L'intelligence artificielle et missiles

Quelles applications pour l’IA dans le domaine des missiles ?

Dossier : Robotique et intelligence artificielleMagazine N°750 Décembre 2019
Par Éric BÉRANGER (83)

Le mis­sile étant par défi­ni­tion un mobile aérien tota­le­ment auto­ma­ti­sé, il est vrai­sem­blable qu’il sera éga­le­ment l’un des tout pre­miers véhi­cules mili­taires à embar­quer de l’intelligence arti­fi­cielle. Les pre­mières appli­ca­tions ont déjà été tes­tées et pour­raient pro­chai­ne­ment être inté­grées au sein de sys­tèmes opérationnels.

MBDA, lea­der euro­péen du domaine, a depuis long­temps lan­cé une réflexion sur l’apport de l’IA pour la per­for­mance de ses produits.

L’IA au service de la détection

À titre d’illustration, la fonc­tion de détec­tion-recon­nais­sance-iden­ti­fi­ca­tion uti­li­sant l’IA est aujourd’hui mature, avec une pre­mière appli­ca­tion envi­sa­gée sur le sys­tème de Mis­sile moyenne por­tée (MMP) en ser­vice dans l’armée de terre depuis 2018. Cette fonc­tion pour­ra assis­ter l’opérateur à iden­ti­fier ses cibles dans le flux d’images des camé­ras de son poste de tir, puis dans le retour d’images de l’autodirecteur du mis­sile en vol. Cette appli­ca­tion, qui peut paraître banale à l’heure de Face­book, repré­sente un défi dans le contexte par­ti­cu­lier aux armées : l’algorithme d’intelligence arti­fi­cielle doit en effet fonc­tion­ner sur des cibles de petite taille (car en limite de por­tée visuelle), en images infra­rouge (alors que la com­mu­nau­té scien­ti­fique s’intéresse prin­ci­pa­le­ment à de grosses cibles en ima­ge­rie visible), sou­vent camou­flées et, s’agissant d’équipements mili­taires, géné­ra­le­ment peu ima­gées au préa­lable. Il a donc fal­lu créer à par­tir d’images de syn­thèse la base de don­nées qui a ser­vi à entraî­ner l’algorithme et adap­ter les tech­niques d’apprentissage auto­ma­tique au domaine de l’infrarouge. Nous avons por­té une atten­tion par­ti­cu­lière à la métho­do­lo­gie de consti­tu­tion des bases de don­nées d’apprentissage, ain­si qu’aux outils et pro­cé­dures asso­ciés afin de pré­sen­ter les niveaux d’explicabilité et de trans­pa­rence néces­saires à l’utilisation opé­ra­tion­nelle de cette IA. Les fausses alarmes étant très péna­li­santes, un soin par­ti­cu­lier a été appor­té pour en réduire le nombre, sans pour autant dimi­nuer la sen­si­bi­li­té de détection.

Préparation de missions

Autre domaine d’application de l’IA : les mis­siles de « frappe dans la pro­fon­deur », pour les­quels de nom­breux déve­lop­pe­ments ont déjà été lan­cés afin d’assister l’opérateur dans sa pré­pa­ra­tion de mis­sion. Des­ti­né à pro­gram­mer les phases suc­ces­sives du vol du mis­sile, ce pro­ces­sus exige des opé­ra­teurs bien entraî­nés et conduit à de mul­tiples ité­ra­tions, au détri­ment de la réac­ti­vi­té recher­chée lors d’opérations de frappe. L’IA peut appor­ter beau­coup pour la géné­ra­tion auto­ma­tique de tra­jec­toires de péné­tra­tion, qui doit tenir compte d’informations hété­ro­gènes (modèles de ter­rain, météo locale, situa­tion tac­tique afin d’éviter les défenses enne­mies…) et modé­li­ser le com­por­te­ment du mis­sile (per­for­mances, consom­ma­tion, etc.).

