditation

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°753 Mars 2020
Par Jean SALMONA (56)

Vivre, c’est vivre l’instant pré­sent. On ne peut pas vivre dans le pas­sé ni le futur : on ne peut qu’y réflé­chir, y spé­cu­ler, y res­sas­ser ses regrets, ses espoirs, ses craintes. Pen­dant ce temps, on n’existe pas. […] Rien ne rem­place l’expérience de l’instant présent.

Chris­tophe André, Médi­ter, jour après jour.

Médi­ter, disent les pon­tifes, c’est éva­cuer toute pen­sée, toute pré­oc­cu­pa­tion, pour nous concen­trer sur l’instant pré­sent et les sen­sa­tions qu’il génère en nous. Or il est deux façons d’entendre la musique : être ber­cé par elle en lais­sant nos pen­sées vaga­bon­der ; ou l’écouter inten­sé­ment, mesure après mesure, en sui­vant, par exemple, l’alto dans un qua­tuor, rien ne compte alors que l’instant pré­sent et la note fugace. Au fond, la musique, si l’on sait l’écouter, est le meilleur adju­vant à la méditation.


Beethoven – Sonates par Fazil SayBeethoven – Sonates par Fazil Say

Avec l’année Bee­tho­ven, les inté­grales des Sonates pour pia­no se suc­cèdent. Après András Schiff 1, voi­ci Fazil Say. On atten­dait de cet enfant ter­rible du pia­no à la tech­nique impla­cable et au jeu sou­vent ébou­rif­fant une ver­sion décoif­fante ou au moins inat­ten­due. En réa­li­té, nous dit-il dans le livret qui accom­pagne le cof­fret, Fazil Say nous livre là le résul­tat de deux années de tra­vail intense, et nous donne une véri­table inter­pré­ta­tion ; c’est-à-dire qu’il n’essaye pas d’imaginer com­ment devait jouer Bee­tho­ven – impos­sible gageure – mais qu’il donne sa vision per­son­nelle de ces sonates, vision tota­le­ment roman­tique, la plus roman­tique qu’il nous ait été don­né d’entendre, mais avec séré­ni­té. Liszt ou Cho­pin devaient les jouer ain­si. En écou­tant Fazil Say, impos­sible de pen­ser à autre chose : la musique s’impose à vous.

  • 9 CD Warner

Brahms, clarinetteBrahms, clarinette

Avec le Quin­tette pour cla­ri­nette et qua­tuor de Brahms, dif­fi­cile de médi­ter : c’est la mélan­co­lie même ; votre pas­sé est là, quel que soit votre âge, et le sou­ve­nir des jours heu­reux. De cette œuvre, dont le vio­lo­niste Joa­chim disait qu’elle était l’une des meilleures que Brahms ait jamais écrites, le cla­ri­net­tiste Florent Héau donne, avec l’excellent Qua­tuor Voce, une inter­pré­ta­tion qu’on pour­rait dire expres­sion­niste, pro­fon­dé­ment émou­vante, et qui dépasse peut-être, avec une prise de son de qua­li­té excep­tion­nelle, la ver­sion légen­daire de Karl Leis­ter avec le Qua­tuor Ama­deus (1967). On pense au vers d’Aragon qui pour­rait ser­vir d’exergue à ce quin­tette : « Dites ces mots – ma vie – et rete­nez vos larmes. » Sur le même disque, le Trio pour cla­ri­nette, vio­lon­celle et pia­no, avec Jérôme Per­noo et Jérôme Ducros.

  • 1 CD Klarthe

Rachmaninov – Concertos 1 et 3 par Daniil TrifonovRachmaninov – Concertos 1 et 3 par Daniil Trifonov

On connaît bien Daniil Tri­fo­nov, sa tech­nique d’acier, son jeu étin­ce­lant non dépour­vu de pro­fon­deur. On connaît bien, aus­si, le 1er Concer­to pour pia­no de Rach­ma­ni­nov (qui ser­vit autre­fois d’indicatif à Apos­trophes, l’émission de Ber­nard Pivot) et le légen­daire 3e Concer­to, d’une excep­tion­nelle richesse mélo­dique et har­mo­nique et d’une grande dif­fi­cul­té tech­nique. Tri­fo­nov les a enre­gis­trés en 2019 avec l’Orchestre de Phi­la­del­phie diri­gé par Yan­nick Nézet-Séguin. Il y a là une par­faite adé­qua­tion entre un inter­prète et deux œuvres qui consti­tuent, avec le 2e Concer­to, le som­met du concer­to post­ro­man­tique. Sur le même disque, deux trans­crip­tions pour pia­no d’œuvres orches­trales, dont la célèbre Voca­lise.

  • 1 CD Deutsche Grammophon

Marina Chiche – NostalgieMarina Chiche – Nostalgie

Sous le titre Post-scrip­tum, la mer­veilleuse vio­lo­niste Mari­na Chiche, accom­pa­gnée au pia­no par Auré­lien Pon­tier, a ras­sem­blé une ving­taine de ces pièces que les vio­lo­nistes de légende Fritz Kreis­ler et Jascha Hei­fetz jouaient sou­vent en bis, par­fois même en réci­tal, pièces empreintes de ce que Pérec appe­lait « une impal­pable petite nos­tal­gie ». Par­mi ces délices prous­tiennes, les célèbres Schön Ros­ma­rin, Lie­bes­freud, Lie­bes­leid, de Kreis­ler ; et des pièces moins connues et non moins exquises de Korn­gold, Hei­fetz, Fau­ré, Debus­sy, Men­dels­sohn, Kroll, Schu­mann. Il y a quelque magie à déclen­cher ain­si, chez l’auditeur, ce sen­ti­ment du temps qui passe et ces deux musi­ciens y par­viennent avec cette élé­gance légère qui est la marque de l’aristocratie en musique. Car­rez-vous dans votre fau­teuil, munis­sez-vous d’une théière de thé blanc bien chaud, avec si pos­sible quelques made­leines tièdes, et ne pen­sez plus à rien – qu’à la musique.

  • 1 CD NoMadMusic

1. La Jaune et la Rouge, dis­co­gra­phie, février 2020.

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