Industrialiser la production de scénarios

Industrialiser la production de scénarios

Dossier : TrajectoiresMagazine N°753 Mars 2020
Par Tony DUNOYER (84)
Par Hervé KABLA (84)

En 2010 Tony Dunoyer (84) a créé Incu­Be­ta Films, basée à New York, pour inves­tir dans le déve­lop­pe­ment de scé­na­rios de films et valo­ri­ser ce cata­logue de scé­na­rios. L’entreprise s’intègre dans la rapide évo­lu­tion du mar­ché du cinéma.

Tony Dunoyer créateur d'IncuBeta Films
Tony Dunoyer (84) créa­teur d’In­cu­Be­ta Films

Quelle est l’activité de IncuBeta Films ? 

Incu­Be­ta Films est une socié­té de pro­duc­tion audio­vi­suelle qui se concentre sur l’écriture de conte­nu et de pro­prié­té intel­lec­tuelle pour mul­tiples sup­ports média­tiques. Le sup­port prin­ci­pal de la socié­té est le film, l’accent étant mis sur le déve­lop­pe­ment de scé­na­rios pour longs métrages et de séries télévisées. 

Quel est le parcours des fondateurs ? 

J’ai copro­duit un film indé­pen­dant en 2005. C’est ensuite que j’ai déci­dé d’aller apprendre le métier, à la NYU Film School, dans le cur­sus de Film Pro­duc­tion, où j’ai décou­vert ma pas­sion pour l’écriture de scé­na­rios. Conscient de mes limites lit­té­raires, j’ai vite recru­té un jeune scé­na­riste diplô­mé pour une col­la­bo­ra­tion sur un scé­na­rio. Cette alliance par­ti­cu­lière s’est révé­lée un désastre de frus­tra­tions, mais j’en ai tiré des ensei­gne­ments impor­tants. En 2010, j’ai déci­dé de for­ma­li­ser un véhi­cule de col­la­bo­ra­tion en créant une socié­té qui est codé­te­nue par tous ses contri­bu­teurs (fon­da­teur et scé­na­ristes). Avec l’objectif ultime d’en faire une vaste plate-forme, un vivier de scé­na­rios qui seront ven­dus à (ou « option­nés » par) des pro­duc­teurs hol­ly­woo­diens en quête de titres finis de qualité. 

Comment t’est venue l’idée ?

En plus de l’écriture en compte propre (le vivier), la socié­té a en paral­lèle démar­ré l’écriture pour compte de tiers. D’où viennent les idées de film ? Com­ment les idées des gens ordi­naires peuvent-elles péné­trer Hol­ly­wood ? Qui peut se per­mettre le prix sou­vent éle­vé d’un scé­na­riste éta­bli ? Incu­Be­ta offre une solu­tion abor­dable pour de nom­breux pro­prié­taires d’histoire qui ne peuvent pas accé­der au monde fer­mé de l’industrie du ciné­ma. Incu­Be­ta socia­lise les coûts de mar­ke­ting, comme la pré­sence aux fes­ti­vals par exemple. Une seule per­sonne peut repré­sen­ter tous les scé­na­rios du por­te­feuille, bien qu’ils soient écrits par des scé­na­ristes différents. 

Qui sont les concurrents ? 

Je n’en connais pas, à ce jour. Les col­la­bo­ra­tions entre scé­na­ristes sont rares ou ponc­tuelles. La concur­rence vient en fait de l’omniprésence des « agences de talents » (CAA, WME…) qui se posi­tionnent encore comme doua­niers entre scé­na­ristes et pro­duc­teurs. Leur oli­go­pole s’effrite len­te­ment, avec la mul­ti­tude de pro­duc­teurs répon­dant à la demande crois­sante des dif­fu­seurs en ligne (strea­ming).

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

D’abord, acqué­rir la cré­di­bi­li­té de pro­duc­teur et un mini­mum de com­pé­tences d’écriture, pour atti­rer et gar­der les scé­na­ristes. Ensuite, écrire un por­te­feuille de titres de qua­li­té suf­fi­sam­ment diver­si­fié (8 à 10 scé­na­rios) pour avoir accès à de mul­tiples pro­duc­teurs, quelles que soient les ten­dances des mar­chés. Puis per­fec­tion­ner un ou deux scé­na­rios qui ser­vi­ront de vitrine, témoi­gnant de la qua­li­té du reste du por­te­feuille. Aujourd’hui, inves­tir sur la pro­mo­tion du por­te­feuille, qui est limi­té en taille. Et, pro­chai­ne­ment, dès la vente d’un des titres, inves­tir agres­si­ve­ment sur le déve­lop­pe­ment du por­te­feuille (plus de 10 scé­na­rios par an). 

