Bérengère Mesqui (99) les défis d’une haut fonctionnaire

Dossier : TrajectoiresMagazine N°751 Janvier 2020
Par Alix VERDET

Direc­trice du dépar­te­ment déve­lop­pe­ment durable et numé­rique chez France Stra­té­gie, Béren­gère Mes­qui (née Junod, pro­mo­tion 99) déplie dis­crè­te­ment et effi­ca­ce­ment sa car­rière de haut fonc­tion­naire, syno­nyme pour elle de contact avec les réa­li­tés vécues par ses contem­po­rains. Sa mis­sion consiste aujourd’hui à tra­vailler à répondre aux enjeux très actuels des poli­tiques envi­ron­ne­men­tales, un par­cours ori­gi­nal dans sa famille où rien ne la pré­des­ti­nait à faire Polytechnique.

D’où viens-tu ? Pourquoi et comment as-tu fait Polytechnique ?

Je suis pari­sienne, j’ai fait Poly­tech­nique un peu par hasard. J’étais bonne en maths et au lycée mes pro­fes­seurs m’ont conseillé de faire une pré­pa. En pré­pa à Pas­teur à Neuilly, je n’imaginais pas inté­grer Poly­tech­nique car en spé ma classe était com­po­sée pour moi­tié de 52. En 52, j’ai com­men­cé à me dire que je pou­vais inté­grer une bonne école et j’ai eu l’X. Plus tôt dans mon par­cours, j’avais pen­sé aux études de phar­ma­cie. Mon père qui savait que j’aimais les maths m’avait dit en plai­san­tant : « Fais Poly­tech­nique d’abord et on ver­ra après. »

Dans ma famille, seule une cou­sine avait fait une pré­pa. Et après moi per­sonne n’a fait Poly­tech­nique. Mon père qui était juriste n’avait pas le bac mais avait pas­sé une capa­ci­té en droit et ma mère était biblio­thé­caire. Faire Poly­tech­nique n’était donc pas du tout une tra­di­tion fami­liale. Je me sou­viens avoir vu en classe de pre­mière un repor­tage sur cette école des­ti­née aux bons élèves en maths qui m’avait vrai­ment fait envie. Puis en pré­pa on com­prend vite qu’il existe un clas­se­ment des écoles et que Poly­tech­nique est au sommet.

Comment s’est passée ton arrivée sur le Plateau ?

J’étais un peu per­due mais, bien que ne connais­sant per­sonne, je me suis assez vite fait des amis. J’ai décou­vert l’aspect mili­taire de l’École – le jog­ging bleu, le tee-shirt jaune et les sec­tions – auquel je ne m’attendais pas du tout. J’ai été frap­pée par les slo­gans mili­taires comme « réflé­chir, c’est déso­béir », alors qu’on venait de pas­ser trois ans très stu­dieux en pré­pa. Après les classes à Bar­ce­lon­nette, j’ai été en gen­dar­me­rie, trois mois à Melun puis en affec­ta­tion à Bourg-en-Bresse. Mal­gré des moments d’ennui par­fois, ça a été une expé­rience inté­res­sante car c’est un des seuls moments de ma vie où j’ai côtoyé de près des per­sonnes qui viennent de milieux sociaux dif­fé­rents ou qui n’ont pas fait d’études supérieures.

Que retiens-tu de ton passage à l’École ?

J’ai beau­coup aimé la grande diver­si­té des matières, le fait de pou­voir refaire de la bio­lo­gie, faire de l’économie, des sciences sociales. Un de mes petits regrets est de n’avoir pas com­plè­te­ment pro­fi­té de la grande qua­li­té des pro­fes­seurs. Je pense aus­si m’être un peu auto­cen­su­rée en me disant que j’étais nulle en phy­sique, que j’allais faire maths et éco parce que je vou­lais faire l’Ensae, sans me don­ner la liber­té de choi­sir une autre voie. Côté binet, j’ai fait par­tie du binet ASK dont j’étais pré­si­dente. Nous avons fait du sou­tien sco­laire, don­né des cours en pri­son, orga­ni­sé des banques ali­men­taires, des week-ends avec des han­di­ca­pés, etc. J’ai beau­coup appré­cié mes deux années sur le Plateau.

Quel a été ton premier poste ?