Dans ce cas, on envi­sage des tech­niques hybrides d’IA. Par exemple, l’apport des méta­heu­ris­tiques per­met d’explorer l’espace des solu­tions en construi­sant un graphe conte­nant des tra­jec­toires en cours de construc­tion. Ce graphe s’entend dans toutes les direc­tions de l’espace des solu­tions en rac­cro­chant un nou­veau tron­çon de tra­jec­toire à un nœud du graphe (i. e. à une por­tion de tra­jec­toire). Le point d’attache du nou­veau tron­çon de tra­jec­toire est choi­si en tenant compte des besoins opé­ra­tion­nels, ce qui per­met d’aboutir, après plu­sieurs ité­ra­tions, à une tra­jec­toire opti­mi­sée. L’apport de l’apprentissage auto­ma­tique inter­vient pour la modé­li­sa­tion des besoins opé­ra­tion­nels : les modèles ain­si créés offrent un bon com­pro­mis entre pré­ci­sion et temps de calcul.

Modélisation des cibles

En phase ter­mi­nale, les mis­siles de frappe dans la pro­fon­deur se guident aujourd’hui par rap­port à un modèle de cible qui doit être pré­pa­ré, lui aus­si, avant la mis­sion. Ces modèles sont géné­ra­le­ment issus d’imagerie satel­li­taire ou de recon­nais­sance aérienne, et doivent être recal­cu­lés pour com­pen­ser les dif­fé­rences d’angle de vision entre l’angle de prise de vue et celui d’arrivée du mis­sile sur sa cible. Les études en cours, basées sur l’apprentissage auto­ma­tique et le Deep Lear­ning, se montrent elles aus­si très pro­met­teuses, dans un domaine où l’imagerie spa­tiale ne manque pas, et grâce notre maî­trise de la géné­ra­tion d’images de synthèse.

Introduire l’IA implique des contraintes

Ces quelques exemples des pre­mières appli­ca­tions déve­lop­pées ne doivent pas faire oublier les pré­cau­tions que nous avons dû défi­nir pour intro­duire l’IA dans nos pro­duits : ceux-ci auront recours à une IA de confiance qui devra être expli­cable, sûre, robuste aux risques de cybe­rat­taque et en accord avec les prin­cipes légaux et éthiques en vigueur.

Pour avan­cer plus vite, il faut s’appuyer sur une vaste com­mu­nau­té mon­diale open source, aujourd’hui tirée par les GAFA. Des syner­gies pour­ront être trou­vées avec les sec­teurs du médi­cal ou de l’aéronautique civile qui ont, eux aus­si, besoin d’une IA fiable, voire cer­ti­fiable. La ques­tion de la sou­ve­rai­ne­té doit être trai­tée pour sou­te­nir en Europe les envi­ron­ne­ments de déve­lop­pe­ments IA et les acteurs de cal­cu­la­teurs embar­qués. L’industrie de défense, et notam­ment MBDA, ne sont pas en retard, au contraire, et on peut même dire que des chal­lenges tech­niques tels que les réseaux de mis­siles connec­tés fonc­tion­nant en meute envi­sa­gés pour le Sys­tème de com­bat aérien futur (SCAF) en cours de lan­ce­ment par la France et l’Allemagne repré­sentent des défis tech­niques extrê­me­ment sti­mu­lants pour nos jeunes ingénieurs.

“ L’IA devra être explicable, sûre et robuste
aux risques de cyberattaque.”

Remettre l’homme dans la boucle

L’IA n’en est qu’à ses débuts dans le domaine de la défense. Des attaques, comme celle qu’a subie le site pétro­lier d’Aramco en Ara­bie saou­dite en sep­tembre der­nier, pré­fi­gurent une ten­dance lourde du com­bat futur : le recours à des attaques mas­sives uti­li­sant un grand nombre d’effecteurs (drones ou mis­siles) afin de satu­rer les défenses adverses. Les temps de réac­tion impar­tis ne per­met­tront plus à l’homme de contrô­ler direc­te­ment le tir de ses mis­siles. Il devra inter­ve­nir en amont de l’affrontement pour para­mé­trer la manœuvre d’ensemble et prio­ri­ser – et non plus dési­gner – les objec­tifs à trai­ter. Et c’est à la machine qu’il revien­dra de dérou­ler les plans d’engagement sous la super­vi­sion de l’homme en affec­tant en temps réel les effec­teurs aux cibles, pour tenir compte de l’attrition et des aléas du com­bat. Ain­si, c’est l’homme qui conti­nue­ra de fixer l’objectif, avec les bornes asso­ciées. Quant au sys­tème, l’IA fera les opti­mi­sa­tions que les sys­tèmes tra­di­tion­nels seraient inca­pables de réa­li­ser, répon­dant ain­si à la mon­tée en com­plexi­té que les champs de bataille connaî­tront dans les années à venir. 

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