Qu’est-ce qui a changé dans l’industrie du cinéma ces dix dernières années ? 

Tout a chan­gé ! De la pro­duc­tion à la dis­tri­bu­tion. Les acqui­si­tions sont plus directes. Les fes­ti­vals ont moins d’importance. Les acqué­reurs sont plus agres­sifs dans leurs méthodes de recherche du pro­chain Pulp Fic­tion. Les inter­mé­diaires ont moins de pou­voir. La célé­ri­té de l’information est décu­plée. Un pro­jet qui naît dans le secret à Atlan­ta est très vite concur­ren­cé par un nou­veau pro­jet mis sur pied à Toron­to. L’écriture aus­si a chan­gé. Les scé­na­ristes spé­cu­la­tifs se sont mul­ti­pliés, forts de l’espoir d’être détec­tés par une demande directe – une brèche que j’espère bien ouverte pour IncuBeta. 

La culture est-elle le prochain champ de bataille de la guerre économique ? 

La culture est deve­nue un champ de bataille dès les années 80, depuis le déman­tè­le­ment du stu­dio sys­tem qui était un oli­go­pole. Le point tour­nant étant l’arrivée (et le suc­cès) de l’infâme Har­vey Wein­stein, qui a ouvert les vannes du mar­ché des films indé­pen­dants (c’est-à-dire des films mon­tés et finan­cés avant d’être acquis par les grands dis­tri­bu­teurs). Les efforts de la Chine pour infil­trer les cultures occi­den­tales en témoignent. Les évo­lu­tions se sont accé­lé­rées avec l’essor rapide des réseaux sociaux. Les chan­ge­ments de com­por­te­ment cultu­rel sont visibles d’une année sur l’autre, non plus d’une géné­ra­tion à l’autre.

Les séries ont-elles tué le cinéma que nous avons connu ? 

Plus que les séries, c’est le « ciné­ma sur ren­dez-vous » (le strea­ming, films ou séries) qui a tué ce ciné­ma. De la même façon que la com­mu­ni­ca­tion entre per­sonnes a été affec­tée par les réseaux sociaux, le plai­sir de l’expérience com­mune de la « grande salle » a lais­sé la place au plai­sir soli­taire du spec­ta­teur, seul dans son salon ou devant son iPad. Le buzz autour de la sor­tie d’un nou­veau film n’existe plus (à part les rares block­bus­ters) qui se comptent sur les doigts de la main chaque année). 

Netflix est-il déjà en train de mourir ? 

Bien au contraire. Net­flix se redé­fi­nit. C’est un géant ten­ta­cu­laire dont la péné­tra­tion cultu­relle est de plus en plus effi­cace. Net­flix se déve­loppe dans toutes les niches cultu­relles et acquiert des pro­duits de plus en plus spé­ci­fiques à des spec­ta­teurs bien ciblés, par zone géo­gra­phique, par âge, voire par reli­gion. Grâce à la maî­trise de ses coûts de pro­duc­tion et d’acquisition, il peut se per­mettre de s’aventurer dans des niches de plus en plus étroites. La concur­rence et le pro­tec­tion­nisme en France ne sont pour lui que de menus obstacles. 

Commentaire

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10 ques­tions à un X entre­pre­neur #51 – Tony Dunoyerrépondre
13 mars 2020 à 15 h 49 min

[…] Net­flix est-il l’avenir du monde du ciné­ma, ou bien est-ce une entre­prise appe­lée à dis­pa­raître (ques­tion un peu bébête, je sais, mais l’interview a été réa­li­sée avant la pan­dé­mie…) ? Sommes-nous voués à ne plus regar­der que des séries ? Et la culture est-elle le pro­chain champ de bataille de la guerre éco­no­mique ? Ce sont cer­taines des ques­tions aux­quelles Tony a bien vou­lu répondre dans cette inter­view, que vous retrou­ve­rez sur le site de la Jaune et la Rouge. […]

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