C’était au minis­tère du Tra­vail dans un ser­vice qui s’appelle la Dares (Direc­tion de l’animation de la recherche, des études et des sta­tis­tiques), un ser­vice qui s’occupe d’analyse éco­no­mique des poli­tiques du mar­ché du tra­vail. C’était un poste de char­gée d’études sta­tis­tiques et éco­no­miques. Nous avions par exemple tra­vaillé sur l’évaluation du contrat nou­velle embauche, le CNE, dont le petit frère, le contrat pre­mière embauche (CPE), a beau­coup fait par­ler de lui. Après trois ans, je suis par­tie à Ber­cy en macroé­co­no­mie inter­na­tio­nale parce que le sujet me parais­sait com­pli­qué et je vou­lais le com­prendre. Mais, six mois après, il fal­lait abso­lu­ment pour­voir un poste au bureau Europe donc je ne com­prends tou­jours rien à la macroé­co­no­mie inter­na­tio­nale [rires] ! Après mon pre­mier congé mater­ni­té, j’ai rejoint le bureau qui s’occupait de poli­tique de san­té puis je suis retour­née au minis­tère du Tra­vail tra­vailler sur les sta­tis­tiques concer­nant l’insertion pro­fes­sion­nelle des jeunes et la for­ma­tion professionnelle.

Et après j’ai vou­lu chan­ger et une oppor­tu­ni­té s’est pré­sen­tée au minis­tère de l’Environnement où j’ai été adjointe au sous-direc­teur. J’y ai décou­vert tout ce qui est poli­tique envi­ron­ne­men­tale, éco­no­mie de l’environnement. Puis je suis arri­vée à France Stra­té­gie en 2017. C’est un centre d’études et d’expertise sur les poli­tiques publiques, éco­no­miques, sociales et envi­ron­ne­men­tales, pla­cé auprès du Pre­mier ministre mais auto­nome ; ce que nous publions n’engage pas le gou­ver­ne­ment. Nous essayons d’être utiles au gou­ver­ne­ment en pro­po­sant des poli­tiques publiques, mais aus­si des ana­lyses pros­pec­tives de long terme, et nous fai­sons de l’évaluation de poli­tiques publiques.

Comment gères-tu carrière et vie de famille ?

Je suis à 80 % depuis la nais­sance de mon troi­sième enfant, je ne tra­vaille pas le mer­cre­di. Mon chal­lenge est de réus­sir à avoir des postes inté­res­sants et à gar­der du temps pour mes enfants, ce qui n’est pas tou­jours facile. Je pense que c’est un peu plus pos­sible quand on tra­vaille dans un minis­tère, mais c’est aus­si dépen­dant de l’acceptation par l’équipe dans laquelle on se trouve. C’est aus­si un choix dans les postes que j’occupe : je pri­vi­lé­gie les postes avec peu de contraintes de délai, moins opé­ra­tion­nels… C’est un choix très assu­mé, mais par­fois je renonce à pos­tu­ler à des postes qui me plai­raient. C’est quand même un tiraille­ment, même si je suis très contente du temps que je peux prendre avec mes enfants. D’un autre côté, quand je vois des femmes qui tra­vaillent énor­mé­ment et qui n’ont pas de temps pour leur famille, ça ne me fait pas envie.

Quel est le sens que tu donnes à ton travail, dans ton choix de l’économie et dans ton poste de haut fonctionnaire ?

J’ai choi­si le corps des admi­nis­tra­teurs Insee car, après trois ans de pré­pa, une année mili et deux années sur le Pla­teau, je me sen­tais com­plè­te­ment décon­nec­tée du monde. Quand on m’a pré­sen­té le tra­vail d’un admi­nis­tra­teur Insee, j’ai été atti­rée par l’aspect concret et proche de la vraie vie des gens. Tra­vailler aux poli­tiques publiques, c’est œuvrer pour le bien com­mun, cher­cher à amé­lio­rer le bien-être de la popu­la­tion, ce qui est clai­re­ment moteur pour moi.

Col­loque « bio­mi­mé­tisme : quels leviers de déve­lop­pe­ment ? Quelles pers­pec­tives en France ? » orga­ni­sé par France Stra­té­gie en par­te­na­riat avec Cee­bios et Myce­co le 29 novembre 2019.

Dans le climat social actuel, as-tu l’impression d’aider à trouver des solutions pour apporter des réponses aux tensions ?

Sur les sujets envi­ron­ne­men­taux actuels, il existe une vraie ten­sion entre ces pro­blé­ma­tiques et le fonc­tion­ne­ment de la socié­té aujourd’hui. Nos modes de consom­ma­tion et de vie font peser des pres­sions impor­tantes sur l’environnement. Par mon tra­vail, j’essaie de faire chan­ger ces com­por­te­ments, ce qui crée une ten­sion. Ce que nous cher­chons à France Stra­té­gie, c’est à savoir com­ment prendre soin de l’environnement, com­ment réduire nos émis­sions de gaz à effet de serre tout en main­te­nant un cli­mat social serein, en cher­chant à limi­ter les inéga­li­tés sociales, à faire chan­ger les com­por­te­ments sans que ce soit vécu comme une réduc­tion du bien-être ou comme une punition. 

Il est évident que, lorsqu’on dit que pour être neutres en car­bone en 2050 il ne faut plus voya­ger, il faut moins consom­mer de viande, etc., ça paraît très res­tric­tif. Pour gar­der un monde en-des­sous d’une aug­men­ta­tion de deux degrés, il fau­drait mettre en place des mesures dras­tiques qui impliquent de forts chan­ge­ments. D’un autre côté, lorsque je consi­dère les reven­di­ca­tions des Gilets jaunes, je reste très sen­sible à la ques­tion de l’unité sociale et à la néces­si­té de sau­ver notre sys­tème démo­cra­tique. Ce sont des ques­tions sen­sibles et com­plexes aux­quelles nous essayons modes­te­ment de répondre.

“La solution reste quand même d’aller
vers plus de sobriété.”

Comment être très pragmatique, voire contre-intuitif sur ces questions, mais pour mieux y répondre ?

Il est vrai que, lorsqu’on veut bais­ser le recours aux éner­gies car­bo­nées, une solu­tion est de se tour­ner vers les éner­gies renou­ve­lables. Mais les éoliennes et les pan­neaux solaires demandent beau­coup de res­sources notam­ment en petits métaux qui ont besoin d’énergie pour être extraits, qui créent de la pol­lu­tion de l’air et de l’eau sur les lieux d’extraction, dans des condi­tions sociales et d’hygiène sou­vent déplo­rables. Par ailleurs, dis­po­ser des pan­neaux solaires au sol peut aus­si entraî­ner la des­truc­tion d’habitats natu­rels et avoir des impacts néga­tifs sur la bio­di­ver­si­té. Toute la dif­fi­cul­té consiste à trou­ver des solu­tions qui n’induisent pas d’autres pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux. La ligne d’équilibre est très ténue. Et il faut sans doute prio­ri­ser. Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique est cer­tai­ne­ment le sujet prio­ri­taire, mais l’érosion de la bio­di­ver­si­té va bien­tôt deve­nir un enjeu aus­si cru­cial. La solu­tion reste quand même d’aller vers plus de sobrié­té, notam­ment éner­gé­tique… ce qui signi­fie que notre modèle de crois­sance est dif­fi­ci­le­ment soutenable.

Pour l’instant, l’acceptabilité de la sobrié­té n’est pas évi­dente et ne peut pas être impo­sée par l’État. Le défi est de faire adhé­rer la socié­té à la tran­si­tion éco­lo­gique. Le gou­ver­ne­ment a un rôle à jouer mais le citoyen a clai­re­ment le sien, par sa prise de conscience et l’adaptation de son com­por­te­ment. C’est dif­fi­cile de chan­ger, mais il faut réus­sir à le faire sans créer de la culpa­bi­li­té, à rendre dési­rables les objec­tifs – le zéro car­bone en 2050 mais aus­si le zéro arti­fi­cia­li­sa­tion – qui vont à l’encontre de ce qu’on a dit aux Fran­çais pen­dant cin­quante ans. Il faut être créa­tif aujourd’hui pour ima­gi­ner un ave­nir enviable.

Que t’apporte ta formation polytechnicienne dans ta mission d’aujourd’hui ?

Tra­vailler sur ces ques­tions envi­ron­ne­men­tales est pas­sion­nant et récon­ci­lie mes études en éco­no­mie avec mon diplôme d’ingénieur car je n’avais pas tra­vaillé sur les notions liées à l’énergie depuis l’École. Ma for­ma­tion à l’X me sert tous les jours car on y apprend à cher­cher les réponses aux ques­tions qu’on se pose, et non à avoir la connais­sance a prio­ri.